Transition énergétique des bâtiments : Une logique de convergence d’intérêt va-t-elle s’imposer ?
Un an après le vote de la Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte (LTECV), le moment semble venu de produire un premier bilan. Pour un professionnel du bâtiment comme moi, j’ai l’impression qu’enfin une vraie dynamique est en marche depuis son vote l’été dernier, ce qui est plutôt enthousiasmant.
Cette nouvelle politique énergétique tient compte du réchauffement climatique, mais aussi de la santé humaine, de la cohésion sociale, de la compétitivité industrielle et elle évoque les outils nécessaires à sa déclinaison qui vont suivre par voie de décret ou d’ordonnance.
Comment faire pour que l’ensemble de la profession s’approprie cette transition énergétique ? Pour ce faire les acteurs économiques doivent comprendre et intégrer que la logique de seule concurrence est dépassée, et dans les années qui viennent, la logique du travailler ensemble et de la convergence d’intérêt va davantage se développer.
Décryptage du nouveau cap normatif
Lorsque l’on observe ce qui a suivi le vote de la loi 2015-992 du 17 août 2015 (LTECV), on constate bien que la dynamique législative ne va pas s’essouffler. Il suffit de s’attarder sur les derniers mois pour comprendre. Nous travaillons depuis 2008 sur le Tiers-Investissement et les Contrat de Performance Energétiques (CPE). L’accélération les concerne en premier lieu puisque des objectifs chiffrés sont définis et qu’ils prennent la forme des marchés publics globaux de performance :
- 25 mars 2016 : signature du Décret n° 2016-360 relatif aux marchés publics de performance ;
- 7 avril 2016 : Décret n° 2016-412 relatif à la prise en compte de la performance énergétique dans certains contrats et marchés publics ;
Ensuite, comme promis dans la loi, l’amélioration énergétique est « embarquée » et l’isolation thermique devient obligatoire lors du vote de certains travaux pour les copropriétés (décret publié le 31 mai 2016).
Nous travaillons également depuis la création d’AI Environnement sur la construction bois avec notamment la fondation fin 2014 du collectif KYOZ. Si tout le monde s’aperçoit que le bois redevient un matériau à la mode, la réglementation l’acte également à présent et la Réglementation Bâtiment Responsable (RBR) 2020 s’annonce !
Les bâtiments qui produisent autant d’énergie qu’ils en consomment (à énergie positive – BEPOS) sont soutenus par la création le 1er juillet dernier par les ministres de l’Environnement Ségolène Royal et du Logement Emmanuelle Cosse d’un label « énergie-carbone » pour inciter leur déploiement. Ce label s’inspirera des standards existants : BBCA, Effinergie et HQE. Ces bâtiments profiteront même d’une bonification de COS de 30% de la surface constructible par les collectivités le désirant selon un décret entré en vigueur le 30 juin ! Cette exemplarité – comme pour le BBC 2005 qui a anticipé la RT 2015 – préfigure la future réglementation thermique et environnementale bâtiment responsable 2020 (prévue pour 2018). On le voit pour l’aspect normatif, un an après le vote de la LTECV, et le passage de la COP21, la dynamique est bien lancée !
Une lame de fond sur la technique : le passage progressif à un engagement de résultats
Les systèmes de récupération d’énergie fatale (récupération de chaleur sur eau grise, CTA double flux…) prennent un essor constant malgré tous les aprioris que l’on a pu écrire sur eux.
L’isolation par l’extérieur est en train de devenir la norme, le triple vitrage n’est plus si anecdotique, on isole de manière courante les acrotères, on construit des immeubles en bois massif de plus en plus hauts partout dans le monde et en France avec le soutien des pouvoirs publics (à Bordeaux dernièrement) … Tout cela était loin d’être évident en 2008 et on a l’impression de moins prêcher dans le désert sur certains de ces sujets techniques !
Aujourd’hui, si l’on brandit parfois encore le protectionnisme économique, force est de constater que les industriels français et européens ont compris qu’ils devaient s’adapter à la transition énergétique ou péricliter au rythme de son essor. Sur le plan technique, on constate également que les matériaux et les systèmes s’adaptent aux certifications, et progressivement l’innovation devient mainstream.
On est rentré dans une démarche qualité d’amélioration continue avec effet de cliquet – on ne revient pas en arrière. Pourtant le high tech ne se généralisera pas puisque que c’est par la sobriété que passera la dynamique de la transition énergétique. Mais il reste des champs d’innovation à exploiter encore fantastiques avec le sujet du stockage des énergies renouvelables, le gaz vert, la méthanation, et leur articulation avec les bâtiments, leur exploitation, et leur transformation parfois en mini-centrale énergétique.
Une autre évolution technique majeure : la généralisation du dessin en 3D des plans de bâtiments. Le BIM (Building Information Modeling) est un outil de conception assisté par ordinateur qui une fois en place va augmenter la qualité des rendus, leur précision et participer à renforcer la communication au sein des équipes entre les parties prenantes. L’outil technique a donc une incidence sur l’organisation méthodologique de travail. C’est cette dernière transformation « culturelle » qui pointe selon moi.
La méthode de travail comme liant à renforcer dans le management de projet
Selon moi l’évolution de la méthode de travail a pris du retard sur l’évolution de la technique. Trop d’acteur travaillent encore de leur côté et la transition énergétique va venir bousculer cela et proposer de fait un travail main dans la main. Si je prends l’exemple des CPE : si l’exploitant ne travaille pas avec le programmiste, la maîtrise d’œuvre et les entreprises, l’engagement de résultat est impossible.
Les montages juridiques s’adaptent donc pour modifier l’organisation de travail là aussi vers du collaboratif, du dialogue : dialogue compétitif et CREM (Conception Réalisation Exploitation Maintenance). Le résultat de l’addition des expertises est supérieur à la somme des parties. Cette réorganisation va aller selon les projets :
- – vers une logique partenariale : les structures qui ne seront pas dans une logique collaborative vont être de plus en plus ringardisées ;
- – vers une logique anglo-saxonne intégrée de conception pour les plus gros projets sous l’impulsion du BIM ;
Le passage d’une logique de moyens à une logique de résultats peut transformer la manière dont les équipes perçoivent leur intérêt à recourir à la convergence d’intérêt pour s’organiser. Mais cela doit venir du marché.
Arrêtons de segmenter les missions, pensons en partenariat amont, à intégrer les futurs occupants dans les réflexions s’ils sont identifiés. Je rêve d’un nouveau critère de jugement dans les Appels d’Offre publics aux côtés des critères prix et délais : la capacité à dialoguer ! Enfin, refaisons-nous confiance ! On se rend vite compte que nous sommes tous collectivement perdant à ce manque de confiance, et on comprend vite le pouvoir que peut avoir la convergence d’intérêt comme culture de société.