La taxe foncière explose en France. Selon le 19e rapport de l’Observatoire national des taxes foncières de l’UNPI, les propriétaires ont payé 37,3% de plus entre 2014 et 2024. Cette hausse vertigineuse représente 4,3 fois l’augmentation des loyers et près du double de l’inflation sur la même période. Pourquoi un tel dérapage ? La suppression de la taxe d’habitation en 2020 a bouleversé l’équilibre fiscal local. Désormais, la taxe foncière constitue le dernier levier fiscal des communes. Entre revalorisation automatique indexée sur l’inflation record et hausse des taux locaux, les propriétaires se retrouvent pris en étau. Ce rapport décrypte les mécanismes de cette envolée fiscale et propose des solutions concrètes.
Sommaire :
- Comment fonctionne réellement la taxe foncière ?
- Pourquoi la taxe foncière a-t-elle autant augmenté en dix ans ?
- Où la taxe foncière est-elle la plus élevée en France ?
- Quels sont les facteurs qui influencent la hausse de la taxe foncière ?
- Quelles solutions propose l’UNPI face à cette situation ?
À retenir – L’explosion de la taxe foncière en France
- Une hausse explosive de 37,3% en dix ans : Entre 2014 et 2024, la taxe foncière a augmenté 4,3 fois plus vite que les loyers et près de deux fois plus vite que l’inflation.
- Deux tiers de la hausse proviennent de la revalorisation automatique : La majoration légale des valeurs locatives (+23,5% en dix ans) explique l’essentiel de l’augmentation, avec un record de 7,1% en 2023.
- La suppression de la taxe d’habitation pèse sur les propriétaires : Depuis 2020, les propriétaires compensent la perte de recettes liée à la disparition de la taxe d’habitation.
- De fortes disparités territoriales : Les taux varient de 15,78% à Boulogne-Billancourt à 67,92% à Grenoble.
- L’UNPI propose une réforme globale : Contribution payée par tous les habitants, récupération partielle auprès des locataires, indexation sur les loyers et dégrèvements automatiques.
Comment fonctionne réellement la taxe foncière ?
Qu’est-ce que la taxe foncière et comment est-elle calculée ?
La taxe foncière constitue un impôt local annuel que tout propriétaire doit acquitter, qu’il occupe son logement ou qu’il le mette en location.
Son montant dépend de deux éléments :
- les taux votés par les collectivités locales,
- et la valeur locative du bien, c’est-à-dire son loyer annuel théorique.
L’administration fiscale applique un abattement de 50% sur cette valeur locative. Ainsi, la base d’imposition correspond à l’équivalent de six mois de loyers théoriques. En 2024, les taux moyens atteignent 40,67% en France, soit environ 2,4 loyers mensuels à verser sous forme de taxe foncière.
Par ailleurs, l’État prélève 3% de “frais de gestion” sur cette taxe :
- 2% au titre des dégrèvements,
- et 1% pour les frais de collecte.
Ces dispositions figurent à l’article 1641 du Code général des impôts, qui encadre précisément la répartition des recettes fiscales locales.
Qui perçoit la taxe foncière aujourd’hui ?
Depuis 2021, les départements ne perçoivent plus la taxe foncière. En contrepartie de la suppression de la taxe d’habitation, les communes ont récupéré les anciens taux départementaux afin de préserver leurs recettes fiscales. Désormais, trois types de collectivités se partagent le produit de la taxe foncière : les communes, les intercommunalités à fiscalité propre, et, dans certains cas, les syndicats de communes.
Cette réforme a toutefois réduit la marge de manœuvre des communes. En effet, elles ne peuvent plus ajuster la taxe d’habitation, dont la compensation repose sur les taux figés de 2017. Autrement dit, si la taxe foncière reste un levier budgétaire important, la liberté fiscale locale s’est considérablement restreinte depuis la réforme de 2021.
Quelles sont les taxes additionnelles à la taxe foncière ?
La taxe GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) s’étend désormais à 78,7% des communes en 2024, contre seulement 35% en 2018. Dans certaines agglomérations, son taux peut atteindre jusqu’à 2,81%.
Parallèlement, des taxes spéciales d’équipement (TSE) participent au financement de grands projets régionaux :
- le Grand Paris et les transports en commun en Île-de-France,
- ou encore l’extension du TGV dans le Sud-Ouest, qui concerne 2 340 communes depuis 2023.
