Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 septembre 2025 change la donne pour les copropriétaires. Après un incendie ayant endommagé la colonne montante électrique d’une résidence parisienne en 2010, Enedis a refusé de payer les travaux de réparation. Le syndicat des copropriétaires a dû débourser plus de 44 000 euros pour sécuriser l’installation. La justice vient de condamner Enedis à rembourser intégralement cette somme. Cette décision confirme qu’Enedis doit assumer l’entretien des colonnes montantes électriques et ne peut pas se défausser sur les copropriétaires. Pour toutes les copropriétés confrontées à des refus similaires, cet arrêt ouvre la voie à des recours concrets.
Sommaire :
- Qu’est-ce qu’une colonne montante électrique en copropriété ?
- Quel était le contexte de l’affaire jugée par la Cour d’appel ?
- Pourquoi le syndicat a-t-il saisi la justice ?
- Comment le tribunal a-t-il tranché l’affaire en première instance ?
- Quelle solution la Cour d’appel a-t-elle retenue ?
- Quelles sont les conséquences pratiques pour les copropriétés ?
À retenir – Colonne montante électrique et responsabilité d’Enedis
- Enedis est responsable de l’entretien et du renouvellement des colonnes montantes électriques appartenant au réseau public de distribution.
- Les copropriétaires peuvent obtenir le remboursement des travaux réalisés pour pallier la carence d’Enedis sur le fondement de la gestion d’affaire.
- Depuis la loi ELAN du 23 novembre 2018, toutes les colonnes montantes mises en service avant novembre 2018 appartiennent automatiquement au réseau public depuis le 23 novembre 2020.
- La saisine du Médiateur de l’Énergie suspend le délai de prescription et constitue une étape recommandée avant toute action judiciaire.
- Les anciennes conventions entre propriétaires et EDF sont inopposables aux syndicats de copropriétaires qui n’en sont pas parties.
Qu’est-ce qu’une colonne montante électrique en copropriété ?
Une installation essentielle pour alimenter l’immeuble
La colonne montante électrique achemine l’électricité depuis le réseau public jusqu’aux compteurs de chaque appartement. Cette colonne montante traverse verticalement le bâtiment, d’où son nom. Sans cette installation, impossible d’alimenter les logements en électricité.
L’article L. 346-2 du Code de l’énergie la définit comme “l’ensemble des ouvrages électriques en aval du coupe-circuit principal nécessaires au raccordement au réseau public de distribution d’électricité”. Cette définition exclut les compteurs eux-mêmes.
Qui est propriétaire de la colonne montante ?
Depuis la loi ELAN n°2018-1021 du 23 novembre 2018, la situation est claire pour la colonne montante électrique. Toutes les colonnes montantes mises en service avant novembre 2018 appartiennent automatiquement au réseau public depuis le 23 novembre 2020. Juridiquement, ces ouvrages appartiennent aux collectivités territoriales (articles L. 322-4 et L. 346-1 du Code de l’énergie). Mais, Enedis en assure l’exploitation par délégation. C’est bien au titre de sa qualité d’exploitant du réseau de distribution d’électricité que le Gestionnaire du Réseau de Distribution (GRD) est responsable de la gestion et de l’entretien des ouvrages. Environ 600 000 colonnes montantes électriques sont concernées sur le territoire français métropolitain.
Quel était le contexte de l’affaire jugée par la Cour d’appel ?
L’incendie de 2010 et le refus d’Enedis
Le 18 septembre 2010, un incendie endommage la colonne montante électrique de la résidence Raspail III à Paris. Les pompiers constatent que “des compteurs électriques ont brûlé aux 10ème et 12ème étages”. Un agent Enedis intervient alors en urgence pour sécuriser provisoirement la colonne montante.
