La conjoncture dans l’artisanat du bâtiment continue de se dégrader selon les derniers chiffres publiés par la CAPEB pour le 3ème trimestre 2024. Après un recul de 3% au 2ème trimestre, l’activité des entreprises artisanales du bâtiment a chuté de 5% sur un an. Cette baisse concerne tous les corps de métiers et toutes les régions, avec une situation particulièrement préoccupante dans le neuf. Dans ce contexte économique défavorable, les trésoreries des petites entreprises du bâtiment sont mises à mal. Elles font face à une diminution des commandes et des carnets de commandes au plus bas. Quelles sont les perspectives pour les prochains mois ? Comment enrayer cette spirale négative ?
Sommaire :
- La construction neuve en chute libre
- L’entretien-rénovation en baisse malgré les aides
- Conjoncture de l’artisanat du bâtiment : des disparités régionales
- Des trésoreries sous pression
- Des perspectives moroses
La construction neuve en chute libre
Le segment de la construction neuve est le plus touché par la dégradation de la conjoncture dans l’artisanat du bâtiment. Après une baisse de 6,5% au 2ème trimestre, l’activité recule de 11% au 3ème trimestre 2024 par rapport à la même période de 2023. Ainsi, ce niveau est proche du point bas atteint après la crise financière de 2008 (-11,5% au 4ème trimestre 2009 selon les données de la CAPEB).
La baisse est particulièrement notable pour les logements individuels. En effet, les autorisations de construire ont chuté de 23,6 % et les mises en chantier ont diminué de 33,4 % entre septembre 2023 et août 2024, comparativement aux 12 mois précédents, selon les données du SDES. Le modèle économique de la maison individuelle semble à bout de souffle.
Sans surprise, les constructeurs de maisons individuelles tirent la sonnette d’alarme. Selon les derniers chiffres de l’INSEE, leurs ventes ont dégringolé de 35% sur un an au 2ème trimestre. Les annulations de commandes se multiplient. Cette crise menace directement l’emploi du secteur.
Patrick Vandromme, président de LCA-FFB, principale fédération des constructeurs, s’alarme : “Nous sommes face à une vraie catastrophe. Si rien n’est fait, il y aura 15 000 pertes d’emploi d’ici fin 2024 dont 5 000 dans les trois prochains mois”.
Un modèle économique à réinventer
Le recul de la construction neuve met en lumière les fragilités structurelles du modèle de la maison individuelle. Désormais, l’envolée du prix du foncier rend l’accession à la propriété inabordable pour une part croissante de ménages. De plus, la raréfaction et le renchérissement du crédit achèvent de détériorer la solvabilité de la demande.
Pour s’adapter, les constructeurs tentent de développer de nouveaux concepts (maisons sur petits terrains, modulables, connectées…) mais peinent à contenir la hausse des coûts de construction. À cet effet, ils demandent un choc de simplification réglementaire pour faire baisser les prix. Mais au-delà d’ajustements techniques, c’est une véritable refonte du modèle qui semble nécessaire pour réconcilier pouvoir d’achat et habitat individuel.
L’entretien-rénovation en baisse malgré les aides
Représentant les 2/3 de l’activité des entreprises artisanales, le segment de l’entretien-rénovation résiste mieux. Toutefois, il n’échappe pas à la morosité ambiante. Ainsi, l’activité s’est repliée de 1% au 3ème trimestre dans la continuité du trimestre précédent. Les travaux d’amélioration de la performance énergétique sont aussi en recul de 0,5%.
Un paradoxe alors que la rénovation massive du parc de logements anciens est un enjeu majeur pour réduire les consommations d’énergie. Selon une étude de l’ADEME publiée en juillet 2024, il faudrait rénover 700 000 logements par an d’ici 2050 pour espérer atteindre la neutralité carbone, contre seulement 380 000 rénovations performantes en 2023.
La CAPEB pointe le tassement du marché immobilier dans l’ancien qui génère habituellement de nombreux chantiers de rénovation. Puisque les ventes de logements anciens ont chuté de 20% entre juillet 2023 et juillet 2024 d’après les Notaires de France. Ainsi, les ménages, fragilisés par l’inflation et la remontée des taux d’intérêt, reportent leurs projets de travaux.
