Les petites copropriétés sont les grandes oubliées de la rénovation énergétique. C’est ce que révèle l’analyse percutante du sociologue Gaëtan Brisepierre. Alors que les passoires thermiques seront bientôt interdites à la location, ces immeubles modestes peinent à accéder aux subventions publiques. En cause : un système inadapté à leur réalité. Façades patrimoniales, chauffage individuel, décisions collectives complexes… Le modèle unique de rénovation globale ne leur convient pas. Cet article décrypte pourquoi ces petites copropriétés sont laissées pour compte, et explore des solutions concrètes pour une transition énergétique plus inclusive.
Sommaire :
- Les petites copropriétés face à une rénovation énergétique inaccessible
- Un modèle de rénovation global inadapté aux petites copropriétés
- Les freins techniques, financiers et sociaux des petites copropriétés
- Les effets pervers du système d’aides actuel
- Vers une politique de rénovation plus inclusive
Les petites copropriétés face à une rénovation énergétique inaccessible
Les petites copropriétés, bien qu’omniprésentes dans le paysage urbain français, ne bénéficient pas d’un traitement équitable dans les dispositifs d’aide à la rénovation énergétique. En 2023, selon les données de l’ANAH, les aides aux copropriétés représentaient seulement 8,6 % des subventions globales alors qu’elles couvrent 28 % des logements en France.
Cette sous-représentation devient encore plus problématique à l’approche de l’interdiction de louer les logements classés G dans le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE). Cette échéance réglementaire met sous pression les copropriétaires, mais les outils d’accompagnement ne suivent pas. Les petites copropriétés se retrouvent ainsi piégées entre obligations légales et impossibilité matérielle d’y répondre.

Un modèle de rénovation global inadapté aux petites copropriétés
Le dispositif MaPrimeRénov’ Copro impose un seuil de 35 % de gain énergétique pour bénéficier d’un financement. Or, ce critère est souvent inatteignable dans les petites copropriétés. Plusieurs raisons expliquent cette difficulté. En effet, les bâtiments anciens présentent des façades patrimoniales difficiles à isoler et beaucoup sont équipés de chauffage individuel. Par ailleurs, certaines ont déjà engagé des travaux récents qui limitent les marges de progression.
« Certaines copropriétés ne peuvent pas répondre aux critères, même avec une volonté forte de rénover. » — Gaëtan Brisepierre.
Le modèle unique de rénovation globale a été conçu avant tout pour des bâtiments collectifs homogènes. Or, ce modèle ne tient pas compte des contraintes spécifiques auxquelles sont confrontées les petites copropriétés. En conséquence, cette approche rigide devient un véritable frein à leur inclusion dans les dispositifs d’aides. Elle renforce, par ailleurs, une logique de sélection qui ne repose pas sur les besoins réels du parc immobilier. Ainsi, les petites copropriétés se retrouvent injustement écartées d’une politique publique censée les accompagner vers la transition énergétique.
Les freins techniques, financiers et sociaux des petites copropriétés
Un coût de rénovation démesuré
Les petites copropriétés supportent des coûts moyens de rénovation bien plus élevés par logement que les grandes copropriétés. Cette différence est liée à l’absence d’économie d’échelle. Lorsque l’on répartit les frais d’un ravalement de façade ou d’une isolation thermique sur un petit nombre de logements, la facture devient rapidement prohibitive.
Une gouvernance collective, entre contraintes et inerties
La gouvernance des petites copropriétés constitue l’un des principaux freins à la mise en œuvre de projets de rénovation énergétique. Contrairement à une maison individuelle, toute décision concernant des travaux collectifs doit obligatoirement être validée par un vote en assemblée générale. Ce mode de fonctionnement, bien que démocratique, devient souvent un véritable parcours d’obstacles dans les petites copropriétés, où la dynamique collective repose sur un nombre limité de participants.
« Le processus décisionnel dans les copropriétés est structurellement lent, et parfois conflictuel, surtout dans les petites structures où chaque voix a un poids décisif. »
Un manque d’informations techniques et économiques
Plusieurs facteurs expliquent cette difficulté à engager des travaux de rénovation. Tout d’abord, de nombreux copropriétaires ne disposent pas des connaissances techniques ou économiques suffisantes pour mesurer l’intérêt d’un tel investissement. La rénovation énergétique est souvent perçue comme une démarche complexe, coûteuse, et aux bénéfices incertains.
Cette méconnaissance alimente des craintes : crainte d’une augmentation des charges, doute sur l’efficacité réelle des travaux ou sur la réalité des aides promises. Ce scepticisme freine la mobilisation collective, même lorsque le projet est pertinent.