Mais, dès 2012, Enedis refuse de financer les travaux définitifs sur cette colonne montante électrique. Le gestionnaire invoque une convention de 1964 signée entre l’ancien propriétaire et EDF, selon laquelle l’entretien incomberait aux copropriétaires. Et, les refus se succèdent en 2015 et 2016. La Ville de Paris intervient même en 2014 pour rappeler que les travaux d’urgence “n’avaient qu’un caractère provisoire et nécessitaient une mise en sécurité définitive”.
Les copropriétaires contraints d’agir
Face à cette impasse et aux dangers persistants, le syndicat des copropriétaires décide d’agir seul. En mars 2014, l’assemblée générale ratifie le choix de la société Carolina pour effectuer les travaux. Coût total : 60 926,81 euros. Après déduction de l’indemnité d’assurance (16 475,84 euros), le reste à charge est de 44 450,97 euros.
Important : le syndicat réalise ces travaux “sans en avertir la société Enedis, ainsi que celle-ci le reconnaît au dossier”, précise la Cour d’appel. Cette circonstance sera déterminante pour obtenir le remboursement.
Pourquoi le syndicat a-t-il saisi la justice ?
Le fondement juridique : la gestion d’affaire
Les copropriétaires ont assigné Enedis le 13 mars 2019 sur le fondement de la “gestion d’affaire”. En effet, ce mécanisme permet à quelqu’un qui gère l’affaire d’autrui, sans y être obligé et à son insu, d’obtenir le remboursement de ses dépenses.
L’article 1301 du Code civil dispose : “celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire” peut demander remboursement. L’article 1301-2 ajoute que “celui dont l’affaire a été utilement gérée doit rembourser au gérant les dépenses faites dans son intérêt”.

L’argument de la prescription rejeté
Enedis a tenté d’échapper à sa responsabilité en invoquant la prescription. Le délai légal est de 5 ans selon l’article 2224 du Code civil. Mais, les juges ont retenu le 25 mars 2015 (date du courrier de refus clair) comme point de départ. De plus, la saisine du Médiateur de l’Énergie entre mai et août 2017 a suspendu le délai pendant 3 mois (article 2238 du Code civil). Résultat : l’assignation du 13 mars 2019 était parfaitement recevable.
Le Médiateur a rendu sa recommandation le 30 août 2017. Celle-ci était sans appel : “Sauf à apporter la preuve que la colonne montante litigieuse n’ait pas été incorporée à la concession, [Enedis doit] assurer à ses frais son entretien et sa rénovation”.
Bien que non contraignante, cette recommandation a pesé lourd dans la décision des juges. Pour information, le Médiateur traite environ 20 000 litiges par an, dont une part croissante concerne les colonnes montantes depuis la loi ELAN.
Comment le tribunal a-t-il tranché l’affaire en première instance ?
Le tribunal judiciaire de Paris a rendu son jugement le 15 février 2022. Paradoxe : il a reconnu qu’Enedis était bien responsable de la colonne montante électrique, que la convention de 1964 était inopposable au syndicat, et que l’action n’était pas prescrite… mais il a quand même débouté les copropriétaires !
Selon les premiers juges, la gestion d’affaire n’était pas applicable, car le syndicat avait agi “en toute connaissance” du refus d’Enedis. Ainsi, ils ont considéré que l’exigence d’agir “à l’insu” du maître de l’affaire n’était pas remplie. Les copropriétaires ont dû faire appel.
Quelle solution la Cour d’appel a-t-elle retenue ?
La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 10 septembre 2025, a totalement infirmé cette position concernant la colonne montante électrique. Puisqu’elle a jugé que toutes les conditions de la gestion d’affaire étaient réunies.
Point crucial : “le syndicat des copropriétaires a pris la décision de faire procéder à la réfection de la colonne d’électricité endommagée par l’incendie sans en avertir la société Enedis, ainsi que celle-ci le reconnaît au dossier. Il est donc constant que le syndicat a agi à l’insu de la société Enedis, au vu de suppléer sa carence”.
La Cour précise qu’Enedis ne prouve pas que le syndicat aurait agi pour son propre compte. Au contraire, “les parties n’ont cessé de s’opposer sur le point de savoir qui était propriétaire de ladite colonne”. De plus, l’utilité des travaux était indiscutable au vu de la recommandation de la Ville de Paris.
