Les prix sont-ils encore significativement surévalués et comment permettre une re-solvabilisation progressive des ménages acheteurs, notamment des primo-accédants ? Olivier ELUERE, économiste au Crédit Agricole, nous livre son analyse.
La surévaluation d’un prix est l’écart entre le prix observé et le prix d’équilibre. Ce dernier reflète un marché « équilibré ». Le prix serait déterminé par les variables « fondamentales », démographie, revenus, loyers, taux, etc., et non pas par les variables « conjoncturelles » conduisant aux fortes fluctuations des marchés immobiliers (croissance, chômage, erreurs d’anticipations, mouvements spéculatifs, offre de logements mal adaptée, offre de crédit trop ou trop peu accommodante, etc.).
Pour mesurer la surévaluation des prix, diverses approches existent, aucune n’est parfaite. Les plus communément utilisées sont le rapport prix/loyers et le rapport prix/revenu. Le « tunnel de Friggit » est fondé sur une analyse de l’évolution sur longue période du ratio « prix des logements/revenu par ménage ».
« Ces approches sont intéressantes mais ne prennent pas en compte les variables financières. Or, la très grande majorité des achats immobiliers se font à crédit ; le niveau des taux de crédit et la durée du crédit sont deux variables essentielles qui influent sur la demande et sur les prix. Elles doivent intervenir dans le calcul de la surévaluation », souligne Olivier ELUERE, économiste au Crédit Agricole.
Les approches économétriques posent divers problèmes : il est difficile d’établir un lien économétrique entre les prix et plusieurs variables explicatives et il n’est pas sûr que ces variables couvrent les éléments fondamentaux. La « prime de risque » (différence entre le taux de rendement interne d’un investissement immobilier locatif et le taux obligataire) était communément utilisée dans le passé récent. Une prime de risque de l’ordre de 2% correspond à des prix correctement valorisés. Elle est très difficile à utiliser actuellement du fait du niveau extrêmement bas des taux obligataires.
« Pour évaluer la surévaluation des prix, nous utilisons une approche fondée sur les ratios de solvabilité. Ce ratio est égal au remboursement annuel (capital et intérêts) pour un nouvel acquéreur d’un crédit habitat à taux fixe, rapporté à son revenu », précise Olivier ELUERE.
Le ménage considéré perçoit le revenu moyen des ménages français. A chaque période, on calcule la surface qu’il peut acheter, au prix, au taux et à la durée de crédit du marché, en respectant la règle d’un ratio de solvabilité de 30%. Les calculs sont effectués avec les prix des logements anciens. Cet indicateur mesure donc la capacité d’achat de logement d’un ménage. On constate sur la période 1985-2007 que la surface achetable par le ménage « moyen » évolue de façon cyclique autour d’une surface moyenne d’environ 90 m2.
L’approche consiste à dire que les prix sont correctement évalués si le ménage « moyen » a la capacité d’acheter cette surface moyenne. Les prix sont surévalués (sous-évalués) si la surface achetable est inférieure (supérieure) à la surface moyenne. Lorsque le prix est surévalué, le ménage doit faire une concession en terme de surface. La surévaluation se mesure par l’écart entre la surface moyenne et la surface achetable.
Les prix de l’ancien étaient nettement surévalués, de 20%, au pic du cycle, début 2008. Ils l’étaient à nouveau nettement début 2012, 18%. La phase de correction du marché a réellement commencé fin 2011-début 2012. La baisse des prix cumulée depuis lors est actuellement de 7%. Les prix étaient encore surévalués, de 10% environ, en 2013. Mais les ménages se re-solvabilisent plus vite que prévu. Avec la baisse des prix et surtout le recul des taux de crédit des derniers trimestres, les prix sont, fin 2014 début 2015, très peu surévalués (entre 0 et 5%).
« Ceci ne veut pas dire que les primo-accédants vont revenir rapidement et massivement sur le marché. Comme on l’a vu dans le cycle précédent, il faut que les prix se corrigent encore et deviennent sous-évalués pour être jugés véritablement attractifs et initier une nouvelle phase haussière du marché », commente Olivier ELUERE.
Et il ajoute : « si les prix continuent à reculer lentement en 2015-2017, à un rythme de 2,5% par an, on aura au total une baisse cumulée de 14% depuis 2011. Si on suppose que les taux de crédit restent à peu près stables pendant trois ans au niveau de début 2015, et une accélération progressive des revenus nominaux des ménages, alors les ménages seront peu à peu re-solvabilisés. La surface achetable serait de 100 m2 environ fin 2017, contre 77 m2 fin 2011 et 83 m2 début 2014 ».
« Dans le cadre des hypothèses retenues, et en laissant le marché de l’ancien continuer à se corriger peu à peu, une re-solvabilisation des acheteurs et une reprise du marché immobilier pourraient se mettre en place d’ici deux à trois ans », conclut-il.