Dans un arrêt rendu le 22 mai 2025 (n°23-19.544), la Cour de cassation tranche une question sensible pour les résidences de tourisme en copropriété. Elle affirme que le syndicat des copropriétaires peut agir en justice contre les constructeurs, même lorsque l’exploitant unique bénéficie de clauses de subrogation. Cette décision renforce la capacité des copropriétaires à se défendre collectivement en cas de malfaçons. De plus, elle clarifie le rôle du syndicat dans des ensembles immobiliers souvent complexes. Une avancée majeure pour la protection juridique des copropriétés en résidence de services.
Sommaire :
- Le cadre juridique spécifique des résidences de tourisme
- L’affaire jugée par la Cour de cassation
- La position restrictive de la cour d’appel de Chambéry
- La solution de principe de la Cour de cassation
- Les implications pratiques pour les résidences de tourisme de copropriété
- Les limites de la subrogation conventionnelle
- FAQ – Résidences de tourisme et droits des syndicats
Le cadre juridique spécifique des résidences de tourisme en copropriété
Les résidences de tourisme en copropriété suivent un cadre juridique strict, défini par l’article D. 321-2 du Code du tourisme. Ce texte impose une gestion hôtelière assurée par un exploitant unique, personne physique ou morale, lié aux copropriétaires par un contrat de louage ou de mandat de gestion. Ce fonctionnement les distingue nettement des copropriétés classiques et des établissements touristiques traditionnels, régis uniquement par la loi du 10 juillet 1965.
Dans la pratique, les copropriétaires signent le plus souvent des baux commerciaux de 9 ans renouvelables avec cet exploitant unique. Ces contrats incluent fréquemment des clauses de subrogation complexes et des garanties décennales. En vertu de ces clauses, l’exploitant peut exercer les droits des copropriétaires contre les constructeurs ou maîtres d’œuvre. Ce mécanisme repose sur l’article 1346-4 du Code civil, qui encadre la subrogation légale et conventionnelle.
Les spécificités réglementaires
La résidence de tourisme doit respecter des normes d’exploitation particulières et des obligations de service. À cet effet, l’exploitant unique centralise la commercialisation, l’accueil clientèle et les services aux touristes. En outre, cette organisation impose une coordination étroite entre l’exploitant et les syndicats de copropriétaires. Cela inclut la maintenance des parties communes, l’entretien des équipements collectifs et la gestion locative.
L’affaire jugée par la Cour de cassation
Sept syndicats de copropriétaires ont signalé des désordres sur les escaliers de secours extérieurs de leurs immeubles, situés dans une résidence de tourisme. Ces bâtiments avaient été construits puis vendus en l’état futur d’achèvement (VEFA). Ensuite, ils furent placés sous le régime de la copropriété. Ils étaient destinés à une exploitation touristique, comme le rappelle l’arrêt de la cour d’appel de Chambéry du 6 juin 2023 (RG n° 22/01662).
La résidence était gérée par la société PV Résidences et Resorts. Les copropriétaires lui avaient consenti des baux commerciaux. Chaque contrat contenait une clause de subrogation. Ainsi, il autorisait l’exploitant à agir, si besoin, à la place des propriétaires. Cela permettait de faire valoir les garanties légales de vente et de construction contre le promoteur ou les entreprises intervenues sur le chantier.

Les syndicats assignèrent en référé-expertise pas moins de dix-neuf défendeurs et leurs assureurs respectifs. Cette pluralité d’intervenants illustre la complexité des chantiers de résidence de tourisme.
La nature des désordres constatés
Les escaliers de secours extérieurs présentaient des malfaçons importantes. Ces défauts de construction compromettaient la sécurité incendie des occupants de la résidence de tourisme. Étant des éléments relevant des parties communes, ils ont nécessité une expertise technique approfondie. L’objectif : identifier les responsabilités des entreprises intervenues. Aussi, chiffrer les réparations à engager, en tenant compte des normes de sécurité en vigueur.
La position restrictive de la cour d’appel de Chambéry
Dans sa décision du 6 juin 2023, la cour d’appel a déclaré la demande des syndicats irrecevable. En effet, elle a estimé que les clauses de subrogation les privaient de leur qualité à agir.
Selon les juges, “les syndicats des copropriétaires ne disposent pas de la qualité à agir en responsabilité contre les entreprises chargées des travaux, dès lors qu’aucun des copropriétaires ayant subrogé le preneur dans son droit à agir n’a pu leur transférer cette qualité”.
Cette lecture strictement contractuelle a ignoré les particularités du droit de la copropriété dans les résidences de tourisme. Elle a suscité de vives inquiétudes chez les professionnels du secteur. En effet, si elle devait faire jurisprudence, elle risquerait de priver les syndicats de tout recours direct en cas de défaillance de l’exploitant. En cas de liquidation judiciaire, redressement ou défaillance de l’exploitant, les syndicats se seraient trouvés dans l’impossibilité d’agir directement contre les constructeurs responsables des désordres et les assureurs en responsabilité civile décennale.
La solution de principe de la Cour de cassation
La Cour de cassation casse et annule intégralement l’arrêt de Chambéry dans sa décision du 22 mai 2025. En cela, elle rappelle avec force les principes fondamentaux régissant la résidence de tourisme sous statut de copropriété, en se fondant sur trois textes essentiels :
- L’article 1346-4, alinéa 1er, du Code civil. Cet article dispose que “la subrogation transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu’il a payé, la créance et ses accessoires, à l’exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier”.
