Le 4 juin 2025, Éric Lombard frappe fort. Le ministre de l’Économie annonce la suspension de MaPrimeRénov’, bouleversant la rénovation énergétique française. Pourtant, cette mesure drastique cache une exception de taille : les copropriétés échappent totalement à cette suspension de MaPrimeRénov’. Pourquoi cette différence ? Engorgement administratif, 16 000 dossiers frauduleux et budget de 3,6 milliards épuisé justifient la décision. Résultat : les propriétaires individuels voient leurs projets bloqués jusqu’en septembre 2025, tandis que les copropriétés conservent leurs aides. Cette asymétrie révèle-t-elle une politique à deux vitesses ? Décryptage d’un tournant majeur de la transition énergétique.
Sommaire :
- Les raisons officielles de la suspension de MaPrimeRénov’
- Les copropriétés épargnées par la suspension
- L’impact économique contrasté de la suspension de MaPrimeRénov’
- Vers une réforme structurelle après septembre 2025
- FAQ – Suspension de MaPrimeRénov’ et copropriétés
Les raisons officielles de la suspension de MaPrimeRénov’
Un engorgement administratif sans précédent
La suspension de MaPrimeRénov’ découle d’un engorgement administratif massif qui bloque le dispositif depuis le début de l’année. Selon le ministère du Logement, les délais d’instruction sont passés de 70 jours en 2024 à 105 jours en 2025, soit un mois de plus en moyenne. Cette saturation s’explique par un triplement du nombre de logements rénovés au premier trimestre 2025. Une “avalanche de demandes”, selon Éric Lombard, auditionné au Sénat le 4 juin 2025, a submergé l’administration. Résultat : le dispositif perd en efficacité et ne peut plus suivre le rythme imposé par la demande.
Un blocage budgétaire qui aggrave la crise
Par ailleurs, le retard d’adoption de la loi de finances a empiré la situation, provoquant une accumulation de dossiers non traités.
Comme l’a reconnu le ministre : « Il y a un vrai problème, lié notamment au fait que la censure a bloqué le sujet pendant un certain temps. »
L’État a sanctuarisé un budget de 3,6 milliards d’euros pour 2025, contre seulement 2,3 milliards effectivement dépensés en 2024. Pourtant, malgré cet effort financier, les services administratifs peinent à suivre et restent débordés. La demande explose et dépasse largement les prévisions du gouvernement.
Des collectivités déjà à bout de souffle
Plusieurs collectivités territoriales, comme la Meuse, l’Ardèche ou la métropole de Lyon, annoncent avoir épuisé leur enveloppe MaPrimeRénov’ dédiée aux ménages modestes pour les rénovations globales. Début mai 2025, sept territoires ont interpellé le gouvernement par courrier, dénonçant une “situation de blocage”. Ces alertes locales confirment l’ampleur nationale de la crise et la tension extrême sur les budgets alloués à la rénovation énergétique.
La fraude, autre cause majeure de la suspension de MaPrimeRénov’
La fraude représente le deuxième pilier ayant conduit à la suspension de MaPrimeRénov’. Le ministère de l’Économie a identifié 44 172 dossiers frauduleux en 2024, ce qui a permis à l’État d’économiser 229 millions d’euros.
Ainsi, la fraude suspectée atteint environ 50 millions d’euros par an, tandis que la fraude avérée, en litige, s’élève à 10 millions d’euros. Actuellement, 16 000 dossiers suspicieux sont en cours d’analyse. Ils représentent 12 % du stock total, ce qui illustre l’ampleur du phénomène, selon Éric Lombard.
Cette situation est aggravée par une instabilité réglementaire qui favorise les manœuvres frauduleuses. Le ministre l’a lui-même reconnu : « L’instabilité des règles permet aussi aux fraudeurs de s’organiser. »
Pour faire face à la situation, le gouvernement mise sur la loi Thomas Cazenave, adoptée en mai 2025 et en attente de promulgation. En effet, cette loi prévoit de développer de nouveaux outils de détection et de renforcer les sanctions contre les fraudeurs. Elle permettra à l’État de « mieux détecter et punir les délinquants ». L’objectif est clair : protéger les finances publiques et rétablir la confiance dans le dispositif MaPrimeRénov’.
