Selon la proposition de loi n°897 du Sénat français enregistrée le 18 septembre 2025, la protection des consommateurs d’énergie devient une priorité législative urgente. Dix-sept ans après la libéralisation du marché énergétique, la promesse de baisse des prix s’est transformée en désillusion. Les consommateurs français font face à des hausses constantes, à une complexité contractuelle croissante et à une vulnérabilité amplifiée par la précarité énergétique. Cette proposition de loi, élaborée en concertation avec la Commission de régulation de l’énergie (CRE), le Médiateur national de l’énergie (MNE) et l’UFC-Que Choisir, propose des solutions concrètes : interdiction des coupures d’électricité pour impayés, renforcement des droits contractuels, encadrement strict des fournisseurs et des courtiers en énergie.
Sommaire :
- Pourquoi la protection des consommateurs d’énergie est-elle devenue urgente ?
- Quelles sont les mesures pour protéger les consommateurs particuliers ?
- Comment renforcer la protection des petits professionnels ?
- Quelles transparences pour les contrats de fourniture d’énergie ?
- Comment garantir la fiabilité des fournisseurs d’énergie ?
- Quel encadrement pour les comparateurs et courtiers en énergie ?
À retenir – Protection des consommateurs d’énergie
- Les coupures totales d’électricité pour impayés sont interdites
- Les TPE bénéficient des mêmes protections que les particuliers
- Aucune modification de contrat n’est possible durant la première année
- Un score éthique obligatoire évalue tous les fournisseurs
- Les comparateurs et courtiers en énergie sont strictement encadrés
Pourquoi la protection des consommateurs d’énergie est-elle devenue urgente ?
L’échec de la libéralisation du marché énergétique
La libéralisation du secteur énergétique s’appuyait sur une promesse simple : faire baisser les prix pour les consommateurs. Dix-sept ans plus tard, le constat est tout autre. Dans la quasi-totalité des pays européens, les tarifs de fourniture d’énergie ont constamment augmenté.
Comme le rappelle la proposition de loi, le « dogme néolibéral, imposé à marche forcée par les institutions européennes, n’a tenu aucune de ses promesses ». Face à ce constat d’échec, la protection des consommateurs d’énergie apparaît aujourd’hui comme une nécessité absolue, voire une urgence sociale et politique.
Une précarité énergétique alarmante
Les chiffres de la précarité énergétique sont alarmants. Durant l’hiver 2022-2023, 26% des ménages français déclarent avoir souffert du froid pendant au moins 24 heures. Parmi eux, 42% citent une raison financière.
Face à la flambée des prix, les gestes de privation se multiplient. Pas moins de 79% des foyers reconnaissent avoir restreint le chauffage de leur logement pour réduire leurs factures. De plus, 31% des ménages déclarent avoir rencontré des difficultés à payer certaines factures d’énergie — un chiffre en hausse par rapport à 2022 (27%).
Selon la Fondation Emmaüs, entre 12 et 15 millions de personnes vivent aujourd’hui en situation de précarité énergétique. Ce constat est confirmé par le Médiateur national de l’énergie (MNE), qui observe une hausse continue des interventions pour impayés depuis 2020. En 2023, ces coupures et interventions ont franchi pour la première fois le cap du million, soit une augmentation de 3% par rapport à 2022 et de 49% depuis 2019.
Ces indicateurs inédits traduisent une urgence sociale majeure. Ils appellent à une protection renforcée des consommateurs d’énergie, à la fois sur le plan réglementaire et économique, afin d’éviter que l’énergie ne devienne un bien de luxe pour une partie croissante de la population.
Quelles sont les mesures pour protéger les consommateurs particuliers ?
L’interdiction des coupures d’électricité pour impayés
L’article 1er de la proposition de loi modifie l’article L.115-3 du code de l’action sociale et des familles pour instaurer un droit effectif à une alimentation minimale en électricité. Concrètement, la loi interdit désormais les coupures totales d’électricité pour non-paiement. Elle n’autorise qu’une réduction de puissance, limitée à 2 kilovoltampères (au lieu de 3 kVA auparavant).
