Le changement d’affectation d’un lot concerne de plus en plus de copropriétaires. Beaucoup souhaitent transformer un appartement en bureau ou inversement. Mais, cette démarche ne se fait pas librement. Elle soulève plusieurs questions juridiques. Selon Maître Éléonore HAKIM, avocate au sein du cabinet BJA, le droit de la copropriété encadre strictement ce type de modification. D’un côté, le propriétaire veut utiliser son bien comme il l’entend. De l’autre, la copropriété impose des règles collectives. Alors, faut-il obtenir l’accord de l’assemblée générale ? Quelles autorisations sont nécessaires ? Avant de se lancer, il est essentiel de comprendre ce que la loi autorise… et ce qu’elle interdit.
Sommaire :
- Les principes fondamentaux du changement d’affectation d’un lot de copropriété
- Les limites au changement d’affectation d’un lot selon le règlement de copropriété
- Les différentes hypothèses de changement d’affectation d’un lot
- L’évolution jurisprudentielle du changement d’affectation d’un lot
- Les procédures d’autorisation pour le changement d’affectation d’un lot
- FAQ – Changement d’affectation de lot en copropriété
Les principes fondamentaux du changement d’affectation d’un lot de copropriété
Changement d’affectation : entre droit individuel et cadre collectif
Le changement d’affectation d’un lot repose sur un équilibre délicat entre liberté individuelle et règles de vie collective en copropriété. Selon l’article 2, alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965, les parties privatives sont la propriété exclusive de chaque copropriétaire. En outre, cette exclusivité ouvre la voie à un usage professionnel possible du bien.
Mais, l’article 9 de cette même loi apporte une limite fondamentale. Il énonce que chaque copropriétaire peut librement user de ses parties privatives,
“à condition de ne pas porter atteinte aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble.”
Autrement dit, la liberté d’usage est reconnue, mais elle s’exerce dans un cadre collectif strict.
C’est ce cadre juridique qui régit les conditions du changement d’affectation d’un lot.
Un encadrement strict des restrictions dans le règlement de copropriété
Par ailleurs, l’article 8 de la loi du 10 juillet 1965 permet au règlement de copropriété d’imposer des restrictions d’usage, mais uniquement si elles sont justifiées.
Le texte est clair :
« Le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble, telle qu’elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation. »
En d’autres termes, les limitations au changement d’affectation d’un lot doivent être fondées sur :
- la destination de l’immeuble,
- ses caractères architecturaux ou fonctionnels,
- ou encore sa situation géographique.
Cette disposition vise à préserver l’harmonie de la copropriété, tout en évitant les restrictions arbitraires. Ainsi, elle garantit un équilibre entre usage libre du bien et cohérence de l’ensemble immobilier.
La notion de destination de l’immeuble
La destination de l’immeuble constitue le critère central pour évaluer la licéité d’un changement d’affectation d’un lot. En effet, elle se définit par la vocation générale du bâtiment : résidentielle, commerciale, professionnelle ou mixte. Cette destination s’apprécie au regard de l’ensemble de l’immeuble et non lot par lot.
Les limites au changement d’affectation d’un lot selon le règlement de copropriété
La destination des lots définie par le règlement de copropriété
Selon l’article 8, alinéa 1er, de la loi du 10 juillet 1965 : “Un règlement conventionnel de copropriété, incluant ou non l’état descriptif de division, détermine la destination des parties tant privatives que communes, ainsi que les conditions de leur jouissance”.
Le règlement de copropriété mentionne précisément les locaux affectés à l’habitation, à l’exercice professionnel ou aux activités commerciales. Ces stipulations peuvent être générales pour l’ensemble de l’immeuble ou spécifiques à certains lots. Ainsi, la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 7 décembre 1994, n°1994-002794 ; Cass. 3e civ., 2 février 1999, n°1999-000541) reconnaît la possibilité d’un changement d’affectation d’un lot par les copropriétaires. Toutefois, cette possibilité reste encadrée par des clauses restrictives que le syndic de copropriété doit faire respecter.
La compatibilité avec les dispositions réglementaires
Avant d’envisager un changement d’affectation d’un lot, le copropriétaire doit vérifier trois éléments essentiels :
- La compatibilité avec les dispositions du règlement de copropriété
- L’absence d’atteinte à la destination de l’immeuble
- Le respect des droits des autres copropriétaires
Cette vérification préalable permet d’éviter les contentieux ultérieurs et d’identifier les autorisations nécessaires.