Les copropriétés épargnées par la suspension
MaPrimeRénov’ Copropriétés : une exception assumée
MaPrimeRénov’ Copropriétés échappe totalement à la suspension du dispositif principal.
Elle bénéficie d’un traitement de faveur explicite, confirmé par la ministre Valérie Létard.
Ainsi, le 4 juin 2025, elle déclare que « les dossiers de rénovation des copropriétés ne sont pas concernés » et affirme sa volonté d’accélérer les rénovations dans ce segment spécifique.
Par ailleurs, plusieurs textes réglementaires sont attendus durant l’été 2025 pour accompagner cet objectif. Ainsi, la ministre précise que la période estivale servira aussi à :
- déployer les nouveaux outils de lutte contre la fraude,
- renforcer les contrôles dans les procédures d’instruction, tout en profitant du ralentissement habituel de l’activité administrative.
Un choix stratégique en faveur des copropriétés
Cette différenciation assumée révèle une logique gouvernementale claire : privilégier les projets collectifs, jugés plus fiables et moins coûteux. Selon Dorêka, société spécialisée dans l’accompagnement des copropriétés, ces dernières représentent peu de dossiers problématiques. Résultat : moins de fraudes individuelles et plus de transparence.
Pourquoi ? Parce que le processus d’instruction est plus encadré :
- présence obligatoire d’un AMO (Assistant à Maîtrise d’Ouvrage)
- validation collective en assemblée générale
D’un point de vue financier, l’écart est aussi très net. Une rénovation en maison individuelle coûte jusqu’à 50 000 € de subvention par logement, contre 10 000 € seulement en copropriété, selon les chiffres de Dorêka. Cette différence de coût justifie en partie la volonté du gouvernement de préserver MaPrimeRénov’ Copropriétés.
Des aides préservées et toujours attractives
Les modalités de MaPrimeRénov’ Copropriétés sont intégralement maintenues. Pour rappel, le financement peut aller jusqu’à 25 000 € par logement. Les taux de base varient entre 30 % et 45 %, selon le gain énergétique réalisé :
– ? 35 % de gain : 30 % d’aide
– ? 50 % de gain : 45 % d’aide
Les bonus énergétiques sont également conservés :
- 10 % supplémentaires pour la sortie de passoire thermique
- 20 % exceptionnels pour les copropriétés fragiles
En résumé, le dispositif reste incitatif et continue de soutenir les projets ambitieux en copropriété.
Un cadre exigeant, mais généreux pour les copropriétés
L’aide individuelle forfaitaire reste accessible :
- 3 000 € pour les ménages très modestes
- 1 500 € pour les ménages modestes
En cumulant les aides, un logement peut atteindre un plafond théorique de 18 250 €, soit 75 % de 25 000 € avec tous les bonus. Combinée aux CEE et aux aides locales, MaPrimeRénov’ Copropriétés peut financer jusqu’à 80 % du montant total des travaux.
Les conditions d’éligibilité restent strictes :
- immeubles construits depuis plus de 15 ans
- au moins 65 % de résidences principales pour les petites copropriétés (? 20 lots)
- 75 % pour les plus grandes (> 20 lots)
- immatriculation obligatoire au registre national des copropriétés
- vote en assemblée générale
De plus, un gain énergétique d’au moins 35 % est exigé pour garantir l’ambition environnementale du programme. Enfin, l’accompagnement par un AMO reste obligatoire, avec un financement dédié à 50 %, plafonné entre 300 et 500 € par logement selon la taille de la copropriété. Cette architecture technique solide limite les risques de fraude et justifie pleinement le maintien du dispositif dans le contexte actuel.
L’impact économique contrasté de la suspension de MaPrimeRénov’
Le secteur du bâtiment en colère
La suspension de MaPrimeRénov’ a déclenché une vague de colère sans précédent dans le monde du bâtiment.
Olivier Salleron, président de la Fédération Française du Bâtiment (FFB), dénonce une décision « injustifiable, inqualifiable » et menace d’actions spectaculaires, dont des manifestations et le montage de grues dans des lieux stratégiques.