Depuis 2021, l’opérateur historique EDF a pris une décision exemplaire : il a renoncé à couper totalement l’électricité aux ménages en difficulté. Cette initiative volontariste marque une avancée majeure dans la protection des consommateurs d’énergie. Désormais, il s’agit de généraliser cette pratique en la rendant obligatoire pour l’ensemble des fournisseurs, qu’ils soient électriques ou gaziers. Une telle mesure garantirait un minimum vital d’alimentation énergétique pour tous, même en cas d’impayés.
Cette orientation s’appuie sur les recommandations convergentes du Médiateur national de l’énergie (MNE) et de la Fondation Emmaüs. Ces organismes soulignent que les coupures d’énergie, trop brutales, peuvent aggraver la précarité des ménages les plus fragiles et entraîner des conséquences dramatiques. En somme, instaurer un droit à l’énergie minimale ne relève plus d’un choix politique, mais d’une nécessité sociale urgente.
Un accès minimum garanti à l’énergie
L’article L.121-1 du Code de l’énergie reconnaît explicitement l’énergie comme un bien de première nécessité. À ce titre, son accès doit être garanti à tous.
Comme le souligne la proposition de loi, « il serait inacceptable qu’en France, septième puissance économique mondiale selon l’OCDE, certaines personnes soient privées d’énergie pour vivre, manger, se chauffer, se laver, se soigner ou travailler. »
Cette mesure prolonge la reconnaissance des droits fondamentaux tels que l’accès à l’eau, le droit au logement ou le droit à un compte bancaire. Elle établit ainsi un socle minimal d’accès aux services essentiels afin de garantir à chacun la dignité et des conditions de vie décentes. En d’autres termes, l’énergie devient un droit social à part entière, au même titre que l’eau ou le logement.
Comment renforcer la protection des petits professionnels ?
Une classification affinée des consommateurs
L’article 2 de la proposition de loi élargit la protection des consommateurs d’énergie aux très petites entreprises (TPE). Cette mesure concerne les structures employant moins de 10 salariés et dont le chiffre d’affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n’excèdent pas 2 millions d’euros.
Ces entreprises de proximité, souvent dépourvues de services juridiques spécialisés et d’une expertise fine sur les questions énergétiques, se retrouvent plus vulnérables lors des négociations contractuelles. La proposition vise donc à corriger ce déséquilibre et à leur offrir une protection équivalente à celle des particuliers.
Cette classification élargie s’applique également aux collectivités territoriales éligibles aux tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVE), ainsi qu’à l’ensemble des organismes HLM. Le texte justifie cette extension en rappelant que ces entités poursuivent un objectif d’intérêt général et doivent, à ce titre, bénéficier d’une protection renforcée face aux aléas du marché énergétique. En somme, la proposition consacre une approche plus inclusive du droit à l’énergie, en intégrant les acteurs économiques et sociaux essentiels au fonctionnement du territoire.
L’encadrement des frais de résiliation
La proposition de loi interdit désormais l’application de frais de résiliation pour les petits professionnels, les collectivités territoriales éligibles aux TRVE et les organismes HLM. Cette mesure renforce la protection contractuelle des acteurs les plus exposés face aux fournisseurs d’énergie.
En revanche, les consommateurs non domestiques employant plus de 50 salariés et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 10 millions d’euros peuvent encore se voir facturer des frais de résiliation. Toutefois, cette facturation reste strictement encadrée. En effet, elle ne s’applique qu’aux contrats à prix fixes et à durée déterminée, et seulement en cas de rupture anticipée. Même dans ce cas, ces frais ne peuvent pas dépasser la perte économique directe subie par le fournisseur. De plus, ils ne sont pas exigibles durant la première année du contrat, garantissant ainsi une marge de flexibilité pour les entreprises.
Un décret en Conseil d’État viendra préciser les formules de calcul standardisées propres à chaque type d’offre énergétique. Cette harmonisation vise à assurer plus de transparence et à offrir une protection renforcée aux consommateurs d’énergie professionnels.
Quelles transparences pour les contrats de fourniture d’énergie ?
Des obligations d’information renforcées
L’article 4 de la proposition de loi modifie l’article L.224-3 du Code de la consommation afin de renforcer l’information précontractuelle des usagers. L’objectif est clair : rendre les offres d’énergie plus lisibles et plus transparentes pour les consommateurs.
La Commission de régulation de l’énergie (CRE) se voit confier un rôle central dans cette démarche. Elle devra élaborer une typologie normalisée des offres, accompagnée d’un court texte explicatif indiquant le niveau d’incertitude lié aux variations et à la prévisibilité des prix. Cette information permettra aux clients de mieux évaluer les risques associés à chaque contrat.
