Souvent oublié ou mal compris, le règlement de copropriété reste pourtant la clé de voûte juridique de votre immeuble. Pourtant, de nombreux copropriétaires ignorent encore son contenu… jusqu’au moment où un litige éclate. Lors de notre atelier juridique de mai 2025, Maître Frédéric Drouard (cabinet BKP & Associés) et Sophie Chaillou (directrice d’agence Saint-Simon Paris) ont levé le voile sur ce document essentiel. À l’heure des réformes – entre la loi Élan de 2018 et les assouplissements de 2025 – comprendre, mettre à jour et faire respecter son règlement devient indispensable. Charges spéciales floues, clauses abusives, location touristique, mise en conformité… Les experts ont passé en revue les zones grises qui nourrissent les tensions. Et, surtout, ils ont proposé des pistes concrètes pour prévenir les conflits et sécuriser la gestion de l’immeuble.
Sommaire :
- Quels sont les fondements juridiques d’un règlement de copropriété ?
- Quelle différence entre modification, adaptation et mise en conformité d’un règlement de copropriété ?
- Comment rédiger un règlement de copropriété opposable à tous ?
- Quelle différence entre charges générales et charges spéciales en copropriété ?
- Le règlement de copropriété peut-il limiter les locations Airbnb et prévenir les nuisances ?
À retenir – Les 6 pièges à éviter absolument dans un règlement de copropriété :
- Charges de copropriété mal réparties. Certaines clauses répartissent les charges de manière floue ou injuste. Cela crée des tensions entre copropriétaires. Vérifiez toujours si les charges spéciales ou les parties à jouissance exclusive sont bien définies.
- Clause abusive ou illicite dans le règlement. Des mentions contraires à la loi passent parfois inaperçues. Pourtant, elles sont réputées non écrites. Il est essentiel de les détecter avant qu’elles ne posent problème.
- Règlement de copropriété non publié au service de la publicité foncière. Sans publication officielle, le règlement n’est pas opposable aux acheteurs ou locataires. Cet oubli prive la copropriété d’un levier juridique important.
- Modèle de règlement inadapté à l’immeuble. Certains règlements sont copiés-collés à partir de modèles standards. Ils ne tiennent pas compte de la configuration réelle du bâtiment. Ce décalage entraîne des interprétations erronées.
- Absence d’encadrement des locations de type Airbnb. Quand le règlement reste silencieux, la location meublée de courte durée s’installe dans le flou juridique. Les copropriétaires peuvent contester ce type d’usage, surtout s’il perturbe la tranquillité de l’immeuble.
- Règlement de copropriété obsolète, non conforme aux lois récentes. De nombreux règlements n’intègrent pas les évolutions législatives (loi ALUR, loi ELAN, réforme de 2025). Cette obsolescence affaiblit la sécurité juridique et complique la gestion quotidienne.
Quels sont les fondements juridiques d’un règlement de copropriété ?
Un document contractuel distinct de l’état descriptif de division
Le règlement de copropriété repose sur deux textes fondamentaux : la loi du 10 juillet 1965 et son décret d’application du 17 mars 1967. Contrairement aux idées reçues, ce document diffère de l’état descriptif de division, même si les deux sont souvent annexés ensemble.
Comme l’explique Maître Drouard : « L’état descriptif de division divise les lots et accorde des tantièmes à chacun, tandis que le règlement de copropriété régit la vie interne de l’immeuble. »
Autrement dit, l’état descriptif répartit les lots et leurs quotes-parts de charges. Le règlement, lui, définit les règles de fonctionnement de la copropriété, notamment la destination des parties privatives et communes.
L’article 8 de la loi de 1965 précise d’ailleurs :
« Un règlement conventionnel de copropriété incluant au moins l’état descriptif de division détermine la destination des parties tant privatives que communes ainsi que les conditions de leur jouissance. »
Cette distinction entre les deux documents est essentielle. En cas de contradiction entre eux, le règlement de copropriété prévaut systématiquement. Enfin, rappelons que la hiérarchie des normes impose les dispositions d’ordre public de la loi de 1965. Toute clause contraire, même inscrite dans le règlement, est donc nulle de plein droit.
Un contrat d’adhésion aux conséquences durables
L’acquisition d’un lot en copropriété vous transforme automatiquement en copropriétaire. Dès lors, vous êtes tenu de respecter le règlement de copropriété existant, sans pouvoir en modifier les clauses. Ce document fonctionne comme un contrat d’adhésion : il ne se négocie pas individuellement.
Comme le souligne Sophie Chaillou : « C’est le seul document qui vous est remis lors de l’achat. Il faut absolument le lire, et le lire correctement. »
En effet, le règlement de copropriété définit la destination des parties privatives et communes, ainsi que les conditions de leur jouissance. Une lecture attentive en amont de l’achat permet d’éviter bien des déconvenues. Elle est essentielle pour comprendre les charges à prévoir, les restrictions d’usage éventuelles, ou encore les règles de fonctionnement de la copropriété.
