Aller au contenu

Copropriété

Droit de surplomb : quelles obligations et solutions pour les copropriétés ?

Droit de surplomb : quelles obligations et solutions pour les copropriétés ?

Le droit de surplomb est une problématique méconnue, mais essentielle en matière d’isolation thermique par l’extérieur (ITE). En zone urbaine dense, ces travaux empiètent souvent sur le fonds voisin, soulevant des enjeux juridiques et techniques. Depuis la loi Climat et Résilience de 2021, un cadre légal encadre cette pratique, mais sa mise en œuvre reste complexe. À travers une analyse des documents de la FNAIM du Grand Paris et d’une enquête terrain auprès de copropriétés franciliennes, cet article décrypte les obligations, les freins et les solutions pour sécuriser un projet d’ITE en surplomb.

Sommaire :

Le cadre juridique du droit de surplomb

Les fondements du droit de surplomb

Le droit de propriété est un principe fondamental du Code civil, protégé par l’article 545. En effet, cet article interdit tout empiètement, même minime, sur un terrain voisin. Jusqu’à récemment, un simple débordement de toiture, un balcon ou une isolation mal anticipée pouvait conduire à une démolition judiciaire. Toutefois, la prise de conscience environnementale et les obligations liées à la rénovation énergétique ont conduit le législateur à introduire un assouplissement avec la loi Climat et Résilience.

Désormais, l’article L. 113-5-1 du Code de la construction et de l’habitation permet d’empiéter sur un fonds voisin jusqu’à 35 centimètres. À condition néanmoins que cela soit nécessaire pour atteindre une efficacité thermique optimale et que cette solution soit la seule techniquement viable. Cette avancée vise à faciliter la transition énergétique tout en encadrant les droits des propriétaires concernés.

Conditions du droit de surplomb (article L. 113-5-1 CCH)
Conditions du droit de surplomb (article L. 113-5-1 CCH)

Les obligations à respecter

L’exercice du droit de surplomb ne se fait pas sans contraintes. Le propriétaire qui souhaite entreprendre des travaux doit notifier son voisin par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte d’huissier. De plus, cette notification doit détailler précisément la nature du projet, fournir des plans avant et après travaux, et justifier l’impossibilité de recourir à une autre solution. Enfin, le bénéficiaire du surplomb doit proposer une indemnité au propriétaire du fonds surplombé, dont le montant peut être librement négocié ou fixé par le juge en cas de désaccord.

Une autre particularité de ce droit est son caractère révocable. Si le voisin obtient ultérieurement une autorisation de construire qui nécessite la suppression du débordement, c’est au propriétaire ayant réalisé l’ITE de prendre en charge les frais de dépose et de réfection. En effet, cette disposition permet d’éviter que le droit de surplomb ne devienne une contrainte définitive pour le propriétaire du terrain voisin.

Des obstacles nombreux pour les copropriétés

Le droit de surplomb : un sujet encore méconnu

Malgré son introduction dans la loi, le droit de surplomb reste largement ignoré par de nombreux gestionnaires de copropriété et maîtres d’œuvre.

L’enquête menée par Foucauld De Poncheville auprès de 25 copropriétés d’Île-de-France a révélé que seules 7 d’entre elles avaient rencontré une problématique de surplomb lors de travaux d’isolation. Pour autant, la majorité des gestionnaires interrogés ont reconnu qu’ils ne maîtrisaient pas parfaitement la procédure et ses implications juridiques.

D’ailleurs, Foucauld De Poncheville précise que « la plupart des syndics ne savent pas comment gérer ces cas, car ils sont rares et encore mal encadrés en pratique. On découvre souvent le problème une fois que les travaux ont été votés, et là, il est parfois trop tard ».

Notons que parmi ces 7 cas, 3 projets ont abouti grâce à des accords amiables, tandis que les voisins ou l’administration ont refusé ou bloqué les 4 autres, entraînant leur annulation, modification ou report.

Comme l’explique Isabelle Dalmas, juriste à la FNAIM du Grand Paris : « Le droit de surplomb est encore trop souvent perçu comme un concept flou. Beaucoup de syndics ne savent pas exactement comment l’appliquer et préfèrent éviter les démarches complexes qu’il implique ».

