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Vie pratique

Privation matérielle : une réalité persistante malgré les mesures de soutien

Privation matérielle : une réalité persistante malgré les mesures de soutien

La privation matérielle touche encore 13,6% de la population française en 2023, révélant une réalité sociale préoccupante. Ce phénomène, qui se stabilise à un niveau élevé, met en lumière les difficultés quotidiennes auxquelles font face de nombreux ménages. Malgré les mesures de soutien mises en place, telles que les revalorisations des prestations sociales et les aides ciblées, certains groupes demeurent particulièrement vulnérables. Les familles monoparentales et nombreuses, ainsi que les ouvriers, sont les plus exposés à ce risque. Face à cette situation, l’étude de l’Insee soulève des questions cruciales. Quelles sont les principales formes de privation matérielle ? Comment les politiques publiques peuvent-elles mieux cibler les populations à risque ? Cette analyse approfondie offre des pistes de réflexion pour lutter contre la précarité et améliorer les conditions de vie des Français les plus fragiles.

Sommaire :

État des lieux de la privation matérielle en France

Un taux de privation matérielle stable mais élevé

En 2023, la privation matérielle touche 13,6% de la population française. Soit environ 9 millions de personnes, selon les données de l’enquête Statistiques sur les ressources et les conditions de vie (SRCV) de l’Insee. Ce taux reste relativement stable par rapport aux 12,9% de 2022. Il est néanmoins supérieur à la moyenne de 12,1% observée sur la période 2013-2020.

La privation matérielle est définie comme l’impossibilité de couvrir au moins cinq dépenses parmi treize éléments essentiels de la vie courante. Ainsi, elle révèle les difficultés persistantes d’une partie significative de la population.

François Gleizes et Julie Solard, auteurs de l’étude de l’Insee, soulignent que “ la proportion de personnes en situation de privation matérielle et sociale en France métropolitaine se stabilise à un niveau élevé : 13,1% début 2023 après 12,9% début 2022. Soit un point de plus que la moyenne sur la période antérieure à la crise sanitaire.”

Les formes les plus courantes de privation matérielle

Parmi les privations les plus fréquentes, on note l’incapacité à faire face à une dépense imprévue de 1000 euros (28% de la population). Ou encore l’impossibilité de s’offrir une semaine de vacances annuelle (24% des personnes). Plus inquiétant encore, 12% des Français déclarent ne pas pouvoir se chauffer correctement ou manger un repas contenant des protéines tous les deux jours.
Les formes les plus courantes de privation matérielle
Par ailleurs, l’étude révèle une augmentation préoccupante de certaines privations. En effet, deux privations augmentent fortement début 2023 :

  • ne pas pouvoir, pour des raisons financières, manger de la viande, du poisson ou un équivalent végétarien tous les deux jours (+3 points par rapport à 2022),
  • et ne pas pouvoir chauffer suffisamment son logement (+2 points).

Les groupes les plus touchés par la privation matérielle

Familles monoparentales et nombreuses : les plus vulnérables

La privation matérielle n’affecte pas uniformément la population. En cela, les familles monoparentales sont particulièrement exposées. Puisque 28,8% d’entre elles sont en situation de privation matérielle en 2023, contre 27,5% en 2020. De même, les familles nombreuses (couples avec trois enfants ou plus) sont fortement touchées. Ainsi, leur taux de privation passe de 18,4% en 2020 à 19,6% en 2023. Ces chiffres soulignent la vulnérabilité particulière de ces structures familiales face aux difficultés économiques.
Les groupes les plus touchés par la privation matérielle

L’impact de la catégorie socioprofessionnelle

Les ouvriers et les employés sont nettement plus exposés au risque de privation matérielle que les autres catégories socioprofessionnelles. Entre 2020 et 2023, le risque de privation a augmenté de 4 points pour les ouvriers et de 2 points pour les employés. Ce qui creuse davantage les inégalités existantes.

