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Copropriété

Charges communes : quand la répartition divise les copropriétaires

Charges communes : quand la répartition divise les copropriétaires

La répartition des charges en copropriété peut vite devenir un terrain miné… surtout lorsque les travaux n’impactent qu’une partie de l’immeuble. Un arrêt rendu le 12 mars 2025 par la Cour d’appel de Paris tranche un litige à 240 000 euros entre un hôtel et un syndicat de copropriétaires à propos de travaux de ravalement. La décision rappelle un principe essentiel : sans parties communes spéciales clairement définies dans le règlement de copropriété, tous les copropriétaires paient… même ceux non directement concernés. Une affaire exemplaire pour mieux comprendre les subtilités juridiques de la vie en copropriété.

Sommaire :

Les faits à l’origine du contentieux sur les charges communes

L’immeuble parisien concerné, situé dans le 8e arrondissement, se compose de deux bâtiments distincts : l’un donne sur la rue, l’autre se trouve en fond de cour. La société Hôtel Haussmann Saint Augustin y possède six lots (n°16, 17, 29, 30, 31 et 32). Elle y exploite un restaurant sur rue et un hôtel en fond de cour. Cette répartition géographique joue un rôle central dans le litige sur les charges de copropriété.

Le 4 septembre 2018, l’assemblée générale des copropriétaires adopte la résolution n°5. Elle vote des travaux de ravalement des façades sur cour pour un montant de 306 362,69 euros. Surtout, elle décide de répartir les charges selon la clé des charges communes générales. Tous les copropriétaires doivent donc contribuer, au prorata de leurs tantièmes.

La société Hôtel Haussmann participe à ce vote et approuve la résolution. Ce point sera décisif. En effet, sa participation l’empêche ensuite de contester la décision en tant que “copropriétaire opposant”, selon l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965.

L’émergence du conflit de paiement

Les difficultés surviennent dès novembre 2018 lorsque la société refuse de régler les appels de fonds relatifs aux travaux d’entretien de ravalement. Cette attitude conduit le syndic à délivrer des sommations de payer les 27 juin et 7 août 2019 pour un montant de 218 022,29 euros d’arriérés de charges communes. Et, cela, conformément aux dispositions de l’article 1146 du Code civil sur la mise en demeure. Face au refus persistant de paiement des provisions pour travaux, une assignation en justice est délivrée le 6 décembre 2019 réclamant 224 039,66 euros au titre des charges communes impayées dans ce contentieux immobilier.

La stratégie juridique de contestation des charges communes

L’argument de la répartition par bâtiment

La défense de la société Hôtel Haussmann repose sur une interprétation stricte du règlement de copropriété, datant du 12 janvier 1949 et modifié à plusieurs reprises (10 avril 1953, 26 mars 1960, 14 décembre 1990, 22 mai 1995 et 5 janvier 2015). Elle cite notamment un article du règlement qui stipule :

« Les dépenses qui s’appliqueront exclusivement à un bâtiment, seront réparties uniquement entre les copropriétaires de ces bâtiments respectifs et spécialement les travaux d’entretien et réparation de toute nature. »

À première vue, cette clause justifie une répartition spécifique des charges pour les travaux de ravalement du bâtiment sur cour. Ainsi, la société soutient que seuls les propriétaires du bâtiment sur cour devraient supporter ces frais, excluant ainsi ceux du bâtiment sur rue. Cette argumentation vise à réduire significativement sa quote-part. Puisqu’elle passe alors d’une répartition sur l’ensemble des tantièmes de l’immeuble à une répartition limitée aux seuls lots du bâtiment sur cour.

La demande d’annulation tardive

En parallèle, la société tente d’annuler la résolution votée lors de l’assemblée générale du 4 septembre 2018. Mais, cette manœuvre juridique se heurte à un obstacle de taille : le délai légal. En effet, selon l’article 42, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965, seuls les copropriétaires opposants ou défaillants peuvent contester une décision d’assemblée dans un délai de deux mois après notification du procès-verbal.

