La rénovation énergétique des logements est un enjeu crucial pour la transition écologique en France. Pourtant, malgré des aides publiques importantes, les résultats restent insuffisants. Une nouvelle étude du Conseil d’analyse économique (CAE) propose de repenser en profondeur l’action publique dans ce domaine. Les auteurs estiment qu’environ 55% du parc de logements pourrait être rénové de manière rentable pour la société. Ainsi, ils recommandent de sanctuariser un budget annuel de 8 milliards d’euros, de mieux cibler les aides sur les passoires thermiques et les ménages modestes, et d’adopter une démarche plus proactive pour identifier les logements à rénover. L’étude préconise également de simplifier les procédures tout en renforçant les contrôles de qualité. Ces propositions ambitieuses visent à accélérer la rénovation énergétique pour atteindre les objectifs climatiques, tout en luttant contre la précarité énergétique.
Sommaire :
- La rénovation énergétique des logements en France : un secteur clé pour atteindre les objectifs climatiques
- État des lieux de la rénovation énergétique en France
- La rentabilité de la rénovation énergétique des logements : une analyse économique
- Repenser l’action publique pour une rénovation énergétique des logements efficace
- Un chantier ambitieux mais nécessaire
La rénovation énergétique des logements en France : un secteur clé pour atteindre les objectifs climatiques
La rénovation énergétique des logements est un enjeu crucial pour la France dans sa lutte contre le changement climatique. Selon les chiffres du Service des données et études statistiques (SDES), le secteur du bâtiment représente 20% des émissions nationales de gaz à effet de serre. Plus précisément, les deux tiers de ces émissions proviennent des bâtiments résidentiels, principalement à cause du chauffage.
Pour respecter ses engagements climatiques, notamment ceux pris dans le cadre de l’Accord de Paris, la France s’est fixé des objectifs ambitieux. La Stratégie nationale bas carbone (SNBC), révisée en 2020, vise 370 000 rénovations performantes par an, puis 700 000 à partir de 2030. L’objectif final est de généraliser le niveau “bâtiments basse consommation” (BBC) d’ici 2050.
Cependant, la réalité est bien loin de ces ambitions. Selon les données de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), seulement 66 000 rénovations performantes ont été réalisées en 2022. Ce chiffre illustre l’ampleur du défi à relever et l’urgence d’accélérer le rythme des rénovations.
> Consulter notre article sur : “Rénovation énergétique performante des logements : le défi du siècle”
Des bénéfices multiples au-delà du climat
La rénovation énergétique des logements ne se limite pas à la lutte contre le changement climatique. En effet, elle offre de nombreux cobénéfices qui justifient l’intervention publique :
- Réduction de la facture énergétique. Selon l’ADEME, une rénovation performante peut permettre de réduire la consommation d’énergie d’un logement de 40 à 70%.
- Lutte contre la précarité énergétique. En 2021, l’Observatoire national de la précarité énergétique estimait que 12 millions de personnes étaient en situation de précarité énergétique en France.
- Amélioration de la santé. Une étude de l’INSERM de 2020 a montré que vivre dans un logement mal chauffé augmente de 22% le risque de maladies respiratoires.
- Renforcement de l’indépendance énergétique. Dans le contexte géopolitique actuel, réduire la dépendance aux importations d’énergie est devenu un enjeu stratégique.
- Création d’emplois. Selon le Plan Bâtiment Durable, la rénovation énergétique pourrait créer jusqu’à 330 000 emplois d’ici 2050.
> Consulter notre article sur : “Rénovation énergétique en copropriété : un défi pour réduire les charges”
État des lieux de la rénovation énergétique en France
Une politique publique aux multiples facettes
Depuis plus de 20 ans, les gouvernements successifs ont mis en place de nombreux dispositifs pour encourager la rénovation énergétique :
- 1999 : TVA à taux réduit (5,5%) pour les travaux de rénovation
- 2005 : Crédit d’impôt développement durable (CIDD), devenu crédit d’impôt transition énergétique (CITE) en 2014, puis transformé en MaPrimeRénov’ (MPR) en 2020
- 2006 : Certificats d’économies d’énergie (CEE)
- 2009 : Éco-prêt à taux zéro (EPTZ)
Ces aides financières s’accompagnent d’outils d’information et de régulation :
- 2007 : Diagnostic de performance énergétique (DPE) obligatoire pour toute vente ou location
- 2014 : Label RGE (Reconnu Garant de l’Environnement) pour les artisans
Le dispositif MaPrimeRénov’, lancé en 2020, illustre la volonté de simplifier et de rendre plus lisibles les aides à la rénovation. Selon le ministère de la Transition écologique, plus de 1 million de dossiers ont été déposés entre 2020 et 2022.
