La Cour d’appel de Versailles vient de rendre un arrêt qui enflamme le secteur immobilier numérique. Le 16 décembre 2025, elle condamne Jinka pour scraping d’annonces immobilières et donne raison à SeLoger. Pourtant, la startup crie à l’injustice. Elle dénonce un revirement judiciaire qui enterre son modèle d’intelligence artificielle au profit d’une loi vieille de 30 ans. Marc Lebel, son fondateur, accuse : cette décision favorise les géants américains comme Google tout en étouffant l’innovation française. Entre protection des bases de données et souveraineté technologique, cette bataille juridique soulève une question explosive : faut-il sacrifier la French Tech sur l’autel d’un droit obsolète ?
Sommaire :
- Que reproche SeLoger à Jinka concernant le scraping d’annonces immobilières ?
- Comment Jinka défend-elle son modèle économique ?
- Quels sont les fondements juridiques de la condamnation ?
- Quelles sanctions la Cour a-t-elle prononcées ?
- Cette décision favorise-t-elle les géants américains ?
- Quels enjeux pour le marché immobilier numérique ?
À retenir – Scraping d’annonces immobilières
- La Cour de Versailles condamne Jinka le 16 décembre 2025 pour extraction illicite d’annonces, infirmant le jugement de première instance favorable à la startup.
- 60 000 euros de dommages : Jinka doit verser cette somme à SeLoger, supprimer toutes les annonces DCF et cesser immédiatement les extractions non autorisées.
- Jinka dénonce l’application d’un droit obsolète de 1996 inadapté à l’IA et accuse une discrimination favorisant les géants américains comme Google.
- Jinka revendique un rôle clé en cybersécurité, affirmant que la réduction des annonces indexées affaiblira la détection des fraudes.
- Le fondateur de Jinka appelle à moderniser la loi pour permettre aux startups françaises de concurrencer les GAFAM dans le développement de l’IA.
Que reproche SeLoger à Jinka concernant le scraping d’annonces immobilières ?
Un scraping massif hors de tout cadre légal et contractuel
Digital Classifieds France (DCF) accuse Jinka d’avoir aspiré, pendant plusieurs années, des annonces immobilières publiées sur ses plateformes. Concrètement, cette collecte s’est faite de manière automatisée, sans autorisation préalable. Or, une telle pratique porte directement atteinte aux droits des producteurs de bases de données.
Par ailleurs, le scraping d’annonces immobilières opéré par Babel France s’est déroulé en dehors de tout cadre contractuel. Il s’est ainsi effectué en violation manifeste des droits attachés aux bases de données concernées. Cette méthode ne reposait ni sur un accord, ni sur un partenariat avec les plateformes éditrices.
La reconnaissance judiciaire d’une atteinte aux bases de données immobilières
Dans le même temps, SeLoger, Logic-Immo et Belles Demeures ont consenti des investissements importants pour créer, structurer et maintenir leurs catalogues en ligne. Ces bases de données reposent sur des contenus déposés par des agents immobiliers, qui accordent leur confiance à ces plateformes pour assurer une diffusion fiable et sécurisée de leurs annonces.
C’est dans ce contexte que la Cour d’appel de Versailles s’est prononcée. Dans un arrêt rendu le 16 décembre 2025, elle a qualifié ces pratiques de contrefaçon caractérisée. En effet, l’extraction massive d’annonces constituait un détournement du travail réalisé et des investissements consentis pour la constitution et l’exploitation de ces bases de données immobilières.
Baptiste Capron, Directeur Général de SeLoger, affirme : “Cette décision protège non seulement nos plateformes et les contenus déposés par les agents immobiliers, mais aussi la confiance de nos utilisateurs. Le respect du droit et l’usage loyal des données sont indispensables pour garantir un marché immobilier numérique sain.”
DCF annonce qu’elle continuera à défendre fermement ses marques et bases de données ainsi que l’intégrité des annonces publiées par ses clients sur ses sites et applications. Le scraping d’annonces immobilières porte atteinte selon SeLoger à l’équilibre concurrentiel du secteur. Les plateformes historiques revendiquent le droit de contrôler l’usage des données qu’elles ont constituées au prix d’efforts financiers et techniques considérables.
