Face à la diversité des offres d’électricité et de gaz, les consommateurs se tournent de plus en plus vers les comparateurs d’offres d’énergie en ligne. Mais, ces outils sont-ils vraiment impartiaux ? Selon la dernière lettre du Médiateur national de l’énergie (février 2025), certains comparateurs privilégient leurs partenaires commerciaux au détriment de la transparence. Ce constat soulève des questions cruciales sur la régulation de ces plateformes, leurs obligations légales et les risques pour les consommateurs. Cet article explore les dérives du secteur et les solutions envisagées pour garantir une information fiable et indépendante.
Sommaire :
- Un marché en pleine expansion mais opaque
- Les dérives des comparateurs d’offres d’énergie
- Un cadre juridique encore trop flou
- Les solutions pour mieux protéger les consommateurs
Un marché en pleine expansion mais opaque
L’essor des comparateurs d’offres d’énergie
Depuis l’ouverture à la concurrence des marchés du gaz et de l’électricité, les consommateurs ont accès à un large choix d’offres. Selon le Médiateur national de l’énergie, en 2024, il existait environ 60 fournisseurs d’énergie en France, proposant des tarifs et des conditions très variables. Cette diversité a rendu le choix difficile pour de nombreux foyers.
Pour répondre à ce besoin, des comparateurs d’offres d’énergie se sont multipliés sur Internet. Ces plateformes promettent d’aider les consommateurs à trouver l’offre la plus avantageuse en fonction de leur profil de consommation. Aujourd’hui, certains comparateurs très connus comme Selectra, Hello Watt ou Les Furets génèrent plusieurs millions de visites chaque mois.
Un modèle économique biaisé
Contrairement aux comparateurs indépendants comme celui du Médiateur national de l’énergie ou de l’UFC-Que Choisir, la majorité des comparateurs privés sont rémunérés par les fournisseurs d’énergie eux-mêmes. Or, ce modèle économique pose un sérieux problème d’impartialité.
En effet, ces plateformes ne se contentent pas d’afficher les offres existantes, elles mettent en avant celles de leurs partenaires commerciaux. Cela signifie qu’un fournisseur qui paye plus cher pour être référencé peut obtenir une meilleure visibilité. Et, cela, même si son offre n’est pas la plus intéressante pour le consommateur.
“Les informations essentielles sur les critères de classement, les fournisseurs partenaires ou les modes de rémunération des comparateurs sont souvent difficiles à trouver, voire totalement absentes. Les consommateurs sont laissés dans le flou alors même qu’ils pensent obtenir une comparaison objective”, indique Olivier CHALLAN BELVAL, médiateur national de l’énergie.
Ce fonctionnement fausse la comparaison et crée une illusion d’objectivité. En effet, certains comparateurs ne précisent pas clairement leurs sources de rémunération. Ainsi, ils laissent croire aux utilisateurs qu’ils obtiennent un classement neutre des offres.
Les dérives des comparateurs d’offres d’énergie
Un manque de transparence sur les critères de comparaison
C’est pourquoi, le Médiateur national de l’énergie, Olivier Challan-Belval, alerte sur un manque de clarté dans la présentation des offres. Selon lui, « les informations essentielles sur les critères de comparaison sont souvent cachées dans des pages peu accessibles ou totalement absentes ».
Les consommateurs doivent parfois naviguer jusqu’en bas des pages pour trouver des détails cruciaux comme :
- La méthodologie utilisée pour classer les offres
- Les fournisseurs pris en compte dans la comparaison
- Les éventuelles commissions perçues par le comparateur
En 2017, l’association de défense des consommateurs CLCV (Consommation, Logement et Cadre de Vie) avait déposé une plainte contre plusieurs comparateurs d’offres d’énergie. Elle les accusait de ne pas respecter les obligations de transparence imposées par le Code de la consommation. L’association reprochait notamment à ces plateformes de ne pas divulguer clairement leurs liens financiers avec les fournisseurs d’énergie et de manquer de transparence sur les critères de classement des offres.
Après plusieurs années de procédure, la justice a tranché en 2019 en faveur de la CLCV, reconnaissant que ces comparateurs avaient failli à leur devoir d’information. L’une des principales critiques portait sur le fait que les comparateurs mettaient en avant certaines offres sans indiquer qu’elles étaient référencées en échange d’une rémunération.
Dans son jugement, le tribunal a rappelé que les articles L.111-7 et D.111-7 du Code de la consommation imposent aux comparateurs de fournir une information claire, accessible et exhaustive sur leurs méthodes de classement et leurs relations commerciales.
La décision judiciaire a d’ailleurs conduit à des mises en conformité de plusieurs plateformes. Mais, selon le Médiateur national de l’énergie, de nombreuses pratiques problématiques persistent encore aujourd’hui.
