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Logement

Veuvage et déménagement : pourquoi les classes populaires sont-elles plus touchées ?

Veuvage et déménagement : pourquoi les classes populaires sont-elles plus touchées ?

37% de risque supplémentaire de déménager. C’est ce que provoque la perte d’un conjoint selon une étude de l’Ined publiée en 2025. Les chercheurs Timothée Chabot et Guillaume Le Roux ont analysé plus de 33 000 veuvages en France. Leur constat est sans appel : veuvage et déménagement frappent bien plus durement les classes populaires. Là où les cadres absorbent le choc, les ménages modestes perdent leur logement. Comment expliquer ces inégalités ?


Sommaire :


À retenir – Veuvage et déménagement en France

  • Les personnes veuves ont 37% de chances supplémentaires de déménager que les personnes restées en couple.
  • Les ménages inactifs connaissent une surmobilité de 13 points après un veuvage, contre seulement 2 points pour les ménages cadres.
  • Le veuvage réduit de 4 points en moyenne les chances de rester propriétaire de son logement.
  • Les hommes veufs entrent trois fois plus souvent en institution que les femmes veuves.
  • Plus le veuvage survient tardivement, plus son impact sur la mobilité résidentielle est important.

Comment veuvage et déménagement sont-ils liés statistiquement ?

Le veuvage constitue un facteur majeur de mobilité résidentielle. En effet, l’étude de Chabot et Le Roux le démontre dans une étude de l’Ined publiée en 2025 dans la revue Population. Les personnes veuves ont 37% de chances supplémentaires de déménager. Cette surmobilité s’observe dans une fenêtre temporelle entourant le décès du conjoint.

Une mobilité qui touche près d’un veuf sur quatre

Les données proviennent de l’Échantillon démographique permanent. Elles couvrent la période 1990-2017. Selon cette source, environ 25% des personnes veuves changent de logement. Ce taux atteint même 32% pour les ménages inactifs. Par ailleurs, la mobilité intercommunale augmente également de manière significative.

L’échantillon étudié couvre les générations nées entre 1910 et 1959. Il représente plus de 525 000 individus. Ces derniers ont été observés sur trois périodes intercensitaires. Au total, près de 33 600 transitions vers le veuvage ont été identifiées puis analysées.

Des déménagements souvent contraints

Dès 2007, les travaux de Bonnet et al. avaient mis en lumière cette mobilité particulière. Les veufs et veuves tendent à réduire la taille de leur logement. Ils perdent aussi leur statut de propriétaire. De plus, ils se rapprochent des zones urbaines denses. Enfin, ils cherchent à vivre près de leurs enfants. L’étude de 2025 confirme ces tendances. Toutefois, elle révèle également leur différenciation sociale.

Le veuvage réduit le nombre de pièces du logement de 0,12 pièce en moyenne. Concrètement, les personnes passent souvent d’une maison à un appartement. Cette adaptation répond à des contraintes financières. Elle répond aussi à des contraintes pratiques. En effet, entretenir seul un grand logement devient difficile avec l’avancée en âge.

Pourquoi les classes populaires subissent-elles davantage le veuvage et le déménagement ?

L’hypothèse centrale de l’étude repose sur le mécanisme de désavantage cumulatif. Ce concept est issu de la sociologie des parcours de vie. Il postule que les individus disposant de peu de ressources subissent plus durement les mêmes chocs biographiques. Or, face au veuvage, ce mécanisme se vérifie pleinement.

Un écart marqué entre cadres et ouvriers

Les résultats sont éloquents. D’une part, l’effet du veuvage sur la mobilité est quasi nul pour les ménages à dominante cadre. Ces derniers affichent une surmobilité de seulement 2 points. D’autre part, cet effet atteint 6 points pour les ménages à dominante ouvrière. Il grimpe même à 13 points pour les ménages inactifs.

Les ménages de cadres biactifs semblent véritablement protégés. Ils ne connaissent aucune surmobilité significative. De surcroît, ils conservent leur statut de propriétaire dans les mêmes proportions qu’en l’absence de veuvage.

Le rôle déterminant des ressources financières

Les écarts observés s’expliquent largement par les contraintes financières. Les pensions de réversion assurent bien, en moyenne, un niveau de vie presque équivalent à celui d’avant. Mais une partie des bénéficiaires dispose de droits propres très faibles, particulièrement au sein des classes populaires. Pour ces ménages, la baisse de revenus est plus marquée, au point de les pousser à vendre leur logement ou à s’orienter vers un habitat plus petit.

Le statut d’activité avant la retraite influe lui aussi fortement. Les personnes auparavant inactives subissent une dégradation plus nette, et ce, quel que soit leur milieu social. L’étude révèle d’ailleurs un résultat inattendu : les inactifs issus de foyers aisés sont autant touchés que les actifs provenant de milieux populaires.

Enfin, le système de pension de réversion, défini par le Code de la sécurité sociale — notamment les articles L. 353-1 et suivants pour le régime général — n’est pas uniforme. Les conditions d’ouverture des droits diffèrent d’un régime de retraite à l’autre, ce qui ajoute une complexité supplémentaire à l’analyse des situations individuelles.

Taux de déménagement selon la catégorie socioprofessionnelle du ménage - Veuvage et déménagement

Quelles sont les conséquences sur le statut de propriétaire après un veuvage et déménagement ?

La propriété du logement constitue un indicateur clé des inégalités résidentielles. À ce sujet, l’étude révèle un constat préoccupant. Le veuvage réduit les chances d’être propriétaire de 4 points en moyenne. Concrètement, le taux passe de 77,8% attendus sans veuvage à 73,6% observés après la perte du conjoint.