Comment Jinka défend-elle son modèle économique ?
Une innovation au service des consommateurs
Créée en 2020, Jinka se présente comme un hub d’annonces immobilières augmentées. Depuis son lancement, l’application revendique une forte montée en puissance. Elle rassemble aujourd’hui près de 4 millions d’utilisateurs. Chaque jour, la plateforme envoie environ 3 millions de notifications. Pour alimenter ce flux, elle indexe des annonces issues de plus de 5 000 sites immobiliers. Ce volume repose sur un système de collecte et de traitement en continu.
Au cœur du dispositif, Jinka déploie une intelligence artificielle chargée de référencer les annonces en temps réel. Cette technologie analyse ensuite chaque offre et la qualifie finement. L’objectif est clair : ne transmettre aux utilisateurs que les annonces correspondant précisément à leurs critères de recherche.
Marc Lebel, Président et Fondateur de Jinka, explique : “La réalité du terrain prouve pourtant que nous sommes loin d’être des concurrents déloyaux : nos utilisateurs sont aussi des usagers des autres portails. La recherche immobilière étant un vrai casse-tête, ils installent notre application en complément des acteurs historiques, pour gagner en efficacité.”
Le scraping d’annonces immobilières publiques disponibles sur internet permet selon Jinka de redonner le savoir et le pouvoir aux consommateurs. L’entreprise redirige systématiquement l’utilisateur vers la source d’origine de l’annonce immobilière, comme SeLoger, si celle-ci ne provient pas d’une agence partenaire.
Un rôle clé dans la cybersécurité
Jinka revendique une fonction majeure de protection des consommateurs face aux arnaques immobilières. Dans un marché marqué par une pénurie de logements, notamment locatifs, les fraudes sont monnaie courante selon l’entreprise.
Marc Lebel déclare : “Le pouvoir, c’est aussi la sécurité. Dans un marché immobilier marqué par une pénurie de logements, notamment locatifs, il est logique que les arnaques soient monnaie courantes. Une telle décision de justice ne peut donc qu’exposer encore davantage les consommateurs, alors que Jinka a clairement un rôle clé à jouer concernant la cybersécurité grâce à notre IA qui filtre et agit comme un bouclier numérique. Avec 500 000 tentatives d’arnaques bloquées quotidiennement, nous garantissions un environnement sûr.”
Le président de Jinka s’inquiète : “Ce jugement risque, hélas, de priver les utilisateurs de cette protection indispensable.” Le scraping d’annonces immobilières constitue selon Jinka un outil d’intérêt général pour sécuriser le marché. Marc Lebel précise que SeLoger ne représente “qu’une fraction minoritaire des annonces que nous indexons, à peine 10%”, mais cette restriction affecterait la qualité globale du service de détection des fraudes.
Quels sont les fondements juridiques de la condamnation ?
Le droit sui generis des bases de données
La Cour d’appel de Versailles fonde son raisonnement sur le droit français, qui protège les producteurs de bases de données contre toute extraction ou réutilisation non autorisée de leurs contenus. Cette protection ne relève pas du hasard. Elle découle directement de la directive européenne 96/9/CE du 11 mars 1996, transposée en droit français au sein du Code de la propriété intellectuelle.
Dans ce cadre, les articles L342-1 et suivants du CPI interdisent explicitement l’extraction, qu’elle soit qualitative ou quantitative, dès lors qu’elle porte sur une part substantielle du contenu d’une base de données. Autrement dit, la loi encadre strictement toute reprise massive d’informations protégées.