Des liens financiers cachés avec les fournisseurs
Un autre problème majeur concerne les liens financiers entre les comparateurs et les fournisseurs d’énergie. Puisque certains comparateurs appartiennent directement à des fournisseurs. Ce qui fausse complètement la neutralité des résultats.
Par exemple, le site Expertise Énergie est en réalité une filiale de TotalEnergies. Tandis que le site Ma Petite Facture est dirigé par le PDG d’Ohm Énergie. Dans ces cas, les consommateurs croient obtenir une comparaison objective, alors qu’ils sont en réalité orientés vers les offres du fournisseur propriétaire du site.
”Lorsqu’un comparateur appartient à un fournisseur d’énergie, il ne peut plus être considéré comme indépendant. Le consommateur doit pouvoir distinguer clairement un comparateur neutre d’un outil promotionnel déguisé”, souligne Olivier CHALLAN BELVAL.
Voici un tableau illustrant quelques exemples de comparateurs liés à des fournisseurs :
Des pratiques commerciales trompeuses
Certains comparateurs ont recours à des pratiques trompeuses pour attirer les consommateurs. Parmi les dérives constatées :
- Présenter des remises inexistantes
- Sous-évaluer la consommation pour afficher un prix mensuel plus bas
- Faire croire que toutes les offres du marché sont prises en compte, alors que seules les offres partenaires sont affichées
En mai 2024, la DGCCRF a infligé une amende de 400 000 euros à Selectra pour avoir trompé les consommateurs sur la nature de ses comparaisons.
Un cadre juridique encore trop flou
Une réglementation existante mais insuffisante
Le Code de la consommation impose aux comparateurs d’offres d’énergie de respecter des obligations de transparence. Pourtant, ces obligations restent souvent lettre morte, faute de contrôle suffisant.
La réglementation prévoit que les comparateurs doivent indiquer clairement :
- Les critères de classement des offres
- Les relations financières avec les fournisseurs
- Les modalités de référencement des offres
Cependant, faute de sanctions dissuasives, ces règles sont souvent ignorées.
“Les exigences légales en matière d’information sont trop vagues et insuffisamment contrôlées. Sans règles plus strictes et des sanctions réellement dissuasives, les dérives observées continueront”, alerte le médiateur de l’énergie.
L’absence d’encadrement du courtage en énergie
Contrairement aux secteurs de l’assurance ou de la banque, où les courtiers sont strictement encadrés, l’activité de courtage en énergie ne fait l’objet d’aucune réglementation spécifique. Cette situation permet dons à n’importe quelle entreprise de proposer un service de courtage sans avoir à respecter des obligations précises en matière de transparence et d’information des consommateurs.
Les solutions pour mieux protéger les consommateurs
C’est pourquoi, le Médiateur national de l’énergie recommande d’imposer aux comparateurs un modèle standardisé de présentation des offres. Il devra garantir une meilleure lisibilité des informations essentielles.
Une labellisation des comparateurs indépendants
Par ailleurs, plusieurs pays, comme la Belgique et le Royaume-Uni, ont mis en place un label officiel garantissant l’indépendance des comparateurs. Le Médiateur propose d’introduire un label similaire en France.
“Un label de confiance, attribué aux comparateurs respectant un cahier des charges strict en matière de transparence et d’indépendance, permettrait aux consommateurs d’identifier facilement les outils réellement neutres.”
Un contrôle plus strict et des sanctions renforcées
Pour mettre fin aux abus, un renforcement des pouvoirs de contrôle de la DGCCRF s’impose. Aujourd’hui, les procédures sont souvent trop longues et les sanctions insuffisamment dissuasives. Une meilleure surveillance permettrait d’identifier plus rapidement les plateformes qui ne respectent pas leurs obligations légales.
De plus, il est essentiel d’instaurer un mécanisme de suspension immédiate pour les sites contrevenants. Actuellement, même lorsqu’un comparateur est épinglé pour des pratiques trompeuses, il peut continuer à exercer pendant des mois avant qu’une sanction ne soit appliquée. En donnant à la DGCCRF la possibilité de bloquer temporairement l’accès à ces sites en cas de manquement avéré, les consommateurs seraient protégés plus efficacement contre les pratiques abusives.
De même, des sanctions plus lourdes, allant au-delà des simples amendes, devraient être envisagées. Par exemple, une interdiction d’exercer pour les plateformes récidivistes pourrait dissuader certaines entreprises de contourner la réglementation. Enfin, le Médiateur recommande d’interdire aux comparateurs d’offres d’exercer également l’activité de fourniture d’énergie, afin d’éviter les conflits d’intérêts.
Conclusion
Les comparateurs d’offres d’énergie devraient être un outil de transparence au service des consommateurs. Pourtant, leur modèle économique fausse souvent la réalité. Face à ces dérives, un encadrement plus strict s’impose pour garantir une information réellement impartiale.