Des mesures coercitives récentes
Face aux résultats insuffisants des dispositifs incitatifs, le gouvernement a récemment adopté des mesures plus contraignantes. La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a instauré un calendrier d’interdiction de mise en location des passoires thermiques :
- 2023 : Logements classés G+ (plus de 450 kWh/m²/an)
- 2025 : Ensemble de la classe G
- 2028 : Classe F
- 2034 : Classe E
Cette mesure vise à inciter les propriétaires bailleurs à rénover leurs biens, sous peine de ne plus pouvoir les louer. Selon le ministère du Logement, environ 4,8 millions de logements sont concernés par cette interdiction progressive.
Un bilan mitigé malgré des efforts importants
Malgré ces nombreux dispositifs, les résultats restent en deçà des objectifs. Selon le rapport de la Cour des comptes de 2023 sur “Le soutien aux logements face aux évolutions climatiques”, les aides publiques à la rénovation énergétique ont représenté 15 milliards d’euros en 2021. Pourtant, le rythme des rénovations performantes reste insuffisant.
De plus, des interrogations persistent sur l’efficacité réelle des travaux. Une étude de l’ADEME de 2021 a montré que les économies d’énergie réelles après rénovation sont en moyenne 50% inférieures aux prévisions théoriques.
La rentabilité de la rénovation énergétique des logements : une analyse économique
Coûts et bénéfices pour les propriétaires
La rénovation énergétique des logements représente un investissement conséquent pour les propriétaires. Selon les estimations du Conseil d’analyse économique (CAE), les coûts moyens sont compris entre 200 € et 500 € par mètre carré. Soit environ 35 000 € pour un logement de 100 m².
Ces coûts se décomposent en plusieurs catégories :
- Techniques : matériaux et main-d’œuvre
- Financiers : intérêts d’emprunt ou coût d’opportunité de l’épargne utilisée
- Induits : démarches administratives, gêne pendant les travaux, éventuel relogement temporaire
Les bénéfices attendus proviennent principalement des économies d’énergie. Cependant, l’étude du CAE souligne un écart important entre les économies théoriques et réelles. Cet écart s’explique par trois facteurs principaux :
- L’effet rebond. Après rénovation, les occupants augmentent souvent leur confort thermique et réduisent ainsi les économies d’énergie. On estime cet effet à environ 20% des économies théoriques.
- Les erreurs de modélisation. Les calculs théoriques peuvent surestimer les performances réelles des logements. En effet, l’écart entre consommations théoriques et réelles peut varier de 20% pour les logements les plus performants à 70% pour les moins performants.
- Les défauts de qualité. Des malfaçons lors des travaux peuvent réduire l’efficacité des rénovations. À cet égard, une étude d’Enertech (2021) a mis en évidence une surconsommation de chauffage de 40% dans les logements présentant des défauts de qualité.
Un gisement important de rénovations rentables
L’analyse du CAE révèle que 26% du parc de logements pourrait être rénové de manière rentable pour les propriétaires, en l’absence de toute aide publique. Cela permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 28% par rapport à 2018.
Cependant, en considérant les diverses barrières à l’investissement, cette part tombe à seulement 5% du parc. Ces barrières incluent :
- La myopie des ménages : tendance à sous-estimer les bénéfices futurs
- Les contraintes de crédit : difficulté à obtenir des prêts pour financer les travaux
- Les problèmes spécifiques au parc locatif : difficultés à répercuter le coût des travaux sur les loyers
La rentabilité sociale : un périmètre plus large
En intégrant les bénéfices pour la société, la part des rénovations rentables monte à 55% du parc, soit environ 15 millions de logements. Ces bénéfices sociaux comprennent :
- La réduction des émissions de CO2 : valorisée à 200 €/tonne selon les recommandations du rapport Quinet (2019)
- Les gains de santé : estimés à 7 500 € par logement pour la rénovation des passoires thermiques, selon le rapport Dervaux et al. (2022) pour France Stratégie
Cette rénovation de 55% du parc permettrait de réduire les émissions de CO2 de 70% par rapport à 2018, soit une contribution majeure aux objectifs climatiques de la France.
Repenser l’action publique pour une rénovation énergétique des logements efficace
Sanctuariser et redéployer les aides
Le CAE recommande de sanctuariser un budget annuel de 8 milliards d’euros jusqu’en 2050 pour la rénovation énergétique des logements. Ce montant correspond aux aides actuelles :
- MaPrimeRénov’
- TVA à taux réduit (5,5%)
- Éco-prêt à taux zéro (EPTZ)
- Certificats d’économies d’énergie (CEE)
Les auteurs proposent de remplacer le dispositif des CEE par une contribution directe des fournisseurs d’énergie au budget de MaPrimeRénov’. Ainsi, cela simplifierait le système et le rendrait plus transparent. Tout en conservant le principe du financement par les fournisseurs d’énergie.