Sur le même avis d’imposition figure également la TEOM (taxe d’enlèvement des ordures ménagères). Toutefois, cette taxe reste récupérable par le propriétaire bailleur auprès de son locataire, car elle correspond à une charge locative liée au service rendu.
Pourquoi la taxe foncière a-t-elle autant augmenté en dix ans ?
Quelle est l’ampleur réelle de la hausse depuis 2014 ?
Entre 2014 et 2024, la taxe foncière a bondi de 37,3% en moyenne. L’inflation n’a progressé que de 19,9% et les loyers de seulement 8,7% sur la même période.
En 2025, la hausse atteint 1,7%, uniquement due à la revalorisation légale des valeurs locatives. Les taux n’ont progressé que de 0,04%, en raison de l’approche des élections municipales de 2026.
Quels sont les deux facteurs qui expliquent cette explosion ?
La hausse résulte de deux mécanismes : les taux locaux (+11,2%) et la revalorisation automatique des valeurs locatives (+23,5%).
La revalorisation, indexée sur l’inflation depuis 2018, a connu des records : 3,4% en 2022, 7,1% en 2023 (record absolu depuis 1986), et 3,9% en 2024. En trois ans, la taxe a mécaniquement augmenté de 15,1%.
L’UNPI a demandé le plafonnement de cette revalorisation. Un amendement fut adopté en commission des finances (PLF 2023, n°I-CF4), mais le Gouvernement s’y est opposé sous pression des associations de collectivités.
Comment la suppression de la taxe d’habitation a-t-elle impacté les propriétaires ?
La suppression de la taxe d’habitation a instauré un mécanisme de compensation qui désavantage certaines communes. Les collectivités en forte croissance perçoivent encore des dotations calculées sur la base de 2017, bien inférieures à ce qu’auraient été leurs recettes réelles aujourd’hui. Ne pouvant plus moduler la taxe d’habitation, les communes disposent d’un seul levier fiscal : augmenter la taxe foncière.
Frédéric Miniou, adjoint aux finances de Tours, le résume clairement : « La taxe foncière est le dernier levier fiscal pour une ville. »
Un problème spécifique concernait également les syndicats de communes, initialement privés de compensation. Le Conseil constitutionnel a censuré cette inégalité dans sa décision n° 2021-982 QPC du 17 mars 2022. Ainsi, la loi du 16 août 2022 est venue corriger cette lacune, rétablissant une meilleure équité financière entre les différentes structures locales.
Où la taxe foncière est-elle la plus élevée en France ?
Quelles villes appliquent les taux les plus élevés ?
Dans les 50 plus grandes villes, les disparités sont considérables. Le taux moyen atteint 44,33%, soit quatre points de plus que la moyenne nationale (40,67%).
À Grenoble, la taxe représente théoriquement plus de 3 mois de loyer annuel.
Comment la taxe évolue-t-elle selon la taille des communes ?
Les taux augmentent avec la population : 39,40% pour les communes de moins de 200 habitants, 46,88% pour celles de plus de 200.000 habitants. Ainsi, entre 2014 et 2024, les petites communes ont vu leur taxe progresser de 35,1%, contre 42,2% pour les plus grandes.
Quelle est la tendance pour 2025 ?
2025 marque une pause spectaculaire : +0,04% seulement. Trois communes ont relevé leur taux, contre 23 en 2024. La-Roche-sur-Yon affiche la plus forte hausse (+8,5%), suivie de Cholet (+4,8%) et Arras (+3,3%). À l’inverse, onze communes ont baissé leurs taux : Saint-Louis (-3,1%), Le Tampon (-3,0%), Cannes (-1,7%). Cette modération intervient un an avant les municipales de 2026.
Quels sont les facteurs qui influencent la hausse de la taxe foncière ?
Le calendrier électoral influence-t-il les hausses ?
Oui, l’analyse confirme l’influence du calendrier. En 2019 (préélectorale), les taux avaient baissé de 0,70%. Puis, en 2020 (élections), ils ont progressé de 1,14%. Enfin, en 2025, nouvelle année préélectorale, la hausse n’est que de 0,04%. Les élus évitent d’augmenter la taxe avant les échéances électorales.
L’endettement communal joue-t-il un rôle ?
Oui, la tendance se vérifie de manière linéaire. Les communes les plus endettées — celles dont le délai de désendettement dépasse dix ans (soit 7,5% des communes) — affichent un taux moyen de taxe foncière de 41,4%, accompagné d’une hausse de 40,2%. À l’inverse, les communes sans dette (13,7% du total) présentent un taux moyen plus modéré de 39,3%, avec une hausse de 35,2%.
