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Rénovation

Architectes des Bâtiments de France : gardiens du patrimoine face à la transition écologique

Architectes des Bâtiments de France : gardiens du patrimoine face à la transition écologique

Les Architectes des Bâtiments de France (ABF) se trouvent aujourd’hui à la croisée des chemins. Sentinelles du patrimoine architectural français depuis plus de 70 ans, ces professionnels font face à des défis sans précédent. Comment concilier la préservation de notre héritage culturel avec les impératifs de la transition écologique et les attentes des citoyens ? Un récent rapport sénatorial met en lumière les tensions grandissantes entre les ABF, les élus locaux et les porteurs de projets. Face à une charge de travail en constante augmentation et des critiques sur la variabilité de leurs décisions, les ABF doivent se réinventer. Le rapport propose 24 recommandations audacieuses pour moderniser leur rôle, renforcer le dialogue avec les acteurs locaux et adapter leur expertise aux enjeux du 21e siècle. L’avenir de nos paysages urbains et ruraux en dépend.

Sommaire :

Le rôle des Architectes des Bâtiments de France

Gardiens du patrimoine architectural

Les Architectes des Bâtiments de France (ABF) occupent une place centrale dans la préservation du patrimoine paysager français. Leur mission principale est de contrôler les espaces protégés. À cet effet, ils s’assurent de l’insertion harmonieuse des projets dans leur environnement. De plus, les ABF conseillent les collectivités territoriales et les particuliers en matière d’architecture, d’urbanisme et de paysage.

Comme le souligne Victor Hugo, cité dans le rapport : “Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire c’est dépasser son droit”.

Un champ d’action conséquent

Les ABF interviennent sur 8% du territoire national, ce qui représente 31,7% des logements en France. Leur expertise s’étend sur un vaste périmètre. Puisque cela inclut les abords des monuments historiques et les sites patrimoniaux remarquables.

Selon les chiffres fournis par le ministère de la culture, on compte actuellement 189 ABF répartis dans les territoires. Depuis les années 1960, leur champ d’intervention s’est considérablement élargi. D’une part, le nombre de monuments classés a augmenté. D’autre part, l’État a mis en place de nouveaux outils de protection. Par exemple, il a créé les Périmètres de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) en 1962. Ces derniers s’intègrent désormais dans un dispositif plus large : les Sites patrimoniaux remarquables (SPR). Ainsi, les ABF ont vu leurs responsabilités s’étendre progressivement au fil des décennies.

Les défis contemporains des Architectes des Bâtiments de France

La surcharge administrative des Architectes des Bâtiments de France

Les Architectes des Bâtiments de France font face à une augmentation significative de leur charge de travail. Entre 2013 et 2023, le nombre d’avis émis a progressé de 63%, alors que les effectifs n’ont augmenté que de 6%. Dans 40% des départements, on ne compte qu’un seul ABF. Or, ce manque de personnel est particulièrement problématique, notamment dans les zones rurales. En effet, ces territoires peinent à faire face à la charge de travail croissante avec des ressources aussi limitées.

Le rapport de juin 2022 sur la politique de l’État en faveur du patrimoine monumental souligne ainsi “le caractère excessivement administratif des tâches des ABF”. En effet, cette surcharge administrative limite leur capacité à exercer pleinement leur mission de conseil et de dialogue auprès des élus et des porteurs de projets.

La complexification du cadre légal

Les ABF doivent composer avec un cadre juridique de plus en plus complexe. En effet, pas moins de 71 textes différents encadrent leur activité. Ces derniers sont de nature législative, réglementaire ou infra réglementaire. De plus, ces textes sont dispersés à travers six codes distincts, à savoir :

  • Patrimoine
  • Environnement
  • forestier
  • Code général des impôts
  • Code de la construction et de l’urbanisme
  • Voirie routière

Cette complexité rend leur tâche plus ardue et peut contribuer à l’incompréhension de leurs décisions.

La transition écologique : un défi majeur pour les ABF

Les Architectes des Bâtiments de France se trouvent aujourd’hui au cœur d’un défi de taille : concilier la préservation du patrimoine avec les impératifs de la transition écologique. Cette mission s’avère particulièrement complexe pour plusieurs raisons.