Les différentes hypothèses de changement d’affectation d’un lot
Affectation contraire à la destination de l’immeuble
Lorsque le changement d’affectation d’un lot entre en contradiction avec la destination de l’immeuble, il est considéré comme irrégulier. Exemple typique : transformer un local commercial en logement dans un immeuble exclusivement dédié à une activité commerciale.
La jurisprudence confirme cette règle. Dans un arrêt du 14 octobre 2004 (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 4e chambre B, JurisData n°2004-257879), la Cour a jugé illégale l’installation d’un local d’habitation dans un immeuble à usage commercial.
Dans ce cas, l’autorisation préalable de l’assemblée générale est obligatoire. Et l’unanimité des voix est requise. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’une décision modifiant la destination des parties privatives ou les conditions de leur jouissance, ce qui engage l’intérêt collectif de la copropriété.
Affectation interdite par le règlement de copropriété
Le règlement de copropriété a une valeur contractuelle. Cela signifie que ses clauses s’imposent à tous les copropriétaires. Par conséquent, toute modification d’affectation en contradiction avec ses stipulations est interdite.
Toutefois, une dérogation reste possible. Le copropriétaire concerné peut soumettre une demande d’autorisation à l’assemblée générale. Mais, attention : l’unanimité des voix est requise, comme l’a rappelé la Cour de cassation (3e civile, 3 janvier 1979, D. 1979). Cette procédure offre une issue exceptionnelle pour adapter l’usage d’un lot, tout en respectant le cadre juridique initialement prévu.
Affectation autorisée par le règlement de copropriété
Certains règlements de copropriété prévoient une flexibilité d’usage explicite. Ils indiquent, par exemple, que les lots peuvent être «indistinctement affectés à l’usage de bureaux, à l’exercice d’une profession ou à une activité artisanale ou commerciale de toute nature». Dans ce cas, les copropriétaires n’ont pas à demander d’autorisation pour procéder à un changement d’affectation.
La Cour d’appel de Versailles (4e chambre, 25 avril 2000) a confirmé la validité de ces clauses. Elles permettent donc un usage plus libre des lots, sans accord préalable de l’assemblée générale. Toutefois, cette liberté n’est pas absolue. Même en l’absence de restriction formelle, les activités causant des troubles anormaux de voisinage peuvent être interdites. Par exemple, un appartement transformé en bureau peut être refusé si l’activité commerciale génère trop de nuisances pour les autres copropriétaires.
L’évolution jurisprudentielle du changement d’affectation d’un lot
L’interprétation restrictive initiale
Dans un premier temps, la jurisprudence adoptait une interprétation rigoureuse des règlements de copropriété. Lorsqu’un règlement définissait de façon précise la destination de chaque lot, les juges considéraient qu’aucun changement d’affectation n’était possible sans l’unanimité des copropriétaires.
Cette position reposait sur plusieurs décisions de référence :
- Cass. 3e civ., 16 octobre 1979 (JCP G 1980, II, 19289, note Guillot)
- Cass. 3e civ., 28 mars 1984 (Bull. civ. III, n°82, p. 64)
- CA Paris, 1re ch. B, 25 novembre 1982 (D. 1983)
Ces arrêts consacraient la force contraignante du règlement, au détriment de la liberté individuelle d’usage des lots.
L’approche libérale actuelle
Par la suite, la Cour de cassation a assoupli sa position. Depuis l’arrêt du 29 février 2012 (Cass. 3e civ., n°10-28.618), le changement d’affectation est autorisé tant qu’il respecte la destination générale de l’immeuble et ne porte pas atteinte aux droits des autres copropriétaires.
Cette décision marque un tournant important. Elle ouvre la voie à une lecture plus libérale du règlement de copropriété. Désormais, la jurisprudence permet aux copropriétaires de modifier l’usage de leur lot, à condition de rester dans le cadre de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965.
Les exemples jurisprudentiels récents
La jurisprudence a validé plusieurs transformations significatives :
- Transformation de combles en locaux d’habitation modifiant la destination de l’immeuble (CA Paris, 23e ch. B, 23 mai 2002, n° 2001/21093)
- Transformation d’un local commercial de bureau en local d’habitation (Cass. 3e civ., 20 octobre 2016, n° 15-21.714)
- Affectation de lots commerciaux à l’habitation d’adultes handicapés (CA Paris, 23e B, 12 janvier 2006)
Ces décisions illustrent l’assouplissement progressif de la jurisprudence concernant le changement d’affectation d’un lot.