Une dynamique collective fragilisée
Dans une petite copropriété, chaque décision engage un groupe restreint. Ce contexte rend les échanges plus sensibles, et la moindre divergence peut faire basculer l’issue du vote. Il suffit parfois d’un copropriétaire réticent pour bloquer l’ensemble du processus. Cette sensibilité aux intérêts particuliers complique fortement l’émergence d’un consensus.
Par ailleurs, les tensions personnelles ou les différends antérieurs entre voisins peuvent aussi peser sur les choix collectifs. Ce facteur humain, difficilement quantifiable, est pourtant déterminant dans la réussite ou l’échec d’un projet de rénovation.
Une faible participation aux assemblées générales
À cela s’ajoute un problème récurrent : le faible taux de participation aux assemblées générales. De nombreux copropriétaires se désintéressent des réunions, soit par manque de temps, soit par désengagement ou incompréhension des enjeux. Cette désimplication ralentit les prises de décision, voire empêche tout projet d’émerger.
« La faible mobilisation des copropriétaires est un obstacle majeur à la concrétisation des rénovations, surtout dans les copropriétés modestes. »
Le rôle clé des syndics dans l’animation de la décision collective
Dans ce contexte, le rôle des syndics professionnels prend toute son importance. Ils gèrent aujourd’hui plus de 90 % des copropriétés en France et constituent des interlocuteurs privilégiés pour impulser une dynamique de projet. Leur capacité à informer, conseiller et fédérer les copropriétaires autour d’un objectif commun est essentielle.
Pour renforcer leur impact, il est nécessaire de mieux valoriser leur expertise et de les accompagner dans la montée en compétence sur les enjeux énergétiques. Un syndic bien formé et proactif peut devenir un véritable moteur de la transition énergétique, en facilitant les démarches administratives, en identifiant les aides disponibles et en rendant les projets plus lisibles pour les copropriétaires.
« Le syndic est un maillon essentiel de la chaîne de rénovation. Son implication peut faire basculer un projet d’intention à réalisation. »
Des réticences culturelles et esthétiques
Le rejet des solutions proposées ne repose pas uniquement sur des critères financiers. Nombre de copropriétaires s’opposent à l’isolation par l’extérieur, qu’ils jugent dénaturante ou intrusive. Certains craignent la perte de lumière, la réduction des balcons ou encore l’impact sur l’architecture d’origine du bâtiment.
Les effets pervers du système d’aides actuel
Le système d’aides incite les professionnels à privilégier les copropriétés les plus simples à accompagner. Le marché de la rénovation devient ainsi sélectif. Les petites copropriétés, souvent perçues comme complexes ou peu rentables, sont mises de côté au profit d’immeubles plus standardisés où les chances d’aboutir à un projet subventionné sont plus élevées.
« Le marché de l’accompagnement choisit ses clients : les petites copropriétés sont souvent reléguées au second plan. » — Étude sociologique, G. Brisepierre.
En insistant sur la performance énergétique globale comme condition d’aide, les institutions ignorent les possibilités de réhabilitation progressive. Or, cette approche dogmatique exclut les copropriétés qui cherchent à intégrer l’énergie dans leur entretien courant, via des projets plus modestes, mais réalistes.
Vers une politique de rénovation plus inclusive
Face à ce constat, plusieurs solutions sont envisagées. Il s’agit notamment de moduler les critères de performance selon les caractéristiques de l’immeuble. Ainsi, un modèle plus flexible pourrait inclure des seuils intermédiaires et valoriser les efforts progressifs des petites copropriétés. Il faudrait également élargir les possibilités d’inclure des équipements privatifs dans les projets collectifs, comme les systèmes de chauffage ou de ventilation.
Pour que la rénovation énergétique devienne accessible, il est urgent de proposer des solutions adaptées : mutualisation des diagnostics par quartier, offre groupée de conception et réalisation, formation des professionnels au bâti ancien. D’ailleurs, certaines collectivités expérimentent déjà ces dispositifs innovants, mais leur généralisation est indispensable.
« Une rénovation énergétique inclusive ne doit pas être une utopie, mais un socle d’égalité pour le parc immobilier français. » — Rapport B2C2 Copropriété.
Conclusion
Les petites copropriétés sont aujourd’hui les grandes oubliées de la rénovation énergétique en France. En dépit de leur importance dans le parc résidentiel, elles peinent à accéder aux aides, piégées par des critères techniques, économiques et institutionnels inadaptés à leur réalité. Le modèle actuel, focalisé sur la performance globale et les grands ensembles, laisse sur le bord du chemin des milliers d’immeubles modestes. Pourtant, la transition énergétique ne peut réussir sans elles. Pour relever le défi climatique, les politiques publiques doivent impérativement devenir plus inclusives, plus flexibles et plus proches du terrain. La rénovation énergétique ne doit pas être un privilège réservé aux grandes copropriétés, mais un droit accessible à tous les logements.