Le marché immobilier en France a connu des turbulences majeures en 2023. Elles sont marquées par une hausse significative des taux de crédit, passant de 2,65 % à 4,35 %, et une réduction des transactions de 20 %. Cette situation, exacerbée par l’absence d’un Ministre du Logement à la suite du remaniement gouvernemental, a soulevé des inquiétudes majeures, allant jusqu’à être décrite comme une “bombe sociale majeure” par le Sénat. Face à cette crise du logement, deux questions se posent avec acuité pour 2024 : quelles leçons tirer de l’année écoulée et comment endiguer cette crise ?
Sommaire :
- Marché immobilier : quelles leçons tirer de 2023 ?
- Le DPE : un impact hétérogène dans la décision de vendre selon les villes
- Les Français acceptent de perdre jusqu’à 5 m² en 2023 !
- À quoi pourrait ressembler le marché immobilier en 2024 ?
- Perspectives de financement immobilier pour 2024 : un retour à la normale ?
- Réajustement des prix immobiliers en 2024 : une stratégie inefficace ?
- Stratégies pour la relance du marché immobilier en 2024 : Au-delà de la baisse des prix
Marché immobilier : quelles leçons tirer de 2023 ?
Le marché de l’immobilier ancien a été profondément impacté en 2023. D’une part, l’inflation, à 5,7 % a eu un effet notable. D’autre part, la hausse des taux d’emprunt, s’est avérée complexe. Ces facteurs ont entraîné des conséquences diverses. En effet, on observe une variation significative des prix au mètre carré selon les villes. Le DPE (Diagnostic de Performance Énergétique) joue un rôle croissant dans les décisions de vente ou de rénovation. Par ailleurs, la capacité d’achat avec des taux supérieurs à 4% suscite des interrogations.
Lycaon Immo propose une analyse détaillée de ces phénomènes pour 2023. Cette étude vise à préparer les acteurs du marché aux défis de 2024. Elle est commentée par des experts du secteur. Cécile Roquelaure, Directrice de la communication et des études chez Empruntis, et Bernard Cadeau, ancien président du réseau Orpi et fondateur de Listigo, apportent leur éclairage. Notons que cette analyse est aussi l’occasion de déconstruire certaines idées reçues sur le marché.
> Consulter notre article sur : “Les Français et l’Immobilier : perspectives dans un marché en transition”
Le grand écart des prix : -7,7 % à +7 % selon les villes
L’année 2023 marque un tournant significatif dans le marché immobilier français. Après une décennie de hausse continue, nous assistons à une polarisation remarquable des prix. Certaines villes, telles que Lyon, enregistrent une baisse marquée, atteignant jusqu’à -7,7 %. En parallèle, d’autres, comme Aix-en-Provence, voient leurs prix au mètre carré augmenter de près de 7 %.
Cette disparité met en évidence une hétérogénéité territoriale prononcée. Le sud de la France, par exemple, soutient fortement le marché national malgré ces fluctuations. Stéphane Daumillare, CEO de Lycaon Immo, explique cette polarisation. Selon lui, elle résulte des écarts de revenus locaux et de la nécessité variable de recourir au crédit. Ainsi, les villes “riches”, attractives pour les résidences secondaires comme Nice ou Aix-en-Provence, maintiennent leur croissance. À l’opposé, les grandes métropoles, comme Lyon, ressentent plus fortement les effets de la hausse des taux et de l’inflation.
Cette étude souligne la complexité du marché immobilier français. Elle met en évidence les limites des analyses basées sur des prix moyens nationaux. Bernard Cadeau, fondateur de la plateforme Listigo, appuie cette perspective. Il a toujours soutenu que le marché immobilier en France n’est pas unique, mais se compose de multiples marchés distincts.
Polarisation des prix : du simple au triple… dans la même ville !
Lycaon Immo a adopté une approche innovante pour analyser le marché immobilier. Leur étude se concentre sur cinq tranches de prix dans chacune des 14 villes couvertes par leur baromètre. Cette méthode révèle des disparités significatives au sein d’une même ville, voire d’un même quartier.
Les résultats sont surprenants. Ainsi, on observe des variations extrêmes des prix au mètre carré. Elles peuvent aller du simple au triple, voire au quadruple à Nice (x 3,7). Cette variation se manifeste entre les biens les moins chers (10 % inférieurs du marché) et ceux du “top 10 %” les plus chers. À Paris, l’écart est moins prononcé, avec un facteur de 1,57. Dans d’autres villes, cet écart oscille entre x 2,15 et x 2,91, sauf à Nice, où le marché haut de gamme accentue encore cette tendance.
Stéphane Daumillare souligne l’importance de cette polarisation. Selon lui, 2024 pourrait voir un resserrement de cette disparité, sans pour autant la niveler. Il met donc en garde contre l’utilisation des prix moyens pour évaluer une ville entière. Les disparités sont marquées selon les types de biens et les villes. Par exemple, dans certaines villes, les studios ou les T4 peuvent se vendre plus cher au mètre carré. Dans d’autres cas, c’est le DPE (Diagnostic de Performance Énergétique) qui influence le prix, mais de manière différente selon les localités.
Le DPE : un impact hétérogène dans la décision de vendre selon les villes
En 2023, le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) a joué un rôle crucial dans les transactions immobilières. Lycaon Immo met en lumière l’influence variée du DPE sur la décision de vendre ou de rénover un bien immobilier. En effet, l’approche des vendeurs face au DPE diffère d’une ville à l’autre.
À Paris, par exemple, les biens énergivores, ou “passoires thermiques”, sont moins présents sur le marché par rapport à leur proportion dans le parc immobilier. Seulement 29 % de ces biens sont en vente, contre 39 % dans le parc global. Parallèlement, les logements très performants, classés A ou B, sont plus fréquents sur le marché immobilier de l’ancien.
En revanche, dans d’autres villes françaises, la tendance s’inverse. À Montpellier et Strasbourg, par exemple, les passoires thermiques sont plus nombreuses sur le marché immobilier de la vente. Montpellier présente 16 % de ces biens en vente contre 9 % dans le parc, et Strasbourg 17 % contre 11 %.
Stéphane Daumillare, CEO de Lycaon Immo, explique cette disparité. Selon lui, la décision de rénover dépend de la rentabilité des travaux. Alors que le coût des travaux reste similaire sur l’ensemble du territoire, le prix de vente des biens varie significativement. Ainsi, il est plus logique de rénover à Paris, où