Un amendement qui fait débat. Le 20 mars 2025, la commission des affaires économiques du Sénat a adopté l’amendement Lefèvre, modifiant un article clé de la loi Cazenave. Cette décision, saluée par BigMat, acteur majeur de la distribution de matériaux, remet en cause l’interdiction faite aux entreprises non certifiées RGE de sous-traiter des travaux de rénovation énergétique aidés. Comment concilier lutte contre la fraude, accessibilité aux aides publiques et maintien de l’activité des artisans ? La loi Cazenave, bien que pensée pour encadrer le secteur, pourrait-elle fragiliser tout un écosystème indispensable à la transition énergétique ?
Sommaire :
- Loi Cazenave : une réforme qui divise les acteurs du bâtiment
- L’amendement Lefèvre : un rééquilibrage nécessaire à la Loi Cazenave
- Quels sont les risques d’un encadrement rigide avec la loi Cazenave ?
Loi Cazenave : une réforme qui divise les acteurs du bâtiment
Une loi contre la fraude aux aides publiques
La loi Cazenave, examinée depuis fin 2024, vise à renforcer les contrôles dans le domaine de la rénovation énergétique. En effet, la proposition de loi portée par le député Thomas Cazenave, visant à lutter contre toutes les fraudes aux aides publiques, a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 20 janvier 2025. Elle a ensuite été examinée par la commission des affaires économiques du Sénat le 19 mars, avant son passage en séance publique prévu les 2 et 3 avril 2025.
L’article 3ter : une disposition controversée
L’article 3ter, très critiqué, stipulait que seules les entreprises certifiées RGE (Reconnu Garant de l’Environnement) pourraient intervenir sur des travaux éligibles à des aides comme MaPrimeRénov’. Cette mesure, bien qu’animée d’une volonté de moralisation du secteur, a rapidement été jugée contre-productive par de nombreux acteurs.
Des distributeurs injustement ciblés
Le texte initial entendait éliminer les circuits jugés propices à la fraude. Mais, comme l’explique Fabio Rinaldi, président du directoire de BigMat France : « Les distributeurs ne sont pas les fraudeurs ciblés par cette législation. Bien au contraire, ils sont même un rempart à la fraude. »
Cette mesure, pensée pour limiter les fraudes, aurait cependant eu un effet contre-productif pour les distributeurs de matériaux. En effet, les distributeurs comme BigMat ne réalisent pas les travaux eux-mêmes, mais jouent un rôle central dans l’écosystème. Puisqu’ils orientent les particuliers, fournissent les matériaux, mettent en relation avec des artisans RGE, et facilitent les démarches administratives. Ils sont des facilitateurs, pas des fraudeurs.
Des conséquences majeures sur toute la chaîne
L’interdiction de sous-traitance aurait ainsi eu plusieurs conséquences majeures :
- Rupture de la chaîne logistique. Les distributeurs ne pourraient plus coordonner les travaux avec les artisans, ce qui désorganiserait l’ensemble du processus de rénovation.
- Pénalisation des artisans RGE. De nombreux artisans s’appuient sur les distributeurs pour la gestion des dossiers et l’approvisionnement. Sans ce relais, leur charge de travail administratif augmenterait fortement.
- Décrochage des ménages. Les particuliers, souvent peu familiers des démarches administratives, se retrouveraient seuls face à des processus complexes. Cela risquerait de freiner ou annuler leurs projets.
En résumé, exclure les distributeurs du dispositif reviendrait à fragiliser l’ensemble de la filière, au lieu de renforcer sa fiabilité. Comme le souligne Fabio Rinaldi, les distributeurs sont même un rempart à la fraude, en agissant comme interface structurante entre les particuliers, les artisans et les dispositifs publics. Ainsi, l’interdiction de sous-traitance aux non-RGE aurait désorganisé un secteur déjà en tension. Elle aurait fragilisé les artisans qui collaborent quotidiennement avec les distributeurs, mais aussi freiné les particuliers dans leurs projets de rénovation.