Par ailleurs, chaque offre énergétique devra désormais comporter une estimation de la facture annuelle. Les modalités de calcul et de communication de cette estimation seront définies par décision de la CRE. Ce qui garantira ainsi une base homogène et objective pour tous les fournisseurs.
Enfin, les opérateurs devront publier leur “score éthique”, prévu à l’article L.332-2-2 du Code de l’énergie, et l’actualiser tous les six mois. Ce score permettra de mesurer la conformité éthique et environnementale des fournisseurs. En cela, les consommateurs seront dotés d’un nouvel outil de comparaison et de confiance.
L’interdiction des offres à tarification opaque
L’article 3 de la proposition de loi introduit une mesure clé pour la transparence tarifaire. Il interdit aux fournisseurs d’énergie de commercialiser des offres dont le prix n’est pas connu au moment de la consommation. Concrètement, lorsque le prix n’est pas déterminé au moment de la signature du contrat, le fournisseur doit le communiquer au client au moins vingt-quatre heures avant le début de la période de consommation, et ce de manière dématérialisée.
Cette obligation s’applique à la fois aux offres d’électricité (article L.322-5 du Code de l’énergie) et aux offres de gaz naturel (article L.442-4). Grâce à cette disposition, les consommateurs d’énergie disposent désormais d’une information claire et anticipée sur les tarifs qui leur seront facturés. Elle vise ainsi à éviter les mauvaises surprises sur les factures et à renforcer la confiance entre fournisseurs et clients.
L’encadrement strict des modifications contractuelles
L’article 5 de la proposition de loi renforce les droits contractuels des consommateurs d’énergie en modifiant l’article L.224-10 du Code de la consommation. Il introduit plusieurs garde-fous essentiels pour protéger les usagers contre les changements unilatéraux de contrat.
Désormais, toute modification initiée par le fournisseur est interdite pendant un an à compter de la signature du contrat. Passé ce délai, toute évolution altérant la nature de l’offre énergétique reste également proscrite. Les fournisseurs d’énergie devront respecter une procédure normalisée. Ainsi, toute modification devra être communiquée selon un modèle unique, défini par voie réglementaire, avec un préavis de trois mois — contre un mois actuellement. Cette notification devra présenter, dans une même unité, le montant de l’ancienne et de la nouvelle mensualité envisagée, afin de faciliter la comparaison pour le consommateur.
Le texte consacre aussi un droit de résiliation sans frais, ouvert à tout moment, sauf pour les consommateurs non domestiques disposant d’une puissance électrique supérieure à 36 kilovoltampères.
Enfin, en cas de non-respect de ces obligations, la modification du contrat devient nulle et le tarif antérieur est automatiquement maintenu.
Comment garantir la fiabilité des fournisseurs d’énergie ?
Un devoir de conseil obligatoire
L’article 8 de la proposition de loi introduit une innovation majeure dans le Code de la consommation. Il crée un nouvel article L.224-1-1 qui instaure un véritable devoir de conseil pour les fournisseurs d’électricité et de gaz naturel.
Concrètement, ces fournisseurs seront désormais tenus d’orienter chaque client vers l’offre la plus adaptée à sa situation personnelle et à ses besoins réels. Ce devoir de conseil s’appliquera avant la signature du contrat, mais aussi tout au long de son exécution.
Un décret en Conseil d’État, élaboré après avis de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et du Médiateur national de l’énergie (MNE), précisera les modalités pratiques de mise en œuvre de cette obligation. En instituant ce devoir, le texte place l’intérêt du consommateur au cœur de la relation contractuelle et rapproche le secteur de l’énergie des standards de protection déjà appliqués dans la banque ou l’assurance.
Un score éthique pour chaque fournisseur
L’article 9 crée un nouvel article L.332-2-2 dans le Code de l’énergie établissant un score éthique actualisé tous les six mois. Ce score est calculé à partir de plusieurs indicateurs :
- La capacité de couverture des fournisseurs sur le marché de gros de l’électricité
- Le taux de surconsommation d’électricité de leurs consommateurs
- Le nombre de saisines du Médiateur national de l’énergie
- Les sanctions administratives, civiles et pénales prononcées à leur encontre
Ce score doit être publié “de manière claire et lisible, sur le site internet de chaque fournisseur d’électricité, ainsi que sur les documents notamment publicitaires ou contractuels qu’il produit.”
