Face à une crise de l’immobilier sans précédent, comment répondre aux besoins croissants en logement ? La baisse drastique des transactions immobilières et la réduction de 40% de la production de crédits immobiliers témoignent d’un changement majeur. Patrice Vergriete, Ministre du Logement, était présent lors du congrès IMMO FNAIM. À cette occasion, il a répondu aux questions de Loïc Cantin, président de la FNAIM. Quelles sont les différentes stratégies envisagées pour stabiliser et revitaliser le marché immobilier, en tenant compte des intérêts des acheteurs, des vendeurs, et de l’économie globale.
Sommaire :
- Face à la crise de l’immobilier, comment inverser la tendance ?
- Est-ce que la baisse des prix est la seule solution pour résoudre la crise de l’immobilier ?
- Est-ce que la solution de portabilité et de transférabilité des crédits immobiliers représente une réponse efficace ?
- Comment éviter le report de l’accession à la propriété vers le locatif ?
Face à la crise de l’immobilier, comment inverser la tendance ?
La baisse significative des transactions de logements anciens et la chute de 40% de la production de crédits immobiliers marquent un tournant historique. Des milliers de foyers se voient priver de la possibilité d’acheter ou d’investir dans l’immobilier. Comment pouvons-nous inverser cette tendance ?
En réponse, Patrice Vergriete, Ministre du Logement, présent au congrès IMMO FNAIM, souligne la gravité inédite de cette crise de l’immobilier, exacerbée par la hausse des taux d’intérêt.
“ Certes, la multiplication par trois des taux d’intérêt entraîne une chute marquée des crédits immobiliers. Cette hausse des taux contribue à réduire les prêts. Face à cette réalité, il est impératif que les prix du marché immobilier s’ajustent en conséquence. Dans le secteur immobilier, de tels ajustements sont souvent lents, mais ils sont nécessaires. Il est essentiel de ne pas entraver cette baisse des prix, car elle doit se produire. En France, les recherches de Jacques FRIGGIT l’ont démontré. Depuis le début des années 2000, les prix de l’immobilier ont cessé de refléter le pouvoir d’achat immobilier des ménages.” – Patrice Vergriete, Ministre du Logement.
Selon le ministre, les prix doivent revenir à un niveau aligné sur ce pouvoir d’achat. Nous devons être réalistes et accepter que les niveaux de crédit exceptionnels observés entre 2018 et 2022 ne reviendront pas. Il est temps d’abandonner toute illusion : les conditions de taux d’intérêt ne seront plus celles que nous avons connues par le passé.
Est-ce que la baisse des prix est la seule solution pour résoudre la crise de l’immobilier ?
Loïc Cantin. Penchons sur l’analyse économique du marché immobilier. Le ministre a évoqué les courbes de Friggit, bien connues des économistes immobiliers. En effet, ces études montrent que les prix de l’immobilier se sont décorrélés du pouvoir d’achat des ménages. En effet, ils ont augmenté jusqu’à 2,5 fois depuis la baisse des taux d’intérêt. Or, cette baisse des taux a donné plus de pouvoir d’achat, ce qui a entraîné une hausse des prix immobiliers.
Toutefois, nous observons aujourd’hui un phénomène contraire. L’augmentation des taux d’intérêt entraîne mécaniquement une baisse des prix. C’est un mouvement de balancier typique de l’économie. Actuellement, avec des taux d’intérêt autour de 4,5%, on constate un ajustement immédiat des prix du marché. Ce réajustement des prix semble donc être la clé pour rétablir l’équilibre du marché immobilier.
Pour autant, la hausse rapide des taux a principalement affecté le volume des transactions. Cependant, l’impact sur les prix est généralement différé. On dit souvent que la baisse du volume des transactions précède la baisse des prix. En 2023, bien que la baisse des prix ait commencé, elle reste modeste. Ainsi, on l’estime à environ 4% en moyenne en France. De plus, cette baisse n’est pas uniforme sur tout le territoire. Mais, dans l’ensemble, les baisses de prix sont plus importantes là où les prix avaient le plus augmenté ces dernières années. Les zones rurales, par exemple, n’ont pas connu de hausse significative et sont donc moins concernées.
