Immobilier : les alternatives à la vente en pleine propriété, levier d’investissement
Evoquer les prérogatives dont dispose le propriétaire d’un bien immobilier permet de mieux comprendre pourquoi le droit de propriété règne sans partage dans l’esprit de l’investisseur immobilier depuis l’avènement en 1804 de notre Code civil. En concrétisant son achat, le propriétaire accède à tous les pouvoirs sur son bien : le droit d’en avoir l’usage, le droit de l’exploiter en le louant, le droit de le céder, voire même de le détruire.
A ces avantages s’ajoute la possibilité de transmettre un patrimoine valorisé de générations en générations. Mais, abstraction faite de l’effet d’aubaine imputable à la faiblesse conjoncturelle des taux d’intérêts, ces utilités pèsent de plus en plus sur les budgets. Le candidat à l’acquisition n’a que peu d’alternatives : accéder à la propriété et, du même coup, à toutes les utilités de l’immeuble à condition d’en avoir les capacités financières, ou se résigner à louer à fonds perdus.
On voit poindre l’idée selon laquelle il n’y a aucune raison de payer si chèrement la propriété pour permettre à l’acquéreur d’exercer un pouvoir si complet dont il n’a pourtant pas systématiquement besoin. Imaginons la possibilité de n’acquérir qu’un usage particulier pour une durée déterminée par le contrat et pour un prix qui serait en contrepartie plus faible. On voit l’intérêt pour l’acquéreur qui réaliserait un véritable investissement en ne finançant ici qu’un usage correspondant strictement à ses besoins et qu’il pourrait céder à son tour pour une valeur qui serait fixée en fonction du temps restant à courir.
L’arsenal juridique traditionnel (vente en pleine propriété, usufruit/nue-propriété) ne permet pas d’obtenir une telle précision chirurgicale. En revanche, acheter un droit d’usage (qu’on dénomme juridiquement « droit réel de jouissance spéciale ») est une piste très prometteuse à explorer de près pour tout candidat à l’investissement et son conseil.
Acheter un « usage », pourquoi ?
Prenons l’exemple d’une place de parking ou d’un box : on peut en avoir l’usage en les louant. L’usage n’a ici aucune valeur patrimoniale pour l’utilisateur. De son côté, le propriétaire perçoit un loyer alors qu’il pourrait préférer encaisser un prix pour se prémunir contre les impayés notamment. On peut encore en avoir l’usage et la jouissance en constituant un usufruit. Mais le recours à la technique de l’usufruit est freiné par l’impossibilité de le transmettre en cas de décès (…).
Acheter un usufruit n’est pas intéressant pour l’acquéreur qui va payer pour un prix quasi équivalent au prix de la pleine propriété un box dont il n’a pas nécessairement besoin à toute heure du jour et de la nuit et qu’il ne pourra pas transmettre à sa mort. Même s’il peut le céder de son vivant, il ne trouvera pas d’acquéreur, puisque l’usufruit prendra fin à son décès et non lorsque surviendra celui de l’acquéreur. Il lui faudra, en revanche, payer un prix qui tient compte de son espérance de vie. Du fait de cet aléa, nul ne sait à l’avance qui du propriétaire ou de l’usufruitier fera une bonne affaire. Il n’est donc pas étonnant que cette technique de démembrement de propriété soit davantage pratiquée en matière transmission de patrimoine ou dans le cas particulier de la vente en viager.
La vente d’une jouissance limitée peut constituer une alternative intéressante. La spécificité de l’usage cédé est d’ailleurs la condition essentielle à respecter pour bénéficier d’un régime juridique assoupli. Pour reprendre, parmi les nombreuses déclinaisons possibles, le cas du box que l’on peut estimer à 30000 € : il est désormais possible d’envisager d’en céder la jouissance à un acquéreur A pour une durée de 50 ans au prix de 20000 € de 9h à 18h (par exemple une société qui emploie du personnel) et à un acquéreur B pour une durée inférieure au prix de 15000 € de 18h à 9h. Bilan : le vendeur perçoit un prix de 35000 € (soit 5000 € de plus que s’il vend en pleine propriété) tout en étant assuré de reprendre la jouissance de son bien à l’issue de la durée initialement convenue.
Cette technique lui permet de reconstituer à terme un patrimoine en pleine propriété qu’il pourra transmettre à ses enfants. Pour l’acquéreur : il dispose d’une jouissance d’une durée certaine qui correspond strictement à l’usage escompté sans avoir à financer davantage que ses propres besoins. Son droit est transmissible et cessible. Puisque le droit n’est pas lié à la durée de la vie il est assorti d’une valeur certaine qui constitue un gage stable pour le prêteur. Ce droit d’usage est en effet un droit réel qu’il est possible d’hypothéquer.
Autre exemple, l’immobilier de bureau : on peut imaginer une déclinaison de ce droit dans l’immobilier de bureau. Une salle de réunion dont je cède la jouissance deux jours par semaine à A et un jour par semaine à B tout en m’en réservant la jouissance les deux autres jours … Cette possibilité constitue désormais une alternative crédible à la location, toujours à condition de créer un droit offrant des prérogatives sur mesure.
Les juristes disposent d’une nouvelle technique très attractive qui s’inscrit dans l’irrésistible évolution d’une société qui, dans bien des domaines, promeut l’usage comme modèle alternatif à la propriété. Le rédacteur de la convention veillera tout de même à ne pas outrepasser certaines limites. On trouve un exemple de limite dans le respect qui est dû l’ordre public des baux. Le rédacteur d’acte composera un usage qui devra se distinguer de l’usage général dont dispose un locataire. Il ne saurait être question de recourir à une telle technique pour permettre au propriétaire de contourner par exemple les règles impératives du bail d’habitation (loi du 6 juillet 1989) ou du bail commercial (L 145-1 et s du Code de commerce) en encaissant par avance dix ans de loyer !
Comment concrétiser cette cession ?
Acquérir un usage sans investir dans la propriété au prix fort et sans les inconvénients qui tiennent au caractère spéculatif de l’usufruit serait aujourd’hui possible grâce au droit réel de jouissance spéciale (DRJS) dont le régime juridique a été récemment précisé par la Cour de cassation le 8 septembre 2016.
Une véritable révolution juridique est sous nos yeux et une fine expertise doit permettre de la maîtriser ! Le recours à cette technique permettra d’assurer une parfaite adéquation du coût de l’investissement aux attentes de l’investisseur : un usage sur mesure pour un prix adapté.
A propos de Vivien Streiff
Notaire à Condé-sur-L’Escaut (59), Vivien Streiff a présidé la première commission (établir et protéger la propriété) du Congrès des notaires 2016 consacré à la propriété immobilière.