Quelle différence entre modification, adaptation et mise en conformité d’un règlement de copropriété ?
La modification selon l’article 26 : double majorité requise
La modification du règlement de copropriété devient nécessaire lorsqu’un changement important affecte l’immeuble. C’est notamment le cas pour l’attribution de jouissance d’une partie commune ou la vente/acquisition de parties communes. Dans ces situations, l’article 26 de la loi de 1965 impose une double majorité (dite « majorité des deux tiers ») pour valider la modification.
Exemple concret : deux bâtiments d’une même copropriété étaient en désaccord. L’ancien syndic avait appliqué une mauvaise répartition des charges de ravalement, tandis que le nouveau syndic s’en tenait au texte officiel. Comme le rappelle Sophie Chaillou : « Il n’y a en qu’un seul qui a raison, c’est le règlement de copropriété ! »
Cette procédure de modification garantit l’équité entre les copropriétaires. Elle évite les décisions unilatérales pouvant impacter la valeur ou l’usage des lots. Parce que modifier le règlement, c’est aussi modifier la structure juridique de la copropriété.
L’adaptation législative : un assouplissement en trompe-l’œil
L’article 24F de la loi autorise l’adaptation du règlement de copropriété aux évolutions législatives et réglementaires. Cette procédure allégée, votée à la majorité simple (article 24 de la loi de 1965), vise à faciliter la mise en conformité des règlements face aux évolutions constantes du droit immobilier.
Cependant, Sophie Chaillou révèle une contradiction majeure dans l’application pratique. Prenons l’exemple des charges de chaufferie. De nombreux syndics ont fait voter des clés de charges spéciales il y a 20 ou 30 ans, souvent sans publication. Résultat : ces répartitions ne sont plus opposables aux nouveaux acquéreurs. Théoriquement, l’assouplissement permettrait de les régulariser à majorité simple. Mais, la création d’une nouvelle clé de charge spéciale exige toujours l’unanimité selon le droit général.
Cette contradiction laisse les copropriétés dans une impasse : soit obtenir l’unanimité (quasi-impossible), soit abandonner la répartition spéciale pour imputer les charges en général. “C’est une bonne idée, mais il y a un problème de mise en œuvre”, conclut-elle, illustrant les difficultés d’application du droit théorique sur le terrain.
La mise en conformité selon la loi Élan
La loi Élan du 23 novembre 2018 a introduit l’obligation de mise à jour des règlements de copropriété. Initialement fixée au 21 novembre 2021, cette échéance a été assouplie. Désormais, le syndic doit simplement porter à l’ordre du jour de chaque assemblée générale la question de cette mise à jour, tant qu’elle n’est pas réalisée.
Les coûts de mise à jour varient significativement selon la complexité du règlement. D’après les témoignages recueillis lors de l’atelier, compter entre 3000€ pour la réécriture complète d’un gros règlement et 2000€ de frais de publication, soit un total d’environ 5000€. Toutefois, ces montants dépendent du nombre de pages et de la complexité des modifications nécessaires.
Comment rédiger un règlement de copropriété opposable à tous ?
Des règlements standardisés inadaptés au terrain
Sophie Chaillou alerte sur une dérive fréquente dans la rédaction des règlements de copropriété : “On a des règlements de copropriété qui sont un peu stéréotypés. Des règlements prêts à l’emploi mais qui ne sont pas réalisés en adéquation.”
En effet, ces modèles “copier-coller”, trop génériques, ne tiennent pas compte des spécificités de l’immeuble. Résultat : des écarts entre le document juridique et la réalité du bâtiment, qui deviennent source de litiges. Pour éviter ces erreurs, une visite sur site est indispensable lors de la création du règlement. Elle permet de repérer précisément les parties communes générales et spéciales. Sans cette démarche terrain, le règlement devient un document déconnecté du quotidien, semant la discorde dans la copropriété.
Publication et opposabilité aux tiers
Le règlement de copropriété n’est opposable qu’à condition d’être publié. Sans cette formalité, les décisions prises en assemblée générale ne s’imposent pas aux futurs acquéreurs. Cette exigence protège les acheteurs contre des engagements qu’ils n’ont pas pu connaître au moment de l’achat. Ce principe d’inopposabilité assure la sécurité juridique des transactions immobilières. Il évite que des décisions anciennes, restées confidentielles, pèsent sur les nouveaux arrivants sans base légale.
Quelle différence entre charges générales et charges spéciales en copropriété ?
Conseil pratique : Sophie Chaillou recommande de lire directement la partie répartition des charges, c’est la partie la plus importante pour les copropriétaires.
Source principale de conflits en copropriété
La distinction entre charges générales et charges spéciales est cruciale. C’est même, selon Sophie Chaillou, “le nerf de la guerre”. Cette répartition détermine qui paie quoi dans l’immeuble. Et, les contestations sont fréquentes.
