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Energie

Certificats d’économies d’énergie : bilan et défis du dispositif français

Certificats d’économies d’énergie : bilan et défis du dispositif français

Les certificats d’économies d’énergie (CEE) sont au cœur de la stratégie française pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Créé en 2005, ce dispositif oblige les fournisseurs d’énergie à soutenir des actions d’économies d’énergie. Mais, son efficacité est remise en question. La Cour des comptes vient de publier un rapport critique, pointant la complexité croissante du système et son coût élevé. Malgré un million d’opérations financées chaque année, les économies réelles seraient surestimées d’au moins 30%. Face à ces défis, une réforme en profondeur semble inévitable pour pérenniser les certificats d’économies d’énergie.

Sommaire :

Comprendre les certificats d’économies d’énergie

Origines et objectifs du dispositif CEE

Les certificats d’économies d’énergie ont vu le jour en 2005 avec la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique. Leur but est de réduire la consommation d’énergie en France. Ainsi, ils s’inscrivent dans l’objectif plus large d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Ce mécanisme de marché oblige les fournisseurs d’énergies et les vendeurs de carburants automobiles à soutenir des actions concrètes d’économies d’énergie.

En 2023, dans le cadre du paquet « Fit for 55 » présenté par la Commission européenne, la France a proposé de rehausser ses efforts pour réduire de 30 % sa consommation d’énergie finale en 2030 par rapport à 2012. En effet, cette proposition répond aux objectifs de la directive communautaire relative à l’efficacité énergétique (DEE), révisée en 2023. Les CEE sont donc devenus les principaux outils de cette politique d’efficacité énergétique ambitieuse.

Fonctionnement et évolution du système des certificats d’économies d’énergie

Le principe est simple : les entreprises assujetties doivent obtenir un certain nombre de certificats, proportionnel à leurs ventes d’énergie. Pour ce faire, elles financent des actions d’économies d’énergie auprès des ménages et des entreprises. Ainsi, ces actions vont de l’isolation des logements à la récupération de chaleur industrielle. Depuis 2015, le niveau d’obligation a été multiplié par 3,5, témoignant de l’ambition croissante du dispositif.

Selon les données fournies par la Cour des Comptes, plus d’un million d’opérations ont été financées chaque année depuis 2021. Cette massification des actions, souvent de taille modeste, démontre la capacité du dispositif à atteindre les bénéficiaires finaux. À cet effet, les actions aidées entre 2014 et 2020 auraient permis de réduire de 106 TWh la consommation d’énergie en France en 2020, soit 6,5 % de celle-ci. Notons que les CEE ont eu un impact significatif sur le financement de la rénovation énergétique en France.

Comme le souligne Nicolas Moulin, fondateur de PrimesEnergie.fr : “Rappelons que les montants versés et travaux réalisés ont été infiniment plus importants avec les CEE que les dispositifs du type MaPrimeRenov’ ces 10 dernières années, n’en déplaise aux responsables politiques successifs.”

Les défis du dispositif CEE

Complexification croissante

Au fil des années, le dispositif s’est considérablement complexifié. Initialement axé sur les économies d’énergie les plus rentables, désormais, il inclut des objectifs supplémentaires. Citons par exemple : le soutien aux ménages précaires (CEE précarité) ou des programmes de formation et d’innovation. Or, cette évolution a engendré une multiplication des règles et mécanismes. Et, cela a rendu le système de plus en plus difficile à appréhender et à gérer.

En effet, le dispositif intègre à présent des bonifications temporaires au profit de certaines opérations comme le changement de chaudière ou l’isolation des combles. Ces ajouts, bien qu’ils visent à stimuler des actions spécifiques, contribuent à la complexité globale du système. Car, les règles varient selon :

  • les énergies,
  • les fournisseurs assujettis,
  • le niveau d’obligation,
  • la valorisation des économies d’énergie,
  • les modalités de contrôle des dossiers.

Coûts croissants et transferts financiers

Le coût du dispositif des certificats d’économies d’énergie ne cesse d’augmenter, comme le montre le tableau suivant :

Coût estimé du dispositif des certificats d'économie d'énergie
Ce coût élevé a un impact direct sur les ménages français :

impact direct sur les ménages français
Soulignons que 30 % du coût du dispositif est absorbé par les frais de gestion des différents intermédiaires et la TVA prélevée par l’État. Cela signifie qu’une part significative des ressources mobilisées ne contribue pas directement aux économies d’énergie, comme le montre le tableau suivant :

Coûts croissants et transferts financiers - certificats d'économies d'énergie
Les aides financières versées pour soutenir les opérations d’économies d’énergie entraînent des transferts financiers importants et souvent méconnus. Les principaux bénéficiaires sont les secteurs de l’industrie, de la rénovation du parc bâti résidentiel, ainsi que les ménages modestes. En outre, ces transferts, bien qu’ils visent à encourager les économies d’énergie, soulèvent des questions d’équité et d’efficacité de la répartition des ressources.

Fraudes et contrôles insuffisants des certificats des économies d’énergie

Un des problèmes majeurs soulevés par la Cour des comptes et confirmé par les acteurs du secteur est la persistance des fraudes dans le dispositif des CEE. Selon le rapport de la Cour des comptes du 17 septembre 2024, les irrégularités relevées incluent la surestimation des gains énergétiques et la réalisation de travaux fictifs.

Hello Watt, une plateforme spécialisée dans la rénovation énergétique, confirme cette situation : “Hello Watt fait face quotidiennement à des entreprises attirant les clients avec des promesses trompeuses. C’est-à-dire : un montant de CEE exagérés, des coûts des travaux déconnectés de la réalité économique, des travaux non conformes ou absence d’études techniques sérieuses.”