En pratique, des plateformes comme SeLoger apportent la preuve d’investissements substantiels. Elles engagent des moyens humains, techniques et financiers pour créer, vérifier et maintenir leurs catalogues d’annonces en ligne. Ces efforts continus conditionnent l’existence même de la protection juridique dont elles bénéficient. C’est précisément sur ce fondement que la Cour s’est prononcée. Les juges ont confirmé que « ces pratiques, constitutives de contrefaçon, sont illicites ». En conséquence, la Cour d’appel de Versailles rappelle clairement qu’un scraping d’annonces immobilières réalisé sans accord préalable viole les droits des producteurs de bases de données, conformément à cette jurisprudence du 16 décembre 2025.
Un revirement par rapport au premier jugement
Jinka conteste vivement cette décision, qui revient sur le jugement de première instance jusque-là favorable à son modèle. L’entreprise estime que la Cour applique de manière automatique un cadre juridique inadapté aux enjeux actuels de l’intelligence artificielle. Elle dénonce ainsi « l’application mécanique d’un droit inadapté aux enjeux de l’IA ».
Dans la même logique, Marc Lebel critique ouvertement le décalage entre la loi et les usages technologiques contemporains. « Cet arrêt est l’illustration parfaite du fossé qui sépare un droit conçu en 1996 de la réalité technologique de 2025 », affirme-t-il. Selon lui, les textes n’ont pas évolué au rythme des innovations numériques.
Sur le papier, l’exception de fouille de textes et de données (Text and Data Mining – TDM) devrait pourtant autoriser l’analyse de contenus librement accessibles en ligne. En théorie, ce mécanisme vise à favoriser la recherche et l’innovation. Toutefois, dans les faits, son application reste très limitée. « C’est un miroir aux alouettes », tranche Marc Lebel. Il souligne qu’un simple dispositif d’opt-out, comparable à un bouclier numérique, suffit à un site web pour interdire toute analyse de ses données. Dès lors, l’exception devient marginale et la règle restrictive s’impose.
Résultat : le scraping d’annonces immobilières se heurte à un cadre juridique que Jinka juge dépassé. L’entreprise estime que ce droit date d’une autre époque, « où le smartphone n’existait pas et où l’on payait pour consulter la météo sur le Minitel ». Une image volontairement parlante pour illustrer, selon elle, l’inadéquation entre les textes actuels et les réalités technologiques d’aujourd’hui.
Quelles sanctions la Cour a-t-elle prononcées ?
Des mesures immédiates de cessation
La Cour d’appel de Versailles ordonne l’arrêt immédiat de toutes les extractions d’annonces issues des sites de Digital Classifieds France. Autrement dit, Jinka doit cesser sans délai toute collecte de données provenant des plateformes du groupe. Cette mesure vise clairement à mettre un terme définitif au scraping d’annonces immobilières pratiqué par l’entreprise.
Par ailleurs, la Cour exige la publication en ligne de la décision judiciaire afin d’en informer directement les utilisateurs. Cette obligation de transparence répond à un objectif précis : rendre publiques des pratiques jugées illicites par la juridiction.
Grâce à cette publication, les utilisateurs de l’application pourront comprendre l’origine des annonces qu’ils consultaient jusqu’à présent. Ils pourront également mesurer les changements apportés au service à la suite de cette condamnation et les conséquences concrètes de la décision sur le fonctionnement de la plateforme.
Une condamnation financière de 60 000 euros
La Cour d’appel de Versailles condamne Jinka à verser 60 000 euros à Digital Classifieds France au titre des dommages et intérêts. Cette indemnisation vise à réparer le préjudice subi par les plateformes SeLoger, Logic-Immo et Belles Demeures. D’après Digital Classifieds France, le scraping d’annonces immobilières a entraîné à la fois un manque à gagner économique et une atteinte à l’image de ces sites, dont les contenus ont été repris sans autorisation.
Du côté de Jinka, l’entreprise relativise la portée de cette condamnation.
Marc Lebel assure que cette décision ne remet pas en cause le développement de la plateforme. « Il est évident que nous pouvons parfaitement fonctionner sans les annonces spécifiques à SeLoger, qui ne représentent qu’une fraction minoritaire des annonces que nous indexons, à peine 10 % », affirme-t-il. Selon lui, cette contrainte « ne freinera pas l’essor de Jinka ».