Est-ce que la solution de portabilité et de transférabilité des crédits immobiliers représente une réponse efficace ?
Depuis quelques mois, la Fédération Nationale de l’Immobilier (FNAIM) suggère l’instauration de la transférabilité et de la portabilité des prêts immobiliers. À cet effet, la portabilité permettrait à un propriétaire de conserver son emprunt initial pour financer une nouvelle acquisition immobilière. En d’autres termes, au lieu de souscrire un nouveau prêt lors de l’achat d’un nouveau bien, l’emprunteur pourrait simplement transférer son prêt existant vers ce nouvel achat. Parallèlement, la transférabilité implique que le prêt soit lié au bien immobilier lui-même plutôt qu’à l’emprunteur. Ainsi, lors de la vente d’un bien, le prêt pourrait être transféré du vendeur à l’acheteur.
> Consulter notre article sur : “La politique du logement en péril : la FNAIM tire la sonnette d’alarme”
En complément, la réintroduction de la déduction fiscale des intérêts d’emprunt pour l’achat d’une résidence principale contribuerait également à renforcer la confiance des futurs propriétaires. Cela leur permettrait d’éviter les conséquences de la hausse des taux d’intérêt lors de l’acquisition d’une nouvelle propriété. Cette proposition apparaît moins risquée que les crédits relais, actuellement déconseillés en période de hausse des taux et de crise de l’immobilier. De plus, elle s’avère plus adaptée que les récentes mesures du Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) qui ne facilitent pas l’accès au crédit.
“L’idée de la portabilité des prêts immobiliers a retenu mon attention pour son intérêt potentiel. Après examen, il apparaît que cette option serait envisageable uniquement pour les nouveaux emprunts, c’est-à-dire ceux contractés à partir de maintenant. En effet, un prêt immobilier constitue un contrat établi, et il est impossible de modifier rétroactivement ses termes.” – Patrice Vergriete, Ministre du Logement.
En cas de changement de doctrine de l’État, les contrats en cours pourraient être révisés
Certes, les banques sont réticentes à l’idée de la portabilité des prêts immobiliers. Elles préfèrent récupérer des capitaux lors de la vente d’un bien pour les réinvestir à des taux d’intérêt plus élevés. En France, le taux de rotation moyen des biens immobiliers est de sept ans. Or, beaucoup de prêts ont été souscrits à un taux d’environ 1% il y a deux ans, ce qui nous laisse un certain délai.
“ Ce que je propose n’est pas une portabilité sans fin, ni l’envoi d’un signal négatif au marché. Il s’agit simplement d’une mesure temporaire, pour un ou deux ans, le temps de surmonter la crise de l’immobilier actuelle. Concernant les taux d’intérêt, l’incertitude demeure. Malgré les discours sur une stabilisation des taux, après onze hausses consécutives de la BCE, nous restons dans l’attente de voir les effets réels.” – Loïc Cantin, Président de la FNAIM.
Pour Loïc Cantin, face à la crise de l’immobilier, l’État a la capacité d’intervenir sur le plan juridique, en tenant compte de l’urgence de la situation. En effet, lorsqu’un client demande la portabilité de son prêt immobilier dans le contexte de cette crise, il se heurte souvent à la réponse que cette option n’est pas prévue dans son contrat initial.
“Cependant, en cas de changement de doctrine de l’État, les contrats en cours pourraient être révisés. Cela ne s’est que rarement vu, mais une telle inversion pourrait être considérée comme d’intérêt national. Ce qui semble manquer dans cette situation, c’est davantage une question de volonté et de courage politique.” – Loïc Cantin.
Comment éviter le report de l’accession à la propriété vers le locatif ?