“Beaucoup de nos clients ajournent ou réduisent la voilure sur leur chantier. La tendance est clairement au repli même si notre carnet de commandes nous permet encore de travailler”, témoigne Stéphane, artisan plombier-chauffagiste en Gironde.
Des aides à la rénovation énergétique à renforcer
Malgré le succès des dispositifs publics comme MaPrimeRénov, les travaux de rénovation énergétique marquent le pas. Les aides sont jugées trop faibles et complexes par de nombreux ménages et artisans.
La CAPEB réclame un renforcement des incitations fiscales et financières. À ce titre, la proposition inclut de réduire le taux de TVA sur les travaux de rénovation énergétique à 5,5 % (au lieu des 10 % actuels). Elle prévoit également de revaloriser les barèmes de MaPrimeRénov, en ciblant spécifiquement les ménages modestes et les logements considérés comme des passoires thermiques. Des mesures qui solvabiliseraient la demande et accéléreraient enfin le rythme des rénovations.
Conjoncture de l’artisanat du bâtiment : des disparités régionales
Si aucune région n’est épargnée par la dégradation de la conjoncture dans l’artisanat du bâtiment, certaines souffrent plus que d’autres. L’Île-de-France affiche la baisse la plus prononcée de l’activité au troisième trimestre, avec un recul de 7 % sur un an. Ce déclin représente une nette aggravation par rapport à la baisse de 1,5 % enregistrée au trimestre précédent. Le Centre-Val de Loire s’enfonce également avec -6%.
À l’opposé, les entreprises de PACA-Corse s’en sortent mieux avec “seulement” -3,5% d’activité. La région profite notamment du dynamisme de la rénovation sur le littoral et de la résilience du marché immobilier. Selon les données des Notaires de France arrêtées à fin juin 2024, les prix des appartements anciens continuent de progresser de 2,5% sur un an à Nice et de 3,8% à Toulon.
Entre les deux, des régions comme la Bretagne, les Pays-de-la-Loire ou la Nouvelle-Aquitaine connaissent un ralentissement plus limité autour de -4%. Mais, la tendance reste clairement défavorable sur tout le territoire. La carte des autorisations de construire et des mises en chantier de logements publiée par le ministère de la Transition écologique montre que le recul se généralise. Et, cela, même dans des zones historiquement dynamiques comme la façade atlantique.
Des plans de relance régionaux à mettre en place
Face à cette crise qui n’épargne aucun territoire, les régions tentent d’amortir le choc en activant différents leviers. Plusieurs d’entre elles ont lancé des plans de soutien à la rénovation énergétique pour doper localement la demande de travaux. C’est le cas de la région Nouvelle-Aquitaine qui propose une aide complémentaire à MaPrimeRénov pouvant aller jusqu’à 8000 euros.
D’autres misent sur la commande publique pour soutenir l’activité. La région Occitanie s’est ainsi engagée à relancer massivement les chantiers de rénovation des lycées. Toutefois, ces initiatives encore trop disparates gagneraient à être amplifiées et coordonnées dans un véritable plan de relance national de l’artisanat du bâtiment.
Des trésoreries sous pression
Cette crise de l’activité fragilise la santé financière des entreprises artisanales du bâtiment. Ainsi, 28% d’entre elles déclarent une dégradation de leur trésorerie au 3ème trimestre contre seulement 6% une amélioration. De plus, le solde d’opinion sur la trésorerie (différence entre entreprises faisant état d’une amélioration et celles signalant une détérioration) chute. Il baisse de -22 points contre une moyenne de long terme de -7,5 points.
Un quart des artisans (24%) font désormais état de besoins de trésorerie, contre 19% il y a un an, pour un montant moyen de 29 000 euros.
La baisse de l’activité est la première cause de ces tensions, citée par 55% des entreprises concernées. S’y ajoute l’allongement des délais de paiement pour 45% d’entre elles. En effet, c’est une préoccupation récurrente des artisans confrontés à des retards de règlement de la part de leurs clients particuliers comme professionnels.
