Dans un contexte de changement climatique et de défis environnementaux croissants, l’urbanisme doit évoluer pour devenir plus durable. C’est tout l’enjeu du 120e Congrès des Notaires de France qui se penche cette année sur le thème de l’urbanisme durable. À travers les réflexions de trois commissions – Anticiper, Convaincre et Réaliser – les notaires proposent un état des lieux du cadre juridique actuel. L’objectif : sécuriser les projets d’aménagement face aux risques climatiques, favoriser leur acceptabilité et leur réalisation, tout en préservant l’environnement. Décryptage des principaux enjeux et des propositions phares de ce congrès qui entend réconcilier urbanisme et écologie.
Sommaire :
- Les notaires en première ligne face aux risques climatiques
- Un droit de l’environnement foisonnant, mais peu opérationnel
- Réaliser les projets malgré la rareté du foncier
- Anticiper les risques, sécuriser les projets, économiser le foncier
Les notaires en première ligne face aux risques climatiques
Pour le 120e Congrès des Notaires de France, pas de doute : les professionnels du droit doivent monter en compétence sur les enjeux environnementaux.
“Beaucoup de règles proviennent de directives européennes auxquelles notre droit français n’est pas rompu”, explique Hervé de Gaudemar, rapporteur général.
“ Les notaires ont le devoir de conseiller leurs clients sur les nouveaux risques climatiques, ce qui élargit leur responsabilité”, souligne Maître Adeline Seguin, rapporteur.

Au menu : érosion du littoral, inondations, sécheresses, incendies… En 40 ans, selon le Ministère de la Transition Écologique, la France a subi 17 500 catastrophes naturelles. Elles ont touché 5700 communes et coûté 50 milliards d’euros. Un risque bien réel, mais largement sous-estimé par l’opinion.
L’érosion côtière, entre déni et prise de conscience
20% du littoral français est menacé par l’érosion côtière, alerte l’association des élus du littoral. D’ici 2100, selon un rapport interministériel de mars 2024, 450 000 logements seront concernés. Ce qui représente 86 milliards d’euros de dégâts potentiels.
D’ailleurs, la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 oblige les notaires, depuis le 1er janvier 2023, à informer les acquéreurs sur ce péril. En effet, c’est une obligation d’information graphique et juridique (art. L121-22-6 du Code de l’environnement).
Malgré ce constat alarmant, “ le déni de ces risques est prégnant et l’attrait touristique demeure”, observe Maître Eric Meiller. L’immeuble Le Signal, à Soulac-sur-Mer, dont les occupants ont été expropriés en 2014, illustre ce décalage. “ Des appartements s’y sont vendus jusqu’en 2011 malgré la menace”, s’étonne le notaire.
Le 120e Congrès des Notaires appelle à clarifier ce nouveau devoir de conseil. “Où trouver l’information fiable et pertinente ?”, s’interroge Maître Adeline Seguin. Certes, le service Géorisques recense les zones exposées, mais le contenu de l’information à délivrer reste à préciser.
Argiles et catastrophes naturelles : un coût croissant
Le retrait-gonflement des argiles menace aussi 11 millions de maisons en France, selon un rapport parlementaire d’octobre 2023. Et, la facture des catastrophes naturelles ne cesse de s’alourdir. Ainsi, elle atteint 2,4 milliards d’euros en 2022, contre 820 millions en 2016 d’après France Assureurs. Un coût qui pourrait tripler d’ici à 2050 !
Pour le 120e Congrès des Notaires de France, les pouvoirs publics tardent à prendre la mesure de ces périls. “Malgré un régime d’indemnisation unique au monde, le système crée encore des oubliés, des sinistrés abandonnés”, fustige le député Vincent Ledoux dans un rapport de 2023.
“Il y a une prise de conscience, mais le droit est peu porté sur l’anticipation”, regrette Maître Eric Meiller. Ainsi, le diagnostic de performance énergétique (DPE) comporte une seule ligne sur le confort d’été, noté sommairement. En cela, les notaires plaident pour une meilleure prise en compte des risques dans les documents d’urbanisme, à l’image du futur PLU bioclimatique de Paris.
Un droit de l’environnement foisonnant, mais peu opérationnel
Consulter plus en amont des projets
Étude d’impact, enquête publique, concertation préalable… Les procédures se multiplient pour associer le public aux projets d’aménagement. Avec à la clé, des délais à rallonge et une insécurité juridique croissante.
“Les délais de jugement étaient, en 2013, de 23 mois en première instance”, rappelle un rapport du Conseil d’État. À cet effet, la loi Industrie Verte du 23 octobre 2023 tente de raccourcir les procédures. Mais, elle crée aussi de nouvelles consultations obligatoires.
“ La multiplication des autorisations environnementales met les opérateurs dans l’embarras”, pointe Maître Virginie Deshayes. Dernier exemple en date : l’autorisation environnementale unique qui “embarque” 18 autres autorisations ! C’est pourquoi, le 120e Congrès des Notaires de France prône une consultation plus en amont, dès la conception des projets, pour mieux les sécuriser. “Il faut stabiliser les procédures”, recommande le Conseil d’État dans son avis sur la loi Industrie Verte.
Un principe ERC encore flou
Depuis la loi Biodiversité de 2016, tout projet doit appliquer la séquence “Éviter-Réduire-Compenser” (ERC) ses impacts sur l’environnement. Toutefois, ce principe est encore flou et sujet à interprétation pour le 120e Congrès des Notaires de France.