Selon la FFB, 100 000 artisans sont potentiellement menacés. Environ 25 000 entreprises seraient déjà en difficulté. L’impact économique pourrait être majeur, dans un secteur qui représente 8 % du PIB français.
De son côté, Jean-Christophe Repon, président de la Capeb, alerte : « Les entreprises artisanales du bâtiment ont besoin de visibilité et de stabilité, en particulier dans ce contexte économique compliqué où leur activité et leur trésorerie sont fragilisées. »
Le secteur associatif et les ménages tirent la sonnette d’alarme
Le collectif Rénovons, qui regroupe associations du logement et fédérations professionnelles, dénonce un « non-sens total » concernant la suspension de MaPrimeRénov’. Dans leur communiqué, ils alertent : une pause du dispositif risquerait de « briser l’élan des ménages engagés dans un parcours de rénovation énergétique ».
Pour illustrer l’impact humain, le témoignage de Rémi Perrot, juriste parisien, est éloquent. Sans les 14 000 € d’aide espérés, il devra financer seul 28 000 € de travaux. Comme lui, de nombreux foyers reportent leurs projets à 2026, entraînant une paralysie du marché prévue pour le second semestre 2025.
Les alternatives limitées pour les particuliers
L’éco-PTZ, seule alternative immédiate pour les particuliers
Face à la suspension de MaPrimeRénov’, l’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) apparaît comme la principale solution de repli pour les propriétaires individuels. Il permet de financer jusqu’à 50 000 € de travaux, sans intérêts, sur une durée maximale de 20 ans. L’administration a simplifié la procédure depuis juillet 2022, notamment pour les dossiers MaPrimeRénov’ déposés avant la suspension de l’aide. Désormais, la notification de l’aide suffit à déclencher l’éco-PTZ auprès des banques partenaires.
Les CEE montent en puissance dans le paysage des aides
Avec la suspension de MaPrimeRénov’, les Certificats d’Économies d’Énergie (CEE) prennent une place croissante dans le système d’aides à la rénovation. Toutefois, les primes varient selon les fournisseurs d’énergie. Des “coups de pouce” CEE ciblent l’isolation thermique et le chauffage collectif. Les fournisseurs d’énergie financent ce dispositif privé, qui s’apprête à jouer un rôle accru dans la rénovation énergétique, à mesure que l’État réduit sa contribution directe.
Un patchwork d’aides locales et ciblées encore en place
Malgré la suspension partielle de MaPrimeRénov’, plusieurs dispositifs locaux restent accessibles. En Île-de-France, les collectivités continuent, par exemple, d’accorder une aide de 1 500 € pour l’installation de pompes à chaleur. D’autres dispositifs territoriaux spécifiques restent également en vigueur à l’initiative des collectivités locales. La TVA réduite à 5,5 % reste également applicable pour les travaux de rénovation énergétique. Enfin, Action Logement continue de proposer ses aides aux salariés du secteur privé, contribuant à un maillage d’aides partielles, mais utiles.
Vers une réforme structurelle après septembre 2025
Les changements annoncés pour la reprise
La réouverture de MaPrimeRénov’ est annoncée pour la fin septembre 2025, avec des changements profonds à venir. Comme l’a confirmé Éric Lombard, le gouvernement a « bien l’intention de rétablir le fonctionnement avant la fin de l’année ».
Par ailleurs, le dispositif anti-fraude sera renforcé grâce aux outils introduits par la loi Thomas Cazenave. En parallèle, une amélioration des délais de traitement est attendue. Enfin, un recentrage des aides est envisagé, avec une priorité donnée aux logements les plus énergivores, classés F et G. Autrement dit, MaPrimeRénov’ reviendra, mais dans une version plus ciblée, plus sécurisée et mieux encadrée.
Le 21 mai 2025, à l’Assemblée nationale, Valérie Létard a présenté plusieurs pistes de “refroidissement” pour MaPrimeRénov’. Parmi elles :
- une baisse des plafonds de travaux,
- un recentrage sur les logements les plus énergivores (étiquettes E, F et G),
- la suppression possible du bonus pour la sortie de passoire énergétique.