Des objectifs parfois contradictoires

D’un côté, les ABF doivent veiller à la conservation de l’authenticité et de l’intégrité des bâtiments historiques. De l’autre, ils sont tenus de prendre en compte les nouvelles normes environnementales et énergétiques. Or, ces deux objectifs peuvent parfois sembler contradictoires. Par exemple, l’installation de panneaux solaires sur les toits d’un centre-ville historique peut améliorer l’efficacité énergétique, mais altérer l’esthétique traditionnelle du lieu.

D’ailleurs, en décembre 2023, un guide sur l’insertion architecturale et paysagère des panneaux solaires a été diffusé. Ce document témoigne de la volonté d’harmoniser les pratiques et de fournir des lignes directrices claires. Cependant, comme l’a constaté la mission d’information, ce sujet reste source de nombreuses incompréhensions et de débats.

Des défis techniques spécifiques

Par ailleurs, le bâti ancien présente des caractéristiques particulières qui compliquent son adaptation aux normes énergétiques modernes. Les murs épais en pierre, les fenêtres d’origine, ou encore les systèmes de ventilation naturelle sont autant d’éléments qui contribuent à l’identité du bâtiment. Ainsi, ils peuvent être difficiles à modifier sans en altérer le caractère.

Des innovations à intégrer

Face à ces défis, de nouvelles solutions émergent. Par exemple, des tuiles solaires imitant l’aspect des tuiles traditionnelles ont été développées. De même, des systèmes de double vitrage spécialement conçus pour les fenêtres anciennes permettent d’améliorer l’isolation tout en préservant l’esthétique d’origine. Les Architectes des Bâtiments de France doivent donc continuellement se former pour évaluer ces nouvelles technologies et leur pertinence dans chaque contexte.

Les enjeux de la rénovation énergétique

La rénovation énergétique du bâti ancien est un autre défi majeur. Les Architectes des Bâtiments de France font face à un défi de taille : concilier performance énergétique et préservation du patrimoine. D’un côté, ils doivent améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments. De l’autre, ils ont pour mission de conserver leurs caractéristiques historiques. Pour relever ce double défi, des solutions sur mesure s’imposent souvent. Cependant, ces approches personnalisées ne sont pas sans inconvénients. En effet, elles s’avèrent généralement plus coûteuses et plus complexes à mettre en œuvre que les rénovations standards. Ainsi, les ABF doivent constamment jongler entre ces différentes contraintes pour trouver le meilleur compromis possible.

Vers une approche intégrée

Pour répondre à ces défis, le rapport sénatorial recommande plusieurs mesures :

  • La nomination d’un référent en matière de transition énergétique et environnementale au sein de chaque Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC).
  • L’adaptation du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) aux spécificités du bâti patrimonial ancien.
  • La refonte du dispositif d’aides publiques pour soutenir les techniques de rénovation énergétique respectueuses du bâti patrimonial.
  • La modification de la loi sur l’architecture pour inclure explicitement la réhabilitation des constructions parmi les activités d’intérêt public.

Ces recommandations visent à créer un cadre plus propice à l’intégration des enjeux écologiques dans la pratique des ABF, tout en respectant leur mission fondamentale de protection du patrimoine.

Les points de friction avec les acteurs locaux

La variabilité des décisions

L’une des principales critiques adressées aux Architectes des Bâtiments de France concerne la variabilité et le manque de prévisibilité de leurs avis. En effet, les élus et les porteurs de projets déplorent des décisions parfois imprévisibles, susceptibles de varier d’un ABF à l’autre ou d’un département à l’autre.

Architectes des Bâtiments de France
Cette perception est renforcée par les résultats de la consultation en ligne menée par la mission d’information entre le 23 mai et le 17 juin 2024. Cette consultation a recueilli près de 1 500 réponses et 600 témoignages directs, soulignant l’importance de cette problématique pour les acteurs locaux.

Pour chaque demande d’urbanisme dans leur zone de compétence, les ABF peuvent émettre trois types d’avis. Si les refus sont rares, les accords avec prescriptions représentent la moitié des avis émis par l’ABF. Ainsi, L’Architecte des Bâtiments de France est souvent identifié à ce pouvoir dit de “l’avis conforme”.

Le coût des prescriptions

La moitié des décisions des Architectes des Bâtiments de France sont des accords assortis de prescriptions. En outre, ces dernières peuvent engendrer des travaux significativement plus coûteux que le budget initial prévu par les porteurs de projets. Ce qui suscite des frustrations. Par exemple, lors de la visite de la mission à l’esplanade Fourvière à Lyon le 11 juillet 2024, des élus ont témoigné de cas où les prescriptions des ABF avaient conduit à une augmentation substantielle du coût des projets de rénovation.