“La compensation, qui existe depuis 2016 avec une obligation de résultat, pose question quant à son efficacité et sa pérennité”, relève Maître Antoine Urvoy. Elle est aussi très consommatrice de foncier. Pour la ligne TGV Tours-Bordeaux, mise en service en 2017, 3500 hectares ont dû être sanctuarisés, sans garantie de suivi dans le temps… Un seul site de compensation a vu le jour en France, dans la plaine de la Crau, et son bilan est mitigé. “Cet exemple unique est loin d’être satisfaisant”, juge Maître Urvoy. En cela, les notaires proposent de clarifier le régime de la vente des unités de compensation.
Articuler urbanisme et environnement
“ Il faut donner aux collectivités les outils pour imaginer durablement la ville de demain”, martèle Maître Antoine Urvoy. Ainsi, le 120e Congrès des Notaires appelle à mieux articuler droit de l’urbanisme et droit de l’environnement, encore trop cloisonnés.
Notons qu’un premier pas a été franchi avec la décision du Conseil d’État du 30 décembre 2020. Puisque ce dernier a jugé qu’un permis de construire doit respecter les prescriptions du Code de l’environnement.
“Les enjeux écologiques sont vécus comme une contrainte, ils doivent être considérés comme une composante utile des projets”, insiste Maître Virginie Deshayes. Les notaires suggèrent d’adjoindre aux autorisations une notice d’impact environnemental pour sécuriser les opérations dès leur conception. Un outil inspiré des Orientations d’Aménagement et de Programmation (OAP) qui permet une approche plus souple et qualitative.
Réaliser les projets malgré la rareté du foncier
Construire sans artificialiser les sols
Objectif affiché par la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 :
- diviser par deux le rythme d’artificialisation des sols d’ici 2031,
- atteindre le “Zéro artificialisation nette” en 2050.
Or, c’est un défi colossal alors que la France a, selon l’Observatoire national de l’artificialisation, consommé 231 000 hectares en 10 ans. Et, cela, surtout au détriment des terres agricoles.
“ Répartir ces quotas de foncier est complexe pour les élus locaux”, souligne Maître François Gouhier. Ce “droit à construire” suscite de vives tensions. En témoigne le bras de fer engagé par la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Par conséquent, le 120e Congrès des Notaires craint un manque de visibilité pénalisant. Car les communes ne connaîtront leurs droits à construire qu’en 2028… Un calendrier repoussé par la loi Zan 2 du 27 juillet 2023.
Reconstruire la ville sur la ville
Place à la sobriété foncière ! C’est le mot d’ordre du 120e Congrès des Notaires. Ainsi, il faut reconvertir les friches, réhabiliter l’existant, densifier le bâti, etc. L’objectif “Zéro artificialisation nette” oblige à optimiser les “dents creuses”. De même, la loi Climat et Résilience encourage le réemploi des matériaux de construction. Et, elle impose, depuis le 1er janvier 2023, une étude sur “le potentiel de changement de destination” avant toute démolition (art. L126-35 du Code de la construction).
“Transformer l’existant devrait être la règle, la démolition l’exception”, résume Maître Michèle Raunet. À cet effet, les notaires proposent des incitations fiscales pour les opérateurs vertueux. De plus, ils suggèrent un régime spécifique pour requalifier les zones commerciales. Qui rappelons-le sont le gisement de 87 000 hectares selon un rapport de l’Inspection générale des finances. Le Gouvernement vient d’ailleurs d’annoncer un fonds de 26 millions d’euros pour transformer 74 friches en 25 000 logements.
Des modes de propriété à réinventer
Pour gérer la rareté du foncier, le 120e Congrès des Notaires invite à repenser la propriété des sols. Inspiration à l’étranger : Amsterdam possède 80% de ses terrains qu’elle concède par emphytéose, Stockholm contrôle 50 000 hectares, etc. En France, les initiatives se multiplient. Le Grand Annecy et le Grand Chambéry ne cèdent plus leurs terrains en pleine propriété, mais par baux de 99 ans. Désormais, l’idée de “foncier-bien commun” progresse.
“ Nous devons réinterroger la propriété du foncier et imaginer de nouvelles solutions”, encourage Maître Michèle Raunet. En cela, les notaires veulent développer le bail à construction, le bail réel solidaire… Déjà 110 Organismes Fonciers Solidaires ont vu le jour, pour 16 000 logements abordables livrables d’ici à 2027.
Anticiper les risques, sécuriser les projets, économiser le foncier
Le 120e Congrès des Notaires dresse une feuille de route ambitieuse pour verdir l’urbanisme. Un changement de paradigme nécessaire face à l’urgence climatique. À cet effet, les notaires formulent 21 propositions concrètes, fruit d’un travail de deux ans et de l’expertise de 14 commissions.
Parmi les pistes :
- clarifier le devoir de conseil sur les risques naturels,
- mieux informer le public en amont des projets,
- garantir la pérennité des mesures compensatoires,
- inciter à la transformation de l’existant,
- développer la propriété temporaire des sols, etc.
Reste aux pouvoirs publics à s’emparer de ces propositions pour bâtir un cadre de vie plus résilient et durable. Les notaires se veulent à la pointe de ce combat et entendent bien, par leur expertise, réconcilier ville et nature. Un enjeu vital pour les générations futures.
“ Le 120e Congrès qui se tiendra cette année à Bordeaux fera date, car le monde change et la société avec”, veut croire sa Présidente Marie-Hélène Pero Augereau-Hue.