La ministre a également souligné une hausse anormale des coûts de travaux, constatée depuis la fin 2024, et jugée « sans lien direct avec l’inflation ». Cette dérive tarifaire justifierait, selon elle, la mise en place de mesures correctrices. Dans ce contexte, le ministère du Logement prévoit de faire des annonces d’ici juin, afin de mieux encadrer l’afflux de dossiers et de détecter les fraudes en amont. Cette réforme structurelle a pour ambition d’instaurer un cadre ajusté, garantissant davantage de visibilité, de rapidité et de fiabilité, tant pour les ménages que pour les professionnels.
Un bilan historique interrompu
La suspension de MaPrimeRénov’ met en lumière les fragilités structurelles d’une politique publique sous-financée, rattrapée par son propre succès. Depuis 2020, plus de 2,5 millions de rénovations ont été réalisées, générant 37 milliards d’euros de travaux. Cette dynamique économique majeure est aujourd’hui brutalement interrompue pour les logements individuels.
Pourtant, le dispositif s’inscrit dans une stratégie européenne plus large. L’Union européenne impose aux États membres des objectifs clairs de rénovation énergétique, en termes de résultats comme de financement. La France s’est engagée dans le cadre des Accords de Paris et de la Stratégie Nationale Bas Carbone, avec des jalons fixés dès 2030 et une neutralité visée pour 2050.
La différenciation assumée entre logements individuels et copropriétés marque un tournant stratégique. Elle oriente la politique vers des projets collectifs, mais soulève des questions d’équité entre propriétaires selon leur statut juridique.
La réouverture annoncée fin septembre 2025 sera déterminante pour évaluer si cette suspension constitue une simple pause technique ou le prélude à une refonte plus profonde d’un dispositif qui aura marqué l’histoire de la rénovation énergétique française.
FAQ – Suspension de MaPrimeRénov’ et copropriétés
Pourquoi MaPrimeRénov’ Copropriétés n’est-elle pas suspendue ?
Les copropriétés bénéficient d’un traitement de faveur, car elles présentent naturellement moins de risques de fraude. L’obligation d’accompagnement par un AMO (Assistant à Maîtrise d’Ouvrage), la validation collective en assemblée générale et la présence d’un syndic créent des contrôles naturels. De plus, les rénovations en copropriété coûtent moins cher à l’État (environ 10 000€ par logement) qu’en maison individuelle (jusqu’à 50 000€).
Quand MaPrimeRénov’ reprendra-t-elle pour les logements individuels ?
Selon les déclarations officielles d’Éric Lombard et Valérie Létard, la suspension court de juillet à fin septembre 2025. Le gouvernement a promis une reprise “avant la fin de l’année” avec un dispositif renforcé contre les fraudes et des délais d’instruction améliorés.
Quelles sont les alternatives pour les propriétaires individuels pendant la suspension ?
Plusieurs dispositifs restent accessibles : l’éco-PTZ (jusqu’à 50 000€ sans intérêts sur 20 ans), les Certificats d’Économies d’Énergie (CEE) avec primes variables, les aides locales (comme 1 500€ en Île-de-France pour les pompes à chaleur), la TVA réduite à 5,5%, et les aides d’Action Logement pour les salariés d’entreprises privées.
Les copropriétaires peuvent-ils encore déposer des dossiers cet été ?
Oui, absolument. MaPrimeRénov’ Copropriétés fonctionne normalement avec toutes ses modalités maintenues : financement jusqu’à 25 000€ par logement, taux de 30% à 75% selon les gains énergétiques, bonus de 10% pour sortie de passoire énergétique et 20% pour copropriétés fragiles. Les aides individuelles de 1 500€ à 3 000€ selon les revenus restent également disponibles.
Que se passe-t-il pour les dossiers déjà déposés avant la suspension ?
Selon Valérie Létard, les dossiers non frauduleux déposés avant la fermeture seront “instruits et payés dans les meilleurs délais”. Une démarche d’accélération de l’instruction sera même mise en place. Les dossiers complets et déjà validés continuent leur traitement normal selon le ministère du Logement.