Les copropriétaires invoquent souvent l’équité. Certains s’exclament : “Ce n’est pas juste qu’on paie pour ça alors qu’on n’a pas accès à cette partie.” Pourtant, l’équité n’a pas sa place en droit de la copropriété. Seul le règlement de copropriété fait foi. Peu importe le ressenti ou le bon sens supposé, les règles contractuelles s’imposent à tous, qu’elles paraissent justes ou non.
Erreurs d’application et corrections nécessaires
Les syndics commettent parfois des erreurs d’interprétation, appliquant de mauvaises répartitions pendant des années. Sophie Chaillou affirme : “Ce n’est pas parce qu’un syndic a fait une erreur il y a 10 ans qu’on va la répéter.” Il n’existe pas d’usucapion en matière de charges. Ainsi, une application erronée prolongée ne crée aucun droit acquis.
Le nouveau syndic doit corriger ces erreurs en appliquant strictement les dispositions du règlement de copropriété. Cette démarche, bien que génératrice de mécontentement, garantit le respect du cadre juridique.
Le règlement de copropriété peut-il limiter les locations Airbnb et prévenir les nuisances ?
Locations saisonnières et assouplissement législatif
Depuis le 1er janvier 2025, la loi Lemaire facilite l’interdiction des locations saisonnières. Jusque-là, cette décision nécessitait l’unanimité en assemblée générale. Désormais, la double majorité prévue à l’article 26 suffit.
Cette évolution répond à une inquiétude croissante. De plus en plus de copropriétaires dénoncent les nuisances liées à la location de courte durée. Le législateur a donc assoupli la règle pour leur permettre d’agir plus facilement. Par ailleurs, certaines clauses anciennes conservent toute leur force. C’est le cas de la mention « habitation exclusivement bourgeoise ». Elle limite les activités commerciales dans l’immeuble. Elle peut aussi justifier l’interdiction des locations saisonnières au-delà de 120 jours par an.
Sécurité et nuisances : enjeux multiples
Au-delà des nuisances sonores, les locations saisonnières posent des problèmes de sécurité et d’entretien des parties communes. Sophie Chaillou évoque même “des réseaux de prostitution qui passent via Airbnb”, illustrant la dérive possible de ces pratiques.
De plus, la prolifération des boîtes à clés accompagne souvent ces locations. Leur installation sans autorisation constitue un ajout sur parties communes, sanctionnable selon l’article 25B. A cet effet, le syndic peut engager des contentieux contre les contrevenants.
Solutions préventives et curatives
Pour encadrer ces pratiques, plusieurs leviers existent :
- Vérification des clauses d’habitation bourgeoise dans le règlement de copropriété
- Interdiction des boîtes à clés par application de l’article 25B
- Vote d’interdiction des locations saisonnières à la double majorité
- Contrôle des autorisations d’extraction pour les activités de restauration
FAQ – Règlement de copropriété
Peut-on modifier un règlement de copropriété sans unanimité ?
Cela dépend du type de modification. Pour une simple adaptation aux évolutions législatives (article 24F), la majorité simple suffit. Pour une modification substantielle touchant la jouissance des parties communes, la double majorité de l’article 26 est requise. Seule la création de nouvelles charges spéciales nécessite l’unanimité.
Comment obtenir la dernière version de mon règlement de copropriété ?
Le syndic a l’obligation de mettre à disposition la version actualisée sur l’intranet de la copropriété. En cas d’absence, adressez une demande écrite à votre gestionnaire. Sophie Chaillou recommande également de vérifier lors de reprise d’immeuble en consultant la fiche hypothécaire qui répertorie tous les modificatifs.
Puis-je interdire les locations Airbnb dans ma copropriété ?
Depuis la loi Lemaire du 1er janvier 2025, l’interdiction des locations saisonnières ne nécessite plus l’unanimité mais la double majorité de l’article 26. Si votre règlement mentionne “habitation exclusivement bourgeoise”, cette clause limite naturellement ces activités commerciales.
Qui paie en cas d’erreur du notaire dans le règlement de copropriété ?
Si le notaire a commis une erreur factuelle (adresse incorrecte par exemple), il doit corriger gratuitement sa faute et prendre en charge les frais de republication. N’hésitez pas à le mettre en demeure si nécessaire, car un acte notarié erroné perd son authenticité.
Les charges mal réparties depuis des années deviennent-elles définitives ?
Non, il n’existe pas d’usucapion en matière de charges de copropriété. Même appliquée incorrectement pendant des décennies, une répartition contraire au règlement doit être corrigée. Le nouveau syndic a le devoir d’appliquer strictement les dispositions du règlement, quitte à générer des mécontentements temporaires. Quand un syndic découvre une mauvaise répartition appliquée par son prédécesseur, il doit revenir aux dispositions du règlement de copropriété, qui reste l’unique référence légale.