La Cour a donc condamné Enedis à verser 44 450,97 euros au syndicat, correspondant au solde après déduction de l’indemnité d’assurance. S’y ajoutent 5 000 euros au titre des frais de justice et les dépens.
Quelles sont les conséquences pratiques pour les copropriétés ?
Une sécurité juridique renforcée
Cet arrêt établit un précédent majeur pour toutes les copropriétés. Enedis ne peut plus se retrancher derrière d’anciennes conventions signées entre les propriétaires initiaux et EDF pour refuser ses obligations d’entretien. À cet effet, la Cour a clairement jugé que ces conventions sont inopposables aux syndicats de copropriétaires qui n’en sont pas parties.
Plus important encore, l’arrêt confirme que lorsqu’un gestionnaire de réseau fait défaut dans ses obligations, les copropriétaires peuvent agir eux-mêmes pour réaliser les travaux nécessaires, puis obtenir le remboursement intégral des sommes avancées. Le mécanisme de la gestion d’affaire devient ainsi un outil juridique concret et efficace pour contraindre Enedis à assumer ses responsabilités financières.
Concrètement, cela signifie que si votre colonne montante électrique nécessite des travaux urgents et qu’Enedis refuse d’intervenir, vous n’êtes plus dans une impasse. Vous pouvez faire réaliser les travaux pour sécuriser votre immeuble, puis engager une procédure judiciaire pour récupérer les fonds. L’arrêt du 10 septembre 2025 vous donne une base juridique solide pour obtenir gain de cause.
La marche à suivre en cas de problème
- Solliciter Enedis par écrit. Multipliez les courriers et conservez tout. C’est grâce aux courriers de 2015 et 2016 que les copropriétaires ont pu prouver le refus d’Enedis et établir le point de départ de la prescription.
- Saisir le Médiateur de l’Énergie. Gratuit et accessible sur https://www.energie-mediateur.fr/, il suspend le délai de prescription et sa recommandation pèsera en justice.
- Faire réaliser les travaux en urgence si nécessaire. Si la sécurité l’exige, ne restez pas bloqués. Choisissez un prestataire qualifié, faites ratifier le choix en assemblée générale, et conservez toutes les factures.
- Engager une action judiciaire. Vous avez 5 ans à compter du refus clair d’Enedis pour agir sur le fondement de la gestion d’affaire (articles 1301 et suivants du Code civil).
Une précision technique importante
La Cour d’appel commet une petite imprécision juridique en affirmant qu’Enedis serait propriétaire des colonnes montantes électriques. En réalité, la propriété est plus complexe : selon les articles L. 322-4 et L. 346-1 du Code de l’énergie, ces ouvrages appartiennent aux collectivités locales, appelées Autorités Organisatrices de la Distribution d’Électricité (AODE). Ces collectivités confient ensuite l’exploitation du réseau à Enedis par un système de concession.
Toutefois, cette erreur de la Cour n’a aucune conséquence pratique sur vos droits. Qu’Enedis soit propriétaire ou simple exploitant, le résultat est le même. C’est bien Enedis qui doit assurer la gestion, l’entretien et le renouvellement des colonnes montantes électriques. Sa responsabilité découle de sa qualité d’exploitant du réseau de distribution, et c’est à ce titre qu’elle peut être condamnée à rembourser les travaux.
Pour vous, copropriétaires, retenez l’essentiel. Votre interlocuteur pour tous les problèmes de colonne montante électrique reste Enedis sur 95% du territoire. Dans certaines zones géographiques, notamment dans des villes comme Strasbourg, Metz, Grenoble ou Bordeaux, ce sont des Entreprises Locales de Distribution (ELD) qui gèrent le réseau électrique. Toutefois, le raisonnement juridique et vos droits au remboursement restent identiques, quel que soit le gestionnaire de votre secteur.