- L’article 15, alinéa 1er, de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965. Il précise que “le syndicat a qualité pour agir en justice, tant en demandant qu’en défendant, même contre certains des copropriétaires ; il peut notamment agir, conjointement ou non avec un ou plusieurs de ces derniers, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble”.
- L’article D. 321-2 du code du tourisme. Ce dernier autorise qu’une “résidence de tourisme puisse être placée sous le statut de copropriété des immeubles bâtis fixé par la loi du 10 juillet 1965 modifiée, sous réserve que le règlement de copropriété prévoit expressément une gestion assurée pour l’ensemble de la résidence de tourisme par une seule personne physique ou morale”.
La Cour en déduit que “ni l’exigence d’un exploitant unique prévue par ce dernier texte ni l’insertion dans un bail commercial consenti par un copropriétaire, qui ne peut transmettre plus de droits qu’il n’en a, d’une clause « subrogeant » l’exploitant dans ses droits et actions contre les constructeurs et leurs assureurs, n’ont pour effet de priver un syndicat des copropriétaires de sa qualité à agir à leur encontre en vue d’obtenir la réparation des dommages affectant les parties communes de l’immeuble”.
Les implications pratiques pour les résidences de tourisme en copropriété
Cette décision clarifie plusieurs points essentiels pour la gestion quotidienne des résidences de tourisme. D’abord, les syndicats conservent leur autonomie d’action malgré les contraintes légales d’exploitation unique imposées par la réglementation touristique. Ensuite, les clauses de subrogation, même rédigées de manière extensive, ne peuvent pas dessaisir totalement les syndicats de leurs prérogatives légales. Les syndics peuvent donc désormais agir en toute sécurité juridique contre les constructeurs défaillants.
Par ailleurs, cette jurisprudence renforce la position des syndics professionnels de résidence de tourisme dans leurs relations avec les exploitants. Ils disposent à présent d’un recours autonome en cas de désordres affectant les parties communes, indépendamment de la volonté ou de la capacité financière de l’exploitant. Cette sécurisation bénéficie également aux gestionnaires de patrimoine et aux conseillers en gestion de patrimoine. Cela est spécifiquement utile pour ceux qui orientent leurs clients vers ce type d’investissement locatif.
Les limites de la subrogation conventionnelle
La Cour rappelle un principe fondamental du droit des obligations : “un copropriétaire ne peut transmettre plus de droits qu’il n’en a”. Cette règle, issue de l’adage latin “nemo plus juris transferre potest quam ipse habet”, limite strictement l’étendue des clauses de subrogation dans les baux de résidence de tourisme.
Les copropriétaires, même individuellement, ne peuvent pas retirer au syndicat ses droits collectifs. La subrogation s’applique uniquement dans le cadre des droits personnels de chaque copropriétaire. Elle ne peut pas toucher les prérogatives propres du syndicat, garanties par l’article 15 de la loi de 1965. Cette distinction entre droits individuels et droits collectifs joue un rôle clé. Elle protège les intérêts de l’ensemble de la copropriété, en particulier dans le contexte sensible des résidences de tourisme.
Les avocats et praticiens du droit immobilier doivent désormais revoir la rédaction des clauses de subrogation dans les baux d’exploitation des résidences de tourisme. Ces clauses ne peuvent plus écarter totalement les syndicats de copropriétaires de leur droit à agir contre les constructeurs ou les assureurs dommages-ouvrage.
Cette clarification apportée par la jurisprudence marque un tournant. Elle rassure les investisseurs, particuliers comme institutionnels, en garantissant une meilleure protection juridique des copropriétaires. En renforçant la capacité d’action des syndicats, elle facilite aussi la gestion des litiges liés aux malfaçons. Un levier essentiel pour sécuriser les investissements dans l’immobilier touristique et de loisirs.
FAQ – Résidences de tourisme et droits des syndicats
Un syndicat de copropriétaires peut-il agir contre les constructeurs malgré l’existence d’un exploitant unique ?
Oui, selon l’arrêt de la Cour de cassation du 22 mai 2025. L’exigence d’un exploitant unique prévue par l’article D. 321-2 du Code du tourisme n’a pas pour effet de priver le syndicat de sa qualité à agir contre les constructeurs pour les dommages affectant les parties communes de la résidence de tourisme.
Les clauses de subrogation dans les baux commerciaux suppriment-elles les droits du syndicat ?
Non, les clauses de subrogation insérées dans les baux commerciaux ne peuvent pas priver le syndicat de ses prérogatives légales. La Cour rappelle qu’un copropriétaire “ne peut transmettre plus de droits qu’il n’en a”. Ainsi, cela limite l’étendue de la subrogation aux seuls droits individuels.
Quand un syndicat de résidence de tourisme peut-il agir en justice ?
Le syndicat peut agir en vue de la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble, conformément à l’article 15 de la loi de 1965. Cette qualité s’exerce notamment pour obtenir la réparation des dommages affectant les parties communes. Et cela doit être fait indépendamment des arrangements contractuels avec l’exploitant de la résidence de tourisme.
Cette jurisprudence s’applique-t-elle à toutes les résidences de tourisme ?
Oui, cette décision concerne toutes les résidences de tourisme placées sous le statut de la copropriété des immeubles bâtis. Elle clarifie définitivement l’articulation entre les contraintes d’exploitation touristique et les droits des syndicats de copropriétaires dans ce secteur.