D’ailleurs, cette situation pourrait encore se dégrader dans les mois à venir. Seulement 8% des artisans envisagent des embauches au 2nd semestre 2024 contre 10% des licenciements ou non-renouvellements de contrats. Cela confirme le retournement du marché de l’emploi dans le bâtiment après des années de pénurie de main d’œuvre. Selon l’Union des caisses de France du réseau Congés Intempéries BTP, l’emploi salarié dans le BTP a reculé de 1,6% sur un an au 2ème trimestre 2024, avec 25 300 destructions nettes d’emplois. C’est du jamais vu depuis 2015 !
Alléger les charges pour préserver les trésoreries
À court terme, des mesures d’urgence sont nécessaires pour soulager les trésoreries des artisans. À cet effet, la CAPEB demande un report des charges sociales et fiscales des entreprises les plus en difficulté. De même, elle réclame un allègement pérenne des impôts de production comme la C3S qui pèsent lourdement sur leurs marges.
Mais, pour être efficace, ce soutien conjoncturel doit s’accompagner de réformes structurelles pour restaurer durablement la rentabilité des entreprises. Ainsi, cela passe par :
- une réduction des contraintes administratives,
- une juste rémunération des artisans dans les marchés publics,
- ou encore un rééquilibrage des relations avec les industriels qui leur imposent leurs tarifs et conditions.
Des perspectives moroses de la conjoncture de l’artisanat du bâtiment
Les entrepreneurs artisanaux du bâtiment sont très inquiets pour la suite. Leurs carnets de commandes se réduisent à vue d’œil. Désormais, ils ne représentent plus que 71 jours de travail contre 77 jours un an auparavant.
L’horizon est particulièrement bouché dans le neuf avec un solde d’opinion de -25 points. L’entretien-rénovation résiste un peu mieux avec -10 points, mais le pessimisme domine.
Certes, le risque d’une récession globale de l’économie française, avec une contraction attendue du PIB de 0,3% en 2024 selon la dernière prévision de la Banque de France publiée en septembre, alimente le pessimisme. Le durcissement des conditions d’octroi des crédits immobiliers devrait continuer de peser sur le marché du logement neuf et ancien. La hausse du coût des matériaux (+6,2% sur un an en août 2024 d’après l’index BT50 du ministère de la Transition écologique) et la raréfaction de certains produits perturbent également les chantiers. Par exemple, le prix du béton cellulaire bondit de 30% sur les 9 premiers mois de 2024 selon une étude Xerfi.
Pour la CAPEB, seule une action vigoureuse des pouvoirs publics peut inverser la tendance. “Si rien n’est fait rapidement, c’est une part importante de notre tissu économique de proximité qui est menacée”, prévient Jean-Christophe Repon, président de la CAPEB, qui demande l’ouverture rapide d’une concertation de crise avec les organisations patronales du bâtiment.
Un plan d’urgence pour l’artisanat du bâtiment
Face à l’ampleur de la crise, les artisans réclament un véritable plan de sauvetage pour éviter une vague de faillites et de licenciements. Parmi les mesures d’urgence figurent :
- Un fonds de solidarité pour prendre en charge une partie des pertes d’exploitation
- Un dispositif exceptionnel de chômage partiel facilité et prolongé
- Un allègement massif des impôts et charges des entreprises (cotisations, taxe d’apprentissage, contribution formation…)
- La possibilité de renégocier ou étaler les échéances des Prêts Garantis par l’État (PGE)
À plus long terme, les professionnels attendent un plan de relance ambitieux pour restaurer durablement la compétitivité du secteur et sa capacité à répondre aux enjeux de la transition écologique. Cela passe par :
- un choc de simplification réglementaire,
- un soutien accru à la formation et à l’apprentissage,
- une politique fiscale favorable à la rénovation,
- ou encore une meilleure sécurisation des carnets de commandes avec les marchés publics.
Jean-Christophe Repon, président de la CAPEB, insiste : “Les entreprises artisanales du bâtiment ont démontré pendant la crise sanitaire qu’elles étaient une force sur laquelle le pays pouvait compter. Mais aujourd’hui, c’est l’État qui doit être présent à nos côtés. L’artisanat représente 60% des salariés du bâtiment. S’il s’effondre, c’est toute la reconstruction économique, sociale et environnementale qui est menacée. Le gouvernement doit prendre la mesure de l’enjeu et mettre en place un plan d’urgence et de relance digne de ce nom. C’est une question de survie pour nos entreprises et notre modèle”.