Les cadres préservent leur patrimoine

Pour les ménages principalement composés de cadres, l’impact du veuvage sur la propriété apparaît très limité. Il n’est d’ailleurs pas significatif sur le plan statistique. Puisque 85% restent propriétaires après un veuvage, contre 87% en l’absence de cet événement. L’écart de deux points demeure donc presque négligeable.

Cette stabilité tient à plusieurs éléments. Les catégories supérieures disposent de revenus plus élevés et d’un patrimoine plus solide, ce qui leur offre une marge de manœuvre financière importante. Elles s’appuient également sur des réseaux personnels plus larges et variés. Ensemble, ces atouts favorisent le maintien dans le logement et permettent, si nécessaire, de choisir plus librement une nouvelle solution d’habitat.

Les classes populaires perdent davantage leur logement

À l’inverse, les ménages populaires subissent une perte de propriété nettement plus marquée, comprise entre 5 et 8 points selon les groupes. Un élément central permet de comprendre cet écart : les catégories supérieures parviennent davantage à préserver leur statut de propriétaire, même lorsqu’un déménagement s’impose.

Les cadres changent de logement dans des proportions similaires aux autres ménages après un veuvage. Cependant, ils parviennent plus souvent à rester propriétaires, y compris en cas de relogement. Ainsi, ce n’est pas leur mobilité qui est moindre, mais bien la probabilité de devoir quitter la propriété à la suite du veuvage qui est plus faible.

L’âge au veuvage aggrave-t-il les inégalités de déménagement ?

L’étude révèle une relation forte entre l’âge au moment du veuvage et la mobilité résidentielle. Plus précisément, le lien entre veuvage et déménagement se renforce considérablement avec l’avancée en âge.

Une surmobilité croissante avec l’âge

L’impact du veuvage sur la probabilité de déménager varie fortement selon l’âge. Avant 50 ans, il ne dépasse pas 3%. En revanche, il grimpe à 13% chez les plus de 80 ans. Cette hausse s’explique en grande partie par la dégradation de l’état de santé, mais aussi par la difficulté accrue à vivre seul à un âge avancé.

Effet du veuvage selon l'âge
Effet du veuvage selon l’âge

Chez les moins de 50 ans, la surmobilité liée au veuvage n’apparaît pas significative sur le plan statistique. Même si l’événement reste particulièrement éprouvant, il ne se traduit pas automatiquement par un changement de logement. Ces personnes disposent en général de ressources d’adaptation plus importantes, ce qui limite la nécessité de déménager.

Un paradoxe pour les classes populaires

Les ménages populaires sont touchés par des veuvages plus précoces, conséquence directe d’une espérance de vie plus faible. Pourtant, malgré cet âge moins avancé au moment de la perte du conjoint, ils enregistrent une surmobilité plus élevée. Un résultat qui peut paraître surprenant.
En réalité, cette observation confirme la logique du désavantage cumulatif : les inégalités de ressources pèsent davantage que l’effet de l’âge. La surmobilité constatée chez les ménages populaires constitue même une estimation prudente. À âge identique, les écarts pourraient être encore plus marqués.

Existe-t-il des différences entre hommes et femmes face au veuvage et déménagement ?

Contrairement aux attentes, les taux de mobilité après veuvage ne diffèrent pas significativement selon le sexe. Hommes et femmes déménagent dans des proportions similaires. Pour les femmes, le taux passe de 19% à 25 %. Pour les hommes, il passe de 18% à 25 %. Cependant, des nuances importantes apparaissent dans le lien entre veuvage et déménagement.

Les femmes se rapprochent des villes

Le veuvage conduit les femmes à s’installer dans des communes plus denses, un phénomène qui ne se retrouve pas chez les hommes. Les veuves semblent ainsi se rapprocher des centres-villes, mais également de leurs enfants. Plusieurs éléments permettent d’éclairer cette différence. Le rapport à l’automobile, d’abord : dans les générations étudiées, les hommes disposent plus souvent du permis et conduisent davantage, ce qui réduit leur dépendance à la localisation. Les femmes, ensuite, paraissent plus vulnérables face à la solitude. Elles anticipent également les besoins liés au grand âge, ce qui les incite à privilégier la proximité des soins et des services essentiels.

Impact du veuvage selon le sexe
Impact du veuvage selon le sexe

Les hommes entrent trois fois plus en institution

Le résultat le plus frappant concerne l’entrée en Ehpad ou en institution spécialisée. Les hommes veufs y sont admis près de trois fois plus fréquemment que les femmes. Leur sur-entrée atteint 6 points, contre seulement 2 points pour les veuves.

Cette différence suggère que les hommes gèrent plus difficilement la vie en solitaire après la perte de leur conjointe. Plusieurs facteurs y contribuent. Ils disposent souvent d’une autonomie plus limitée pour les tâches domestiques et le quotidien. Leur soutien familial est également moins mobilisé. Enfin, le veuvage masculin, plus rare, est aussi moins anticipé, ce qui rend la transition d’autant plus brutale.

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Isabelle DAHAN

Isabelle DAHAN

Rédactrice en chef de Monimmeuble.com. Isabelle DAHAN est consultante dans les domaines de l'Internet et du Marketing immobilier depuis 10 ans. Elle est membre de l’AJIBAT www.ajibat.com, l’association des journalistes de l'habitat et de la ville. Elle a créé le site www.monimmeuble.com en avril 2000.

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