Ces fraudes compromettent l’efficacité du dispositif. Mais, par ailleurs, elles discréditent l’ensemble du secteur de la rénovation énergétique. Il est donc essentiel de renforcer les contrôles et de mettre en place des mécanismes plus robustes pour prévenir et sanctionner ces pratiques frauduleuses.

Efficacité et controverses

Surestimation des économies d’énergie

Un des principaux problèmes soulevés par la Cour des comptes est la surestimation des économies d’énergie réalisées. Les calculs théoriques utilisés pour évaluer les résultats du dispositif ne correspondent pas aux économies réelles. Or, selon les estimations de la Cour, cette surévaluation serait d’au moins 30% pour les années 2022 et 2023.

L’efficacité réelle du dispositif CEE est remise en question, comme le montre le tableau suivant :

efficacité réelle du dispositif CEE
La surestimation des économies d’énergie découle principalement de la méthode de calcul utilisée. En effet, le volume de certificats délivrés repose sur des estimations théoriques. Ces calculs ne sont pas validés par des mesures réelles de consommation après la réalisation des travaux.

De plus, cette approche présente d’autres lacunes. D’une part, elle ne tient pas compte des changements potentiels dans les habitudes des usagers. D’autre part, elle ignore les éventuels problèmes survenant lors de la mise en œuvre des solutions d’économie d’énergie. Par conséquent, l’écart entre les économies théoriques et réelles peut s’avérer significatif.

Enfin, le dispositif des certificats d’économies d’énergie soutient fréquemment des opérations qui bénéficient également d’autres dispositifs de politique publique. C’est le cas notamment de Ma Prime Rénov’ et du Fonds Chaleur. Or, cette superposition de financements complique l’évaluation de l’impact réel du seul mécanisme des CEE.

Face à ce problème de surestimation, des solutions innovantes émergent. Par exemple, Hello Watt propose une application permettant aux particuliers de suivre leurs économies d’énergie réelles après la réalisation de travaux. Comme l’entreprise le suggère : “Pour chaque travaux réalisés, il devrait être obligatoire de proposer une solution de mesure des consommations et des économies réalisées, comme ce qui s’est fait sur la RT2012 il y a quelques années dans le neuf.”

Perspectives et recommandations

Réformes nécessaires des certificats d’économies d’énergie

Face aux nombreux défis identifiés, la Cour des comptes recommande une réforme en profondeur du dispositif. Parmi les pistes évoquées, on trouve :

  • la simplification du système,
  • un meilleur encadrement,
  • et une participation accrue du Parlement dans la définition des paramètres du dispositif.

La Cour va jusqu’à suggérer que la suppression du dispositif des CEE pourrait être envisagée, à l’instar du choix fait par le Danemark. Cette option radicale témoigne de la gravité des problèmes identifiés. Cependant, d’autres modalités d’organisation ont également été esquissées, comme la transformation des CEE en fonds budgétaires ou le ciblage du dispositif sur un seul public.

Si le législateur opte pour le maintien du dispositif, des réformes structurelles profondes sont jugées nécessaires pour atteindre les objectifs de réduction des consommations d’énergie. Ainsi, la Cour propose sept recommandations dans cette hypothèse.

Nicolas Moulin de PrimesEnergie.fr propose une approche pragmatique pour réformer le dispositif des CEE : “Encourageons les monogestes successifs au lieu de tout miser sur les rénovations globales qui ne marchent pas ! Les monogestes c’est moins d’effet d’aubaine, une disponibilité des artisans, des contrôles beaucoup plus simples.”

Mesures concrètes proposées

Voici un tableau récapitulatif des principales recommandations pour améliorer le dispositif CEE :

recommandations pour améliorer le dispositif des certificats d'économies d'énergie
Ces recommandations visent à corriger les principaux défauts identifiés et à recentrer le dispositif sur son objectif premier. C’est-à-dire : réaliser des économies d’énergie significatives et mesurables. En cela, leur mise en œuvre nécessiterait une refonte importante du cadre réglementaire et opérationnel des certificats d’économies d’énergie.

En conclusion, bien que le dispositif des certificats d’économies d’énergie ait permis de soutenir de nombreuses actions en faveur de l’efficacité énergétique, il fait face à des défis majeurs qui remettent en question sa pérennité sous sa forme actuelle.

Comme le souligne Nicolas Moulin : “Qu’il s’agisse à travers la rénovation énergétique de faire des économies d’énergie, et donc d’alléger les factures des Français, qu’il s’agisse au fond d’agir contre la souffrance de millions de foyers qui subissent le froid mais aussi les désormais les fortes chaleurs, qu’il s’agisse encore de la protection de l’environnement, les aides à la rénovation énergétique ne sont pas une variable d’ajustement, c’est une question de justice et de cohésion sociale.”

Les décideurs politiques devront prendre des décisions importantes dans les mois à venir pour assurer que la France dispose d’outils efficaces pour atteindre ses objectifs ambitieux en matière de réduction de la consommation d’énergie.

Isabelle DAHAN

Isabelle DAHAN

Rédactrice en chef de Monimmeuble.com. Isabelle DAHAN est consultante dans les domaines de l'Internet et du Marketing immobilier depuis 10 ans. Elle est membre de l’AJIBAT www.ajibat.com, l’association des journalistes de l'habitat et de la ville. Elle a créé le site www.monimmeuble.com en avril 2000.

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