En outre, cette méconnaissance entraîne des erreurs de procédure, des oublis dans la notification des voisins ou des estimations erronées du montant des indemnités. Ce qui peut compromettre un projet.

Des refus fréquents et des recours limités

Lorsque les copropriétés considèrent le droit de surplomb, elles doivent faire face à la réticence des voisins. Certains propriétaires refusent catégoriquement tout empiètement. À cet effet, ils invoquent des raisons esthétiques, des craintes sur la revente de leur bien ou des contraintes d’entretien. Face à ces oppositions, le syndic peut saisir le tribunal judiciaire. Cependant, la procédure reste lourde et incertaine. Le juge devra alors vérifier que toutes les conditions sont réunies et que le voisin ne fonde pas son refus sur un motif légitime. Or, dans certains cas, les tribunaux privilégient la préservation du droit de propriété, rendant difficile l’imposition du surplomb.

Un refus emblématique : le cas de la rue Georges Sand à Paris

L’un des cas les plus révélateurs des difficultés rencontrées dans l’application du droit de surplomb concerne un projet d’isolation thermique par l’extérieur (ITE) dans un immeuble situé rue Georges Sand, à Paris. En effet, un syndicat de copropriétaires, géré par Foucauld De Poncheville, syndic chez MAVILLE IMMOBILIER, avait rigoureusement préparé ce projet en amont. Contrairement à d’autres projets où les parties découvrent tardivement le problème du surplomb, celui-ci avait intégré cette question dès le début.

L’architecte en charge de la rénovation avait mené une étude détaillée, incluant un diagnostic thermique et un bilan des solutions alternatives. Après plusieurs réunions, la copropriété concernée avait voté la mise en place de l’ITE en considérant le droit de surplomb. Dans ce cadre, une demande formelle avait été adressée à la copropriété voisine afin d’obtenir un accord avant l’envoi de la notification officielle. Cependant, cette démarche proactive n’a pas empêché un blocage catégorique du voisinage. Et, lors de leur assemblée générale, les copropriétaires de l’immeuble voisin ont opposé un refus net et argumenté, invoquant plusieurs motifs.

Les arguments avancés par la copropriété voisine

En effet, les voisins ne se sont pas opposés sur un simple principe de refus du surplomb, mais ont formulé trois objections majeures :

Un problème fonctionnel : l’ouverture des volets

L’isolant projeté sur la façade entraînait une surépaisseur de plusieurs centimètres qui, selon les plans fournis, empêchait les volets battants de se rabattre complètement contre le mur. Or, ce détail, souvent négligé en amont des travaux, était ici un point central. Les occupants de l’immeuble voisin, dont certains étaient des personnes âgées, estimaient que le changement du système d’ouverture de leurs volets représentait une contrainte trop lourde.

Un risque de pont thermique

L’architecte du syndicat de copropriété porteur du projet avait proposé une solution technique pour éviter les ponts thermiques au niveau des jonctions entre l’isolant et les murs mitoyens. Cependant, la copropriété voisine a estimé que les précautions prises étaient insuffisantes et que le projet risquait d’altérer l’efficacité énergétique du bâtiment. Cet argument a pesé lourd dans la décision des copropriétaires, soucieux de la qualité de leur propre isolation.

Une indemnisation jugée insuffisante

Comme le prévoit la loi, une proposition d’indemnité avait été formulée pour compenser l’empiètement du surplomb. Cependant, la copropriété voisine a jugé que le montant proposé était trop faible par rapport à la gêne occasionnée. Une demande de réévaluation a été faite, avec une exigence de compensation plus élevée. Face à cette demande jugée excessive, le syndicat de copropriété à l’origine des travaux a refusé d’augmenter l’indemnité. Par conséquent, cette décision a entraîné une rupture des négociations entre les parties.

Pourquoi la voie judiciaire n’a pas été privilégiée ?

Devant ce refus formel, la copropriété initiatrice du projet aurait pu faire usage du droit de surplomb en s’appuyant sur la procédure légale, en envoyant une notification officielle au voisin. Le bénéficiaire aurait alors interprété le silence du voisin pendant six mois comme une acceptation tacite. De même, en cas d’opposition, les parties auraient pu porter l’affaire devant le tribunal judiciaire.