L’influence du contexte économique sur la privation matérielle

L’impact de l’inflation sur les privations alimentaires et énergétiques

La forte inflation observée en 2022, notamment sur les prix de l’alimentation (+15%) et de l’énergie (+14%), a eu un impact direct sur certaines formes de privation matérielle. Selon l’Insee, “les prix de l’alimentation ont augmenté de 15% entre février 2022 et février 2023 en glissement annuel, et ceux de l’énergie de 14%”.

Au total, les taux de privations liées à la consommation de protéines et de chauffage ont presque doublé depuis 2014. En France métropolitaine, seule 6% de la population manquait alors de moyens pour se chauffer, et seule 7% était privée de viande ou d’un équivalent végétarien. Désormais, cela concerne 12% de la population.

Les effets contrastés des mesures de soutien

Malgré un contexte économique difficile, certaines mesures de soutien ont permis de limiter l’augmentation des privations. Citons, le “bouclier loyer” et la revalorisation des APL. Ces mesures ont contribué à une diminution des impayés de loyers.
L'influence du contexte économique sur la privation matérielle
Cependant, les impayés de factures d’énergie ont augmenté. Ainsi, 7% des personnes vivent dans un ménage qui n’a pas pu honorer à temps des factures d’électricité, de gaz ou d’eau. Et près de 2% n’ont pas pu payer des traites de crédits à la consommation ou d’autres prêts (hors résidence principale).

La transmission intergénérationnelle de la privation matérielle

Un lien fort entre la situation financière à l’adolescence et à l’âge adulte

L’étude révèle une corrélation importante entre la situation financière familiale à l’adolescence et le risque de privation matérielle à l’âge adulte. En effet, il semble que les personnes ayant connu une situation financière difficile à 14 ans sont deux à trois fois plus susceptibles de se trouver en situation de privation matérielle à l’âge adulte.

D’ailleurs, les chiffres sont éloquents. 27% des personnes qui vivaient à 14 ans dans une famille dont la situation financière était très mauvaise sont en situation de privation matérielle et sociale en 2023. Contre seulement 10% pour celles dont la situation financière familiale était bonne ou très bonne.

Le rôle de l’éducation dans la reproduction des inégalités

Cette transmission intergénérationnelle de la privation matérielle s’explique en partie par les inégalités d’accès à l’éducation. Cette transmission du risque de privation se fait notamment via la différence d’obtention de diplôme.

Selon une étude d’Abbas et Sicsic (2022) citée dans le rapport, “les enfants de familles aisées ont trois fois plus de chances d’être parmi les 20% les plus aisés à l’âge adulte que ceux issus de familles modestes.”

Les disparités géographiques de la privation matérielle

Un écart entre zones rurales et urbaines qui se réduit

Traditionnellement, les zones urbaines présentaient des taux de privation matérielle plus élevés que les zones rurales. Cependant, cet écart tend à se réduire. Et, cela, surtout en raison de l’impact plus important de la hausse des prix de l’énergie dans les zones rurales. Puisque les dépenses en chauffage et carburants y sont plus élevées.

Les défis spécifiques des territoires ruraux et urbains

Si les territoires urbains restent plus touchés par la privation matérielle, chaque type de territoire fait face à des défis spécifiques. Ainsi, les zones urbaines sont confrontées à des coûts de logement plus élevés. Tandis que les zones rurales doivent faire face à des dépenses énergétiques plus importantes et à un accès plus limité à certains services.

Selon une étude de l’Observatoire des territoires citée par l’Insee, “ les ménages ruraux consacrent en moyenne 8% de leur budget aux dépenses énergétiques, contre 6% pour les ménages urbains”. Cette différence s’explique notamment par la plus grande taille des logements en milieu rural. Mais, aussi, la nécessité d’utiliser plus fréquemment un véhicule personnel pour les déplacements.

Perspectives et pistes d’action pour réduire la privation matérielle

Renforcer les mesures de soutien ciblées

Face à la persistance de la privation matérielle, il apparaît nécessaire de renforcer et d’affiner les mesures de soutien existantes. Une attention particulière devrait être portée aux familles monoparentales et nombreuses, ainsi qu’aux travailleurs à bas revenus, qui sont les plus exposés au risque de privation.