Le manque de pédagogie

Les avis rendus par les Architectes des Bâtiments de France sont parfois perçus comme insuffisamment motivés. Un refus ou un accord avec prescriptions émis sans explications claires peut générer de l’incompréhension et fragiliser juridiquement les projets. Lors de la rencontre avec les élus à la mairie de Rochecorbon le 17 juillet 2024, plusieurs témoignages ont souligné ce manque de pédagogie, appelant à une meilleure communication des décisions des ABF.

Les recommandations pour l’avenir

Faciliter la prise en compte du patrimoine par les élus

Le rapport sénatorial propose de généraliser les périmètres délimités des abords (PDA), créés en 2016. Ces PDA permettent d’adapter la restriction générale d’urbanisme dans un rayon de 500 mètres autour des monuments historiques à l’intensité patrimoniale constatée dans chaque collectivité.

Faciliter la prise en compte du patrimoine par les élus
Un exemple concret de l’efficacité de cette approche est illustré par le PDA mis en place autour de l’îlot prototype de la Cité des États-Unis à Lyon. À cet effet, ce PDA, défini en 2024, a permis de réduire significativement la zone de protection tout en préservant l’essentiel du patrimoine architectural.

Améliorer la lisibilité des décisions

Par ailleurs, le rapport sénatorial propose plusieurs pistes pour améliorer la compréhension des décisions des Architectes des Bâtiments de France. Tout d’abord, il suggère d’instaurer un principe de transparence pour les décisions rendues. Ensuite, il recommande la diffusion de guides méthodologiques partagés. Ces deux mesures visent un objectif commun : permettre aux élus et aux porteurs de projets de mieux anticiper les futurs avis des ABF. En effet, en ayant accès à des décisions antérieures et à des lignes directrices claires, les parties prenantes pourraient mieux comprendre les critères d’évaluation. Par conséquent, cela faciliterait la préparation de leurs projets en amont, réduisant ainsi les risques de désaccords ou de malentendus.

Parmi les propositions du rapport, une recommandation se démarque particulièrement. Il s’agit de la création d’un registre national en ligne des avis rendus par les ABF. Ce registre présenterait plusieurs caractéristiques clés. Tout d’abord, il serait accessible gratuitement au public. Ensuite, il permettrait de consulter l’ensemble des avis, classés par localisation. L’objectif de cette mesure est double. D’une part, elle vise à accroître la transparence des décisions des ABF. D’autre part, elle cherche à renforcer la cohérence de ces décisions sur l’ensemble du territoire. En effet, en rendant ces informations facilement accessibles, on favoriserait une harmonisation des pratiques entre les différentes régions.

Renforcer la formation et l’information

Le développement d’une culture patrimoniale auprès des élus et des publics scolaires est préconisé. Le rapport recommande également de mettre en place des formations sur les enjeux associés au bâti patrimonial, notamment pour les agents des services instructeurs des demandes d’autorisation d’urbanisme.

De plus, une attention particulière est portée aux Conseils d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE). Le rapport suggère d’améliorer la connaissance du rôle des CAUE par les élus et d’en constituer dans les départements qui n’en sont pas encore dotés. En effet, ces organismes jouent un rôle crucial dans la sensibilisation et la formation aux enjeux patrimoniaux et architecturaux.

Adapter les missions des ABF

Face à l’accroissement de leurs missions, le rapport propose de repenser et mieux hiérarchiser les tâches des Architectes des Bâtiments de France. L’objectif est de renforcer leur fonction de conseil, considérée comme essentielle.

Ainsi, une recommandation concrète consiste à définir et hiérarchiser les missions des Unités Départementales de l’Architecture et du Patrimoine (UDAP) en annexe au décret n° 2010-633 du 8 juin 2010. Et, cela, conformément aux orientations prises dans l’instruction n° 5399/SG du 1er juillet 2009. Cette mesure vise à clarifier les priorités et à permettre aux ABF de se concentrer sur leurs missions essentielles.

Le rapport sénatorial propose une mesure audacieuse concernant les missions des ABF. En effet, il suggère de retirer la sécurisation des cathédrales de leurs attributions. Cette recommandation peut sembler surprenante de prime abord. Cependant, elle s’inscrit dans une logique bien précise. L’objectif est de permettre aux ABF de se recentrer sur ce qui constitue le cœur de leur métier. D’une part, la protection du patrimoine architectural. D’autre part, leur rôle crucial de conseil auprès des collectivités et des particuliers. Ainsi, en les déchargeant de cette tâche spécifique, le rapport vise à optimiser l’utilisation de leur expertise et de leur temps.