Les procédures d’autorisation pour le changement d’affectation d’un lot
L’absence d’obligation légale préalable
Aucune disposition de la loi du 10 juillet 1965 n’oblige un copropriétaire à soumettre son projet de changement d’affectation d’un lot à l’assemblée générale. Cette absence d’obligation découle du principe de libre disposition des parties privatives. Toutefois, un doute subsiste souvent sur la licéité du changement envisagé. Par prudence et pour éviter tout contentieux ultérieur, certains copropriétaires décident de saisir l’assemblée générale à titre préventif.
Quelle majorité pour changer l’affectation d’un lot ?
Tout dépend de l’impact du changement sur la copropriété.
Sans atteinte constatée
Lorsque le changement d’usage ne porte aucune atteinte à la destination de l’immeuble, aux droits des autres copropriétaires et respecte le règlement, l’assemblée générale n’a pas à autoriser, mais simplement à constater l’absence d’obstacle. Dans ce cas, la décision relève de la majorité simple (article 24) de la loi du 10 juillet 1965.
Avec atteinte
En revanche, si le projet modifie la destination de l’immeuble ou porte atteinte aux droits d’un ou plusieurs copropriétaires, la situation change. La décision doit alors être prise à l’unanimité de tous les copropriétaires, conformément à la jurisprudence constante.
Le pouvoir encadré de l’assemblée générale
L’assemblée ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire pour refuser une autorisation de changement d’affectation d’un lot. Selon la Cour de Cassation 3e civile du 4 octobre 2014 (n°13-20.585), elle ne peut refuser cette autorisation qu’en constatant que :
- L’activité projetée est interdite par le règlement
- Elle est incompatible avec la destination de l’immeuble
- Elle porte atteinte aux droits des autres copropriétaires
Lorsqu’un copropriétaire s’assujettit à l’accord des copropriétaires pour son changement d’affectation d’un lot, la décision devient définitive faute de contestation. Elle s’impose au copropriétaire concerné et à tous les autres copropriétaires (Cass. 3e civ, 8 juin 2017, n°16-16.566).
Les autorisations administratives complémentaires
L’autorisation de l’assemblée générale, même obtenue, ne dispense pas des autorisations administratives. Le copropriétaire doit se préoccuper d’obtenir les autorisations nécessaires selon l’article L.631-7 du Code de la construction et de l’habitation.
Ces autorisations concernent notamment :
- Les déclarations préalables de travaux
- Les permis de construire si nécessaire
- Les autorisations de changement d’usage selon la réglementation locale
- La conformité aux règles d’urbanisme
Par ailleurs, l’autorisation préalable de l’assemblée générale demeure indispensable lorsque le changement d’affectation d’un lot entraîne des travaux affectant les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble. C’est ce que rappelle l’article 25 b de la loi du 10 juillet 1965, confirmé par la Cour d’appel de Dijon le 9 décembre 2014 (n°13/00765).
De plus, ce type de changement peut modifier la répartition des charges entre copropriétaires. L’assemblée générale devra alors voter spécifiquement sur cette question, toujours selon l’article 25 de la loi de 1965. Cet aspect financier est souvent central, notamment lors du passage à un usage professionnel ou commercial.
FAQ – Changement d’affectation de lot en copropriété
Puis-je transformer mon appartement en bureau sans autorisation ?
Cela dépend du règlement de copropriété et de la destination de l’immeuble. Si le règlement autorise l’usage professionnel et que l’immeuble a une destination mixte, aucune autorisation n’est requise. Dans le cas contraire, vous devez obtenir l’accord de l’assemblée générale, parfois à l’unanimité.
Quelles sont les trois conditions à vérifier avant tout changement ?
Vous devez vérifier que votre projet est compatible avec le règlement de copropriété, qu’il ne porte pas atteinte à la destination de l’immeuble, et qu’il respecte les droits des autres copropriétaires. Ces trois critères conditionnent la faisabilité légale de votre transformation.
À quelle majorité l’assemblée générale doit-elle se prononcer ?
Si votre projet ne pose aucun problème, l’assemblée peut constater l’absence d’obstacle à la majorité de l’article 24. En revanche, si le changement porte atteinte à la destination de l’immeuble ou aux droits d’autrui, l’unanimité est requise.
Dois-je obligatoirement passer par l’assemblée générale ?
Non, la loi ne l’impose pas. Cependant, par prudence et pour éviter des contentieux ultérieurs, beaucoup de copropriétaires choisissent de soumettre leur projet à l’assemblée générale, même quand ce n’est pas obligatoire.
Quelles autres autorisations peuvent être nécessaires ?
Outre l’éventuelle autorisation de la copropriété, vous devez obtenir les autorisations administratives requises : déclaration préalable de travaux, autorisation de changement d’usage selon la réglementation locale, et respect des règles d’urbanisme selon l’article L.631-7 du Code de la construction.