L’amendement Lefèvre : un rééquilibrage nécessaire à la Loi Cazenave
Face aux critiques, le Sénat a adopté le 20 mars 2025 l’amendement Lefèvre. Il supprime l’interdiction de sous-traitance tout en prévoyant une entrée en vigueur différée au 1er janvier 2027.
“Cette reconnaissance de notre rôle, de notre engagement et de notre travail était nécessaire. Cette mesure va permettre à tous les acteurs de se préparer et d’assurer une transition efficace. Nous nous tenons prêts pour être partie prenante et intégrés au dispositif qui sera appliqué au 1er janvier 2027”, commente Fabio Rinaldi, Président du Directoire de BigMat France.
Avec plus de 300 points de vente et 3 400 collaborateurs en France, BigMat incarne le rôle pivot des distributeurs dans la filière. Ils soutiennent artisans, conseillent les ménages et facilitent l’ingénierie financière des projets. Rappelons que les distributeurs sont au cœur des territoires. Ils conseillent, guident, fournissent et soutiennent les projets de rénovation, notamment auprès des foyers modestes.
Selon une étude de l’ADEME, 63 % des foyers modestes renoncent à des travaux à cause de démarches trop complexes. Le rôle de facilitateur des distributeurs est donc déterminant pour éviter ce décrochage.
Quels sont les risques d’un encadrement rigide avec la loi Cazenave ?
Un déficit croissant d’artisans RGE sur le territoire
L’un des enjeux majeurs soulevés par la loi Cazenave concerne la disponibilité des professionnels certifiés RGE. En effet, c’est la condition sine qua non pour accéder aux aides publiques comme MaPrimeRénov’. Or, les chiffres de l’ADEME montrent une tendance inquiétante. Le nombre de professionnels certifiés est passé de 65 000 en 2022 à 63 000 en 2025. Ce recul intervient alors que les besoins explosent avec l’objectif national de 200 000 rénovations globales par an d’ici 2026.
Ainsi, dans de nombreux territoires ruraux ou périurbains, cette pénurie se traduit par des délais allongés de plusieurs mois pour trouver un artisan disponible. En excluant les distributeurs du circuit, comme le prévoyait initialement la loi, on aggrave la tension sur une main-d’œuvre déjà insuffisante.
Le label RGE, entre complexité et découragement
Institué en 2011, le label RGE (Reconnu Garant de l’Environnement) vise à garantir la qualité des travaux et la bonne utilisation des fonds publics. Cependant, dans la pratique, il est souvent perçu comme un dispositif complexe, chronophage et coûteux. Un rapport du Sénat publié en 2023 révèle que 41 % des artisans RGE interrogés estiment que la procédure de certification est trop lourde par rapport aux avantages obtenus.
Or, les distributeurs jouent un rôle clé pour soulager les artisans dans ces démarches. Ils les accompagnent sur le volet administratif, technique et logistique. Supprimer ce soutien reviendrait à décourager de nouveaux artisans de se faire certifier, mettant ainsi en péril la pérennité du label lui-même.
Une fracture territoriale renforcée
La loi Cazenave, si appliquée sans ajustement, risque également de creuser la fracture entre les territoires. Dans les zones rurales, les distributeurs de matériaux sont souvent le seul point de contact entre les ménages et la filière rénovation. Ils orientent, forment, assistent et apportent un service de proximité indispensable.
En supprimant leur rôle, on prive les habitants de ces territoires d’un accès équitable aux aides publiques. Cela pose un problème d’équité sociale et compromet les ambitions nationales en matière de transition énergétique.
Un coup dur pour l’économie locale du bâtiment
La réforme envisagée aurait aussi des conséquences économiques directes. Les distributeurs, en lien avec des milliers d’artisans locaux, génèrent une activité essentielle dans un secteur déjà fragilisé par la crise du bâtiment. Leur mise à l’écart risque de tarir les flux de chantiers, de fragiliser les petites entreprises, et de ralentir considérablement la dynamique de rénovation.
La coopération entre distributeurs et artisans est non seulement efficace, mais essentielle pour atteindre les objectifs climatiques de la France. Toute tentative de désintermédiation brutale, comme celle introduite par la version initiale de la loi Cazenave, s’apparente à une erreur stratégique.