Renforcer l’attractivité du métier

Pour maintenir une expertise de haut niveau, le rapport suggère de recruter au moins un ABF supplémentaire par département et d’améliorer l’offre de formation continue. Cette recommandation s’appuie sur le constat d’une surcharge de travail croissante des ABF, avec des effectifs qui n’ont pas suivi l’augmentation du nombre de dossiers à traiter.

Le rapport préconise de relever le plafond d’emplois applicable aux UDAP dans les lois de finances pour 2025 et 2026 et de définir un plan pluriannuel de renforcement des effectifs des UDAP. La formation continue des ABF est un autre point crucial abordé par le rapport. Tout d’abord, il recommande de renforcer l’offre de formation existante. Parallèlement, il préconise de la rendre plus accessible. Pour atteindre ces objectifs, le rapport met l’accent sur un acteur clé : l’École de Chaillot. Cette institution, rattachée à la Cité de l’architecture et du patrimoine, est reconnue pour son expertise dans la formation des architectes du patrimoine. Ainsi, le rapport suggère de renforcer son rôle dans la formation continue des ABF. L’idée est de permettre à ces professionnels de maintenir leurs connaissances à jour face aux évolutions constantes de leur domaine. En fin de compte, cette mesure vise à garantir une expertise de haut niveau au service de la préservation du patrimoine français.

Intégrer les enjeux environnementaux

Enfin, le rapport souligne l’importance d’adapter le bâti patrimonial ancien aux contraintes du réchauffement climatique. Il propose notamment de nommer un référent en matière de transition énergétique et environnementale au sein de chaque Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC).

Une recommandation importante concerne l’adaptation du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) aux spécificités du bâti patrimonial ancien. En effet, le rapport reconnaît les efforts déjà entrepris par le ministère de la transition écologique dans ce domaine. Cependant, il estime que ces avancées doivent être accélérées. Pour ce faire, le rapport propose une mesure concrète : enrichir le guide d’accompagnement des diagnostiqueurs. Plus précisément, il suggère d’y intégrer l’ensemble des matériaux et techniques spécifiques au bâti ancien. Ainsi, cette mise à jour permettrait une évaluation plus précise et adaptée de la performance énergétique des bâtiments historiques.

De plus, le rapport propose de refonder le dispositif d’aides publiques aux opérations de réhabilitation énergétique des logements. L’objectif est de développer le soutien financier aux techniques de rénovation énergétique respectueuses du bâti patrimonial, tout en décourageant le recours aux techniques potentiellement délétères pour le bâti ancien.

Enfin, une dernière recommandation vise à compléter l’article 1er de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture pour faire figurer la réhabilitation des constructions parmi les activités architecturales d’intérêt public. Ainsi, cette modification législative reconnaîtrait pleinement l’importance de la réhabilitation du bâti existant dans le contexte de la transition écologique.

Conclusion

En conclusion, les Architectes des Bâtiments de France se trouvent à un tournant de leur histoire. Leur rôle essentiel dans la préservation du patrimoine français est reconnu, mais ils doivent s’adapter aux défis contemporains. Les 24 recommandations du rapport sénatorial ouvrent des pistes prometteuses pour moderniser leur fonction et renforcer le dialogue avec les acteurs locaux, tout en préservant leur expertise unique au service du patrimoine architectural français.

La mission d’information, présidée par Marie-Pierre Monier, sénatrice de la Drôme (Socialiste, Écologiste et Républicain), et dont le rapporteur est Pierre-Jean Verzelen, sénateur de l’Aisne (Les Indépendants – République et Territoires), a ainsi fourni une feuille de route ambitieuse pour l’avenir des ABF. La mise en œuvre de ces recommandations pourrait permettre de réconcilier la préservation du patrimoine avec les enjeux de la transition écologique et les attentes des acteurs locaux, assurant alors la pérennité de notre héritage architectural pour les générations futures.

Isabelle DAHAN

Isabelle DAHAN

Rédactrice en chef de Monimmeuble.com. Isabelle DAHAN est consultante dans les domaines de l'Internet et du Marketing immobilier depuis 10 ans. Elle est membre de l’AJIBAT www.ajibat.com, l’association des journalistes de l'habitat et de la ville. Elle a créé le site www.monimmeuble.com en avril 2000.

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