En résumé, plus une commune est endettée, plus elle compense par une fiscalité foncière élevée. Cette corrélation illustre une stratégie d’ajustement budgétaire classique. Les collectivités les plus fragiles s’appuient sur la taxe foncière pour équilibrer leurs finances locales.
La croissance démographique a-t-elle un impact ?
Depuis 2019, la corrélation entre croissance démographique et hausse de la taxe foncière est clairement établie. Les communes ayant gagné plus de 20% d’habitants ont vu leur taxe foncière augmenter de 24,2%. À l’inverse, celles qui ont perdu plus de 20% de population enregistrent une hausse plus modérée de 21,2 %.
Ce phénomène, inexistant avant 2019, s’explique par la réforme de la taxe d’habitation. En effet, les compensations financières versées aux communes sont calculées sur la base de 2017 et n’évoluent pas au même rythme que la croissance réelle de la population. Résultat : les villes en expansion voient leurs besoins augmenter plus vite que leurs recettes, ce qui les pousse à ajuster leur fiscalité foncière pour compenser l’écart.
La couleur politique influence-t-elle la taxe ?
Non. Sur 877 communes ayant augmenté leurs taux entre 2021 et 2024 : 343 sont de droite (39,1%), 288 de gauche (32,8%), 130 du centre (14,8%). Les contraintes budgétaires transcendent les clivages politiques.
Quelles solutions propose l’UNPI face à cette situation ?
Pourquoi créer une contribution locale payée par tous ?
L’UNPI (Union nationale des propriétaires immobiliers) constate une rupture croissante entre usager et contribuable. Aujourd’hui, seuls les propriétaires financent une grande partie des services publics locaux, dont tous les habitants bénéficient, qu’ils soient propriétaires ou locataires. Pour rétablir l’équité fiscale, l’UNPI propose de remplacer la taxe foncière par une « contribution locale des usagers des collectivités » (CLUC).
Cette nouvelle contribution serait :
- payée par l’ensemble des habitants, qu’ils soient propriétaires ou locataires ;
- modulée selon les revenus de chaque foyer ;
- ajustée en fonction de la contribution sociale de chacun (rénovation énergétique, mise à disposition de logements, etc.) ;
- et différenciée selon le statut de propriétaire.
Cette réforme permettrait alors de rééquilibrer la charge fiscale locale, en associant tous les usagers au financement des services communs et en rétablissant le lien entre usage et contribution.
Comment permettre la récupération partielle de la taxe ?
L’UNPI propose que les bailleurs puissent récupérer une partie de la taxe foncière auprès de leurs locataires, sur le modèle des baux commerciaux. Cette mesure impliquerait une réforme du décret n°87-713 du 26 août 1987, qui encadre aujourd’hui la répartition des charges locatives dans les baux d’habitation.
À ce titre, l’organisation souligne que les locataires bénéficient eux aussi des services publics locaux — voirie, propreté, éclairage, sécurité, espaces verts — financés par la taxe foncière. Il serait donc légitime qu’ils contribuent partiellement à ces coûts, afin de rétablir un partage plus équitable des charges locales entre propriétaires et occupants.
Quelles sont les trois autres mesures proposées ?
L’UNPI formule plusieurs pistes de réforme pour rendre la taxe foncière plus équitable et incitative.
Réformer l’indexation
Il s’agirait d’aligner les valeurs locatives sur l’Indice des Loyers d’Habitation (ILH) plutôt que sur l’inflation, conformément à l’article 1518 bis du Code général des impôts. Entre 2014 et 2024, une telle mesure aurait divisé par deux la revalorisation automatique des bases d’imposition.
Accorder un dégrèvement automatique en zones encadrées
Dans les zones où les loyers sont plafonnés par arrêté préfectoral, l’UNPI demande un dégrèvement systématique de taxe foncière. Les propriétaires bailleurs y subissent en effet un double handicap : des revenus limités par le plafonnement des loyers et une fiscalité locale en hausse constante.
Rendre obligatoire le dégrèvement pour rénovation énergétique
L’association souhaite généraliser le dégrèvement accordé aux propriétaires qui réalisent des travaux significatifs de rénovation énergétique. Actuellement facultatif selon les communes, ce dispositif deviendrait obligatoire, afin d’encourager l’investissement privé dans la transition écologique et la modernisation du parc immobilier.