En revanche, il alerte sur une conséquence indirecte. En réduisant le nombre d’annonces analysées par l’intelligence artificielle, celle-ci disposera de moins de données pour s’entraîner. « L’impact sera plus net sur la cybersécurité », prévient-il, estimant que l’IA, moins bien alimentée, pourrait laisser passer davantage d’annonces frauduleuses.
Cette décision favorise-t-elle les géants américains ?
Une inégalité de traitement dénoncée
Jinka regrette profondément cette décision pour l’avenir de l’innovation en France.
Marc Lebel pointe une injustice économique majeure : “Si Google a un accès sans limite à l’ensemble du catalogue de certains acteurs tels que Seloger, des sociétés tricolores comme Jinka ne bénéficient pas ces mêmes conditions.”
Selon lui, cette jurisprudence entérine une injustice économique. Elle entrave les pépites françaises au nom d’une loi périmée, tout en laissant le champ libre aux GAFAM américains qui, eux, sont exempts de ces règles. Le scraping d’annonces immobilières serait donc soumis à des règles discriminatoires.

Marc Lebel avertit : “Si la loi n’évolue pas vite, la France devra renoncer de facto à sa souveraineté technologique.” Il ajoute : “Pendant que nous débattons de textes poussiéreux, les GAFAM se frottent les mains. Une entreprise américaine peut entraîner son IA librement sur son sol et, une fois son modèle devenu ultra-performant, elle l’exporte en France. La start-up française, elle, reste bloquée sur la ligne de départ, empêchée légalement d’atteindre l’excellence.”
Un appel à la réforme législative
Marc Lebel appelle à une prise de conscience politique urgente et propose trois amendements concrets pour moderniser le cadre légal. Ainsi, il demande aux législateurs d’actualiser la loi avec ces trois modifications :
1. L’exception de comparaison. L’extraction de données doit être légale lorsqu’elle a pour but unique de permettre au consommateur de comparer des offres ou d’avoir une vision exhaustive du marché (agrégation), tant que cela ne concurrence pas le service original (la transaction finale se fait toujours à la source).
2. La fin de la discrimination d’accès. Une plateforme ne doit plus pouvoir invoquer le droit sui generis de manière discriminatoire pour bloquer l’innovation française. Si elle autorise l’indexation de ses contenus par les géants du web (comme Google), elle ne doit pouvoir refuser cet accès aux acteurs technologiques français.
3. L’Open Data d’Intérêt Général. Dans des secteurs en tension comme le logement, les données de marché (prix, stocks) doivent être accessibles en Open Data pour fluidifier l’offre et la demande, signaler les abus… plutôt que retenues en otage par des acteurs privés.
Marc Lebel conclut : “30 ans après sa création, le droit sui generis, censé protéger l’investissement, est désormais devenu l’arme des monopoles contre l’intérêt du consommateur.”
Quels enjeux pour le marché immobilier numérique ?
En tranchant, le 16 décembre 2025, en faveur de Digital Classifieds France, la Cour d’appel de Versailles pose un jalon majeur pour l’immobilier numérique : le scraping d’annonces immobilières est désormais clairement qualifié de pratique illicite et contrefaisante, renforçant la protection juridique des plateformes qui investissent dans leurs bases de données. Si DCF entend poursuivre la défense de ses marques et de l’intégrité des annonces de ses clients, cette décision inquiète les acteurs de l’IA comme Jinka, qui y voient un frein à l’innovation et à la souveraineté numérique française face à des concurrents internationaux mieux armés.
Au-delà du conflit entre plateformes et agrégateurs, le débat met aussi en lumière une question centrale : celle de la propriété intellectuelle des contenus créés par les agents immobiliers eux-mêmes. Cette affaire révèle ainsi des tensions profondes sur la répartition de la valeur et des droits dans l’écosystème numérique, entre protection des investissements, évolution technologique et intérêt général, annonçant sans doute d’autres batailles juridiques à venir.