Pourtant, le syndic Foucauld De Poncheville a estimé que cette option était trop risquée et incertaine. Il explique : « Nous avions deux choix : forcer la main au voisin en suivant la procédure légale, avec le risque d’un recours en justice, ou modifier notre projet pour éviter tout conflit. Nous avons choisi la seconde option, car une bataille judiciaire aurait retardé le chantier de plusieurs années ».

Face à cette situation, la copropriété a décidé d’abandonner l’ITE en surplomb et d’opter pour une autre solution. Ainsi, un compromis a été trouvé en réalisant une isolation thermique par l’intérieur (ITI) sur la façade concernée. Bien que cette alternative ait présenté des inconvénients majeurs, notamment une réduction de la surface habitable pour certains logements.

Ce type de situation montre que le droit de surplomb constitue effectivement une avancée législative. Toutefois, dans la pratique, son application demeure souvent difficile à mettre en œuvre sans un réel consensus entre les parties concernées.

Les alternatives pour éviter les conflits

L’accord amiable, une solution privilégiée

Plutôt que de se lancer dans une bataille judiciaire incertaine, de nombreuses copropriétés privilégient la négociation directe avec leurs voisins. Cette démarche permet d’adapter les conditions du surplomb aux contraintes de chacun et d’éviter les tensions inutiles. Les parties peuvent alors signer un accord écrit. Celui-ci détaille les engagements des parties, le montant de l’indemnité et les conditions de réalisation des travaux.

Comme le souligne un gestionnaire de copropriété interrogé : « Lorsqu’un voisin comprend qu’un mur lépreux sera remplacé par une façade rénovée et isolée, il est souvent plus enclin à accepter le projet, parfois même sans exiger d’indemnité ».

Des aides financières pour faciliter les travaux

Un autre levier pour convaincre les voisins repose sur les aides financières disponibles pour la rénovation énergétique. Des dispositifs comme MaPrimeRénov’ ou les subventions de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) peuvent couvrir une partie des coûts. Ainsi, ces aides rendent l’investissement plus attractif pour les copropriétés. Présenter ces avantages financiers lors des discussions avec les voisins peut être un argument décisif pour obtenir leur accord.

Comparatif entre voie amiable et recours judiciaire
Comparatif entre voie amiable et recours judiciaire

Comment réussir un projet d’ITE en surplomb ?

S’entourer des bons experts

Pour maximiser les chances de succès, il est essentiel de faire appel à des professionnels compétents dès les premières étapes du projet. Un architecte ou un bureau d’études peut vérifier la faisabilité technique de l’ITE et s’assurer du respect des règles d’urbanisme. De même, un notaire est indispensable pour rédiger un acte conforme et éviter toute contestation ultérieure.

Anticiper les formalités administratives

Les démarches liées au droit de surplomb sont strictement encadrées. Ainsi, il est crucial de notifier correctement le voisin et de constituer avec soin le dossier juridique. Une erreur dans la procédure peut entraîner un refus et compromettre le projet. Il est également recommandé de prévoir un plan B en cas d’opposition. Par exemple en envisageant une isolation par l’intérieur dans les zones les plus sensibles.

Conclusion

Le droit de surplomb représente une avancée majeure pour la rénovation énergétique des immeubles, mais sa mise en œuvre reste complexe et sujette à de nombreuses contraintes. Entre ignorance des syndics, réticences des voisins et lourdeur des procédures, chaque projet d’ITE en surplomb nécessite une anticipation rigoureuse et une approche stratégique. Dans un contexte où la transition énergétique est une priorité, il est essentiel de mieux former les acteurs de l’immobilier à ce dispositif et de favoriser les accords amiables. En s’appuyant sur une bonne préparation et sur des professionnels compétents, les copropriétés pourront réussir leurs travaux tout en respectant le cadre légal en vigueur.

Isabelle DAHAN

Isabelle DAHAN

Rédactrice en chef de Monimmeuble.com. Isabelle DAHAN est consultante dans les domaines de l'Internet et du Marketing immobilier depuis 10 ans. Elle est membre de l’AJIBAT www.ajibat.com, l’association des journalistes de l'habitat et de la ville. Elle a créé le site www.monimmeuble.com en avril 2000.

Laisser un commentaire