Cibler les aides plus efficacement
Les subventions doivent se concentrer en priorité sur :
- Les 5 millions de logements classés F et G (passoires thermiques)
- Les rénovations combinant isolation et passage à un système de chauffage bas carbone (comme les pompes à chaleur)
- Les ménages à faibles revenus, plus vulnérables à la précarité énergétique
Le CAE propose également de moduler les droits de mutation (DMTO) en fonction de la performance énergétique du logement. À cet effet, un supplément serait appliqué pour les logements énergivores, remboursable si l’acheteur réalise des travaux dans les deux ans. Cette mesure vise à créer une incitation forte à rénover au moment de la vente, un moment propice pour engager des travaux importants.
Adopter une démarche proactive d’identification
Pour aller au-delà des passoires thermiques, l’étude recommande un changement de paradigme. L’État devrait adopter une démarche proactive pour identifier les logements à rénover, plutôt que d’attendre les initiatives des propriétaires. Cela impliquerait de :
- Créer un pôle stratégique au sein de France Rénov’ pour analyser les données et identifier les opportunités de rénovation
- Renforcer le dispositif MonAccompagnateurRenov pour valider le ciblage sur le terrain
- Impliquer les collectivités locales dans l’identification des opportunités de rénovation à l’échelle des quartiers
Cette approche s’inspire des grands programmes d’équipement public du siècle dernier, comme l’électrification ou l’assainissement.
Structurer l’offre et garantir la qualité
Pour lever les freins côté offre, le CAE préconise de :
- Simplifier l’octroi du label RGE pour les artisans, en prolongeant sa durée de validité de 4 à 8 ans et en permettant son obtention par validation des acquis de l’expérience
- Instaurer un service public de contrôle de la qualité ex-post, financé par l’État plutôt que par les entreprises
- Renforcer les sanctions en cas de défauts avérés pour inciter à la qualité
- Consolider la formation professionnelle dans le secteur, pour améliorer les compétences des artisans
Améliorer le suivi et l’évaluation
Enfin, l’étude souligne l’importance de consolider la statistique publique sur la rénovation énergétique. Et, cela passe par :
- La création d’un répertoire statistique des logements, avec un identifiant unique pour chaque logement
- L’appariement des données sur les caractéristiques des logements, les travaux réalisés, les consommations d’énergie et les caractéristiques socio-économiques des occupants
- L’élargissement de l’effort d’évaluation des politiques publiques, notamment en donnant accès aux chercheurs à des données plus détaillées sur les CEE
Ces améliorations permettraient un meilleur pilotage des politiques publiques et une évaluation plus précise de leur efficacité.
La rénovation énergétique des logements : un chantier ambitieux mais nécessaire
La rénovation énergétique des logements en France est un défi colossal. Il est même qualifié de “chantier du siècle” par certains experts. En cela, les propositions du CAE visent à rendre l’action publique plus efficace. En effet, il faut atteindre les objectifs climatiques tout en luttant contre la précarité énergétique.
Cela nécessite un effort financier important et soutenu dans le temps. Ainsi, il est estimé à 8 milliards d’euros par an jusqu’en 2050. Mais au-delà de l’aspect financier, c’est une réorganisation en profondeur des dispositifs existants qui est proposée. L’adoption d’une démarche proactive de l’État, le renforcement des contrôles de qualité et l’amélioration du suivi statistique sont autant de changements majeurs dans l’approche de la rénovation énergétique.
Le succès de ce chantier conditionnera largement la capacité de la France à respecter ses engagements climatiques. Selon les estimations du CAE, la rénovation de 55% du parc de logements permettrait de réduire les émissions de CO2 du secteur résidentiel de 70% par rapport à 2018. C’est un pas important vers l’objectif de neutralité carbone en 2050.
Mais au-delà des chiffres, c’est le quotidien de millions de Français qui est en jeu. La rénovation énergétique est un levier puissant pour améliorer le confort des logements, réduire les factures d’énergie et protéger la santé des occupants. C’est donc un investissement dans la qualité de vie et le pouvoir d’achat des ménages.
Le défi est de taille, mais les bénéfices potentiels sont considérables. Il appartient maintenant aux pouvoirs publics de s’emparer de ces recommandations et de les traduire en actions concrètes. La réussite de ce chantier sera un indicateur fort de la capacité de la France à réussir sa transition écologique.