Or, ce délai était largement dépassé. La société a engagé sa procédure en décembre 2019, soit plus d’un an après l’assemblée. Le juge constate donc la forclusion de l’action. Ce qui prive l’Hôtel Haussmann de tout fondement juridique pour remettre en cause la résolution votée.

L’analyse juridique de la Cour sur les charges communes spéciales

L’application de la loi ELAN aux charges communes

La Cour d’appel apporte une clarification majeure sur l’interprétation des charges communes spéciales depuis la loi ELAN du 23 novembre 2018.

En effet, l’article 6-2 de la loi du 10 juillet 1965, modifié par cette réforme, établit que “il ne peut pas y avoir de parties communes spéciales si elles ne sont pas expressément indiquées dans le règlement de copropriété”.

Par ailleurs, la jurisprudence impose une règle stricte. Pour créer une grille de répartition de charges spéciales, il faut impérativement qu’elle repose sur des parties communes spéciales clairement identifiées. Sans cette correspondance, la répartition spécifique n’a pas de valeur juridique.

Seule exception à ce principe : les équipements et services collectifs mentionnés dans le premier alinéa de l’article 10 de la loi du 10 juillet 1965. Dans ce cas précis, une répartition particulière reste possible, même sans parties communes spéciales.

L’interprétation du règlement de copropriété

L’analyse du règlement de copropriété est sans équivoque. En effet, les murs de façades et les ornements extérieurs relèvent des parties communes générales aux deux bâtiments. Cette qualification empêche toute répartition spécifique des charges liées au ravalement.

La Cour le rappelle : le règlement mentionne bien que “les frais de ravalement des façades extérieures et intérieures, y compris ceux liés à un ravalement général” relèvent des charges communes générales. Dès lors, la clause invoquée par la société, qui prévoit une répartition par bâtiment, ne s’applique pas. Elle ne concerne pas les travaux de ravalement, expressément inclus dans les charges communes générales.

Cette lecture respecte le principe posé par l’article 10 de la loi du 10 juillet 1965. Ainsi, chaque copropriétaire doit contribuer aux charges communes en proportion de la valeur de son lot, y compris pour les dépenses de conservation et d’entretien de l’immeuble.

Les conséquences financières et la sanction de la mauvaise foi

Le calcul des charges communes dues

La Cour condamne la société à régler 235 982,09 euros de charges communes impayées. Ce montant correspond à la somme initiale de 240 159,19 euros, après déduction de 4 177,10 euros de frais contestés. Il couvre la période allant du 1er juillet 2017 au 1er février 2022, soit près de cinq années d’arriérés.
Parmi les sommes dues figurent notamment les appels de provisions pour les travaux de “plancher haut” et de “structure plancher haut”.

Les intérêts légaux courent à compter de la sommation de payer du 27 juin 2019 pour un montant de 217 363,60 euros, puis depuis le 2 février 2022 pour le solde. En application de l’article 1231-1 du Code civil, ces intérêts s’ajoutent à la dette. Enfin, la capitalisation des intérêts, ordonnée à partir du 6 décembre 2019 conformément à l’article 1343-2 du Code civil, vient aggraver la charge financière pesant sur la société.

L'analyse juridique de la Cour sur les charges communes spéciales
Détail des condamnations financières

Les dommages-intérêts pour mauvaise foi

La Cour retient la mauvaise foi contractuelle de la société. Elle refuse de payer des charges qu’elle avait pourtant validées en assemblée générale, ce qui constitue, selon la juridiction, un manquement grave à ses obligations. Elle applique ici l’article 1231-6 alinéa 3 du Code civil.