La crise de l’immobilier incite de nombreux ménages à rester locataires. Ce qui limite la libération de logements pour les nouveaux arrivants. De plus, avec l’approche de la loi climat & résilience et ses implications dès le 1er janvier 2025, nous observons une réticence des propriétaires âgés, notamment ceux de plus de 80 ans, à engager des travaux de rénovation énergétique. À cet âge, la tendance est plutôt à la vente, ce qui réduit encore l’offre de logements et accentue la tension sur le marché.
“ Il est crucial de repenser le statut du bailleur privé. Qu’il s’agisse d’une déduction forfaitaire ou d’un système d’amortissement, l’essentiel est de permettre une déduction du revenu global. Comme cela se faisait avec le dispositif Périssol. Un abattement de 30%, tel qu’il existait auparavant, devrait être réintroduit pour l’ensemble du secteur locatif. Cela créerait une incitation fiscale significative et équitable pour tous les propriétaires, et un tel système a déjà prouvé son efficacité.” – Loïc Cantin.
Cependant, ce qui inquiète actuellement, ce sont les signaux contradictoires envoyés par les politiques en place. Comme l’encadrement des loyers instauré par la loi ALUR et poursuivi par la loi ELAN, puis étendu par la loi 3DS. Or, l’expérimentation continue dans certaines villes, comme récemment dans le Pays basque et à Grenoble. En cela, ces mesures envoient des signaux négatifs aux bailleurs, qui perdent confiance et sont réticents à investir.
Trouver un équilibre entre la justice fiscale et les incitations nécessaires
Pour stimuler l’investissement immobilier des particuliers, il est essentiel de trouver un équilibre entre la justice fiscale et les incitations nécessaires. Nous pouvons nous interroger sur la pertinence des abattements fiscaux appliqués à certains dispositifs. C’est le cas, notamment pour les meublés touristiques, dont la justification n’est pas toujours évidente. En revanche, il est crucial de soutenir les investisseurs privés qui s’engagent dans la location à long terme.
“ Une politique de justice fiscale doit être mise en place. En effet, elle doit assurer une répartition équitable des charges fiscales tout en offrant des incitations attractives pour les bailleurs privés. Ces mesures sont d’autant plus importantes quand on considère que les particuliers représentent environ 25% du parc immobilier locatif. Il faut donc encourager les particuliers à investir dans la location de longue durée. Cela contribuera à dynamiser le marché et à répondre aux besoins en logements.” -Patrice Vergriete, Ministre du Logement.
Conditionner l’encadrement des loyers à un engagement minimal en matière de production de logements
L’encadrement des loyers est une mesure qui peut potentiellement décourager les bailleurs. Une réflexion approfondie s’impose alors pour déterminer les conditions dans lesquelles les élus locaux, dans le cadre de la décentralisation, pourraient être responsabilisés à ce sujet.
“ Je suis ouvert à l’idée d’intégrer cette approche dans la nouvelle loi Logement prévue pour le printemps. Une loi qui promet de transformer radicalement les règles du jeu dans le secteur immobilier. Je soutiendrai l’idée de conditionner l’encadrement des loyers à un engagement minimal en matière de production de logements.” – Patrice Vergriete, Ministre du Logement.
Autrement dit, les autorités locales pourraient mettre en place un encadrement des loyers. Mais, seulement si elles s’engagent en parallèle à augmenter l’offre de logements. Si cet engagement en termes de production n’est pas respecté, alors l’utilisation de l’encadrement des loyers ne devrait pas être autorisée. Selon le ministre, cette approche garantirait un équilibre entre la régulation des prix de location et la stimulation nécessaire à la production de logements.
En conclusion, la crise actuelle du marché immobilier en France nécessite des solutions innovantes et pragmatiques pour rétablir l’équilibre entre l’accessibilité au logement et la stabilité économique. Toutefois, l’efficacité de ces mesures dépendra de la volonté politique et de l’engagement des acteurs du secteur à mettre en œuvre ces changements. La résolution de cette crise immobilière sera un indicateur clé de la capacité de la France à innover et à s’adapter dans un environnement économique en constante évolution.