Des autorisations d’exercice renforcées
L’article 10 marque un tournant majeur dans la régulation du secteur énergétique. Il renforce considérablement le régime d’autorisation des fournisseurs d’électricité et de gaz. Désormais, cette autorisation devra être motivée et limitée à une durée de quatre ans, avec possibilité de renouvellement selon la même procédure.
Un nouvel article L.333-3-2 du Code de l’énergie confère à l’autorité administrative un pouvoir de contrôle renforcé. Dès qu’un manquement aux obligations prudentielles est constaté, ou qu’une sanction est prononcée, elle doit réexaminer sans délai l’autorisation du fournisseur concerné. En cas de deux sanctions en moins de vingt-quatre mois, le texte prévoit une suspension automatique de l’autorisation pendant au moins douze mois.
Cette mesure vise à moraliser un marché fragilisé par plusieurs dérives. Le rapport de la Cour des comptes du 15 mars 2024 soulignait déjà que les dispositifs publics destinés à amortir les fluctuations de prix avaient généré plus de 30 milliards d’euros de marges nettes pour certains acteurs du marché de gros, contre 9 milliards d’euros de coût net pour l’État.
L’exemple du fournisseur Ohm Énergie illustre ces abus. En juillet 2024, le Comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDIS) lui a infligé une sanction inédite pour avoir profité du dispositif ARENH+ en revendant sur le marché de gros des volumes d’électricité initialement destinés à ses clients, après les avoir incités à rompre leurs contrats afin de maximiser ses profits.
Quel encadrement pour les comparateurs et courtiers en énergie ?
La régulation des comparateurs d’offres
L’article 11 introduit un nouveau chapitre V dans le Code de l’énergie, consacré à la régulation des comparateurs d’offres énergétiques. Ces plateformes devront désormais suivre un modèle standardisé, défini par voie réglementaire, et afficher le score éthique prévu à l’article L.332-2-2.
Cette réforme renforce la transparence et la neutralité de l’information donnée aux consommateurs. L’activité de comparaison devient incompatible avec celle de fournisseur d’électricité ou de gaz naturel, afin d’éviter tout conflit d’intérêts. De plus, chaque comparateur devra indiquer de façon claire et visible ses liens économiques éventuels avec les fournisseurs.
Pour garantir la fiabilité du secteur, les comparateurs pourront solliciter un label de confiance délivré par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Ce label ne sera attribué qu’en cas de respect strict d’un cahier des charges, soumis à un contrôle semestriel.
Cette régulation répond à une multiplication des dérives commerciales. En 2024, la DGCCRF a notamment sanctionné le comparateur Selectra pour offres mensongères, préférences dissimulées et confusion entretenue entre ses sites et les acteurs publics du secteur — fournisseurs historiques, gestionnaires de réseau ou même le Médiateur national de l’énergie.
L’obligation d’immatriculation pour les courtiers
L’article 12 crée un chapitre VI entièrement consacré à la régulation du courtage en énergie, un secteur jusqu’ici très peu encadré malgré sa forte croissance. Désormais, les courtiers en énergie devront être immatriculés sur un registre unique, renouvelable chaque année. Cette inscription sera conditionnée au respect de critères stricts : capacité professionnelle, honorabilité, garanties financières et assurance de responsabilité civile professionnelle couvrant leurs activités.
Les dirigeants devront en outre suivre une formation obligatoire d’au moins 150 heures, gage de compétence et de transparence. L’activité de courtage devient incompatible avec la fourniture d’électricité ou de gaz naturel, et toute forme de partenariat entre courtiers est formellement interdite.
La relation entre le courtier et son client sera encadrée par un mandat de courtage écrit, signé par les deux parties. Ce document précisera la demande du client, les obligations de moyens du courtier et le coût exact de la prestation, exprimé en euros. Ce coût sera plafonné par décret, afin d’éviter les dérives tarifaires constatées ces dernières années.
Cette réforme fait suite aux alertes répétées de l’association Stop Fraude Énergie et au reportage de Cash Investigation diffusé le 22 février 2024, qui avaient mis en lumière des pratiques commerciales trompeuses dans le secteur.