À cet effet, le rapport de l’Insee souligne l’efficacité de certaines mesures déjà mises en place. En effet, certaines mesures ciblées de soutien ont permis de contenir l’effet de l’inflation sur les personnes défavorisées. C’est le cas de la revalorisation des prestations sociales, « bouclier loyer » qui plafonne les revalorisations des loyers à 3,5%, chèque énergie, indemnité inflation, etc. Cependant, ces mesures pourraient être renforcées et mieux ciblées pour répondre aux besoins spécifiques des groupes les plus vulnérables.

Investir dans l’éducation pour briser le cycle de la privation

Pour lutter contre la transmission intergénérationnelle de la privation matérielle, il est crucial d’investir dans l’éducation et la formation professionnelle. Ainsi, des programmes visant à améliorer l’égalité des chances dès le plus jeune âge pourraient contribuer à réduire les inégalités à long terme.

Une étude de France Stratégie souligne l’importance de “renforcer les dispositifs d’accompagnement scolaire et d’orientation professionnelle pour les jeunes issus de milieux défavorisés”. Ces mesures pourraient alors inclure :

  • un soutien renforcé dans les zones d’éducation prioritaire,
  • des programmes de tutorat,
  • et des initiatives visant à faciliter l’accès à l’enseignement supérieur pour les jeunes issus de familles à faibles revenus.

Adapter les politiques aux spécificités territoriales

Les disparités géographiques en matière de privation matérielle appellent à une adaptation des politiques publiques aux réalités locales. Des mesures spécifiques pour améliorer l’efficacité énergétique des logements en zone rurale ou pour faciliter l’accès au logement abordable en zone urbaine pourraient contribuer à réduire ces écarts.

Le Plan de rénovation énergétique des bâtiments, lancé par le gouvernement français, vise à rénover 500 000 logements par an. Ce plan pourrait permettre de réduire de 15% la consommation énergétique des ménages d’ici 2023. De fait, une attention particulière pourrait être portée aux zones rurales, où les besoins en rénovation énergétique sont souvent plus importants.

En zone urbaine, des politiques de logement social plus ambitieuses pourraient être mises en place. La loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain) fixe déjà des objectifs de construction de logements sociaux dans les communes urbaines, mais son application reste inégale. Or, un renforcement de ces objectifs et un meilleur contrôle de leur réalisation pourraient contribuer à réduire la privation matérielle liée au logement dans les zones urbaines.

Conclusion

La privation matérielle reste un défi majeur pour la société française, malgré les efforts déployés. Ainsi, le taux de privation matérielle et sociale se stabilise à un niveau élevé. Cette stabilisation, bien que préoccupante, offre une opportunité pour repenser et renforcer les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

Ainsi, en combinant des mesures de soutien immédiat, des investissements à long terme dans l’éducation et l’emploi, et des politiques adaptées aux réalités locales, la France pourrait parvenir à réduire significativement la privation matérielle dans les années à venir.

La privation matérielle n’est pas une fatalité. Elle est le résultat de facteurs économiques, sociaux et politiques sur lesquels il est possible d’agir. En mettant en place des politiques ambitieuses et coordonnées, la France a le potentiel de réduire significativement la prévalence de la privation matérielle et d’améliorer la qualité de vie de millions de ses citoyens.

Comme le souligne l’étude de l’Insee, la stabilisation du taux de privation matérielle à un niveau élevé est un signal d’alarme qui appelle à une action renforcée. C’est aussi une opportunité pour repenser nos politiques sociales et économiques afin de construire une société plus juste et plus inclusive. C’est un défi complexe, mais c’est aussi une aspiration fondamentale de notre société : celle de garantir à chacun les conditions d’une vie digne et épanouissante.

Isabelle DAHAN

Isabelle DAHAN

Rédactrice en chef de Monimmeuble.com. Isabelle DAHAN est consultante dans les domaines de l'Internet et du Marketing immobilier depuis 10 ans. Elle est membre de l’AJIBAT www.ajibat.com, l’association des journalistes de l'habitat et de la ville. Elle a créé le site www.monimmeuble.com en avril 2000.

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