Ce refus, sans motif valable, porte préjudice à l’ensemble des copropriétaires, privés de ressources essentielles pour la gestion de l’immeuble et le financement du budget prévisionnel.
En conséquence, la Cour attribue 8 000 euros de dommages-intérêts, tout en réduisant la demande initiale du syndicat, fixée à 34 400 euros. Elle justifie cette modération par deux éléments :

  • la société n’est pas responsable de la liquidation judiciaire de l’entreprise initialement choisie pour les travaux,
  • et l’assemblée générale du 2 novembre 2021 a refusé de voter un budget complémentaire en l’absence de devis présenté.

Les frais de recouvrement selon l’article 10-1

Concernant les frais nécessaires de recouvrement de créances prévus par l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965, la Cour retient uniquement 497,10 euros correspondant aux “frais d’huissier de la sommation de payer” du 4 septembre 2019. Ainsi, elle écarte les autres frais réclamés (honoraires contentieux, suivi de vacations). En cela, elle considère qu’ils “relèvent des diligences de base du syndic dans le recouvrement des charges communes de copropriété et sont à la charge de l’ensemble des copropriétaires”.

Les enseignements pour la gestion des charges communes

Cet arrêt réaffirme un principe clé : les charges communes générales s’appliquent par défaut, sauf mention explicite de parties communes spéciales dans le règlement. Dès lors, les syndics peuvent s’appuyer sur cette jurisprudence pour sécuriser la répartition des charges de travaux impactant plusieurs bâtiments.

En parallèle, la décision rappelle l’importance d’agir dans les délais. Sans contestation dans le temps prévu par l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965, une résolution d’assemblée devient définitive.
Tout retard expose les copropriétaires au risque de forclusion, même en cas de désaccord sur la répartition des charges.

Texte intégral de l’arrêt : 12 mars 2025 Cour d’appel de Paris RG n° 22/20265

FAQ – Répartition des charges communes en copropriété

Peut-on contester une assemblée générale après avoir voté en faveur des résolutions ?

Non, selon l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, un copropriétaire qui a voté en faveur d’une résolution ne revêt pas la qualité de “copropriétaire opposant” au sens de l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965. Il ne peut donc plus contester cette décision par la suite, même s’il change d’avis sur les modalités de répartition des charges.

Quel est le délai pour contester une décision d’assemblée générale ?

Le délai est de deux mois à compter de la notification du procès-verbal d’assemblée, selon l’article 42 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965. Passé ce délai, la décision devient définitive et s’impose à tous les copropriétaires, même en cas de contestation ultérieure de la répartition des charges.

Comment distinguer les charges communes générales des charges spéciales ?

Depuis la loi ELAN, il ne peut y avoir de charges spéciales sans parties communes spéciales expressément définies dans le règlement de copropriété. Les travaux de ravalement des façades constituent généralement des charges communes générales, car les façades sont des parties communes à l’ensemble de l’immeuble, sauf stipulation contraire claire du règlement.

Quels frais de recouvrement peuvent être imputés au copropriétaire défaillant ?

Selon l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965, seuls les frais strictement nécessaires au recouvrement sont imputables au copropriétaire concerné : frais d’huissier, de mise en demeure, de prise d’hypothèque. Les frais de gestion courante du syndic (suivi de dossier, préparation d’actes) restent à la charge de l’ensemble des copropriétaires.

Quand peut-on obtenir des dommages-intérêts en plus des charges impayées ?

Des dommages-intérêts peuvent être accordés en cas de mauvaise foi caractérisée du copropriétaire défaillant, conformément à l’article 1231-6 du Code civil. La mauvaise foi se manifeste notamment par le refus de payer des charges qu’on avait préalablement approuvées. Ce qui cause alors un préjudice distinct à la collectivité des copropriétaires privée de ressources nécessaires à la gestion de l’immeuble.

Isabelle DAHAN

Isabelle DAHAN

Rédactrice en chef de Monimmeuble.com. Isabelle DAHAN est consultante dans les domaines de l'Internet et du Marketing immobilier depuis 10 ans. Elle est membre de l’AJIBAT www.ajibat.com, l’association des journalistes de l'habitat et de la ville. Elle a créé le site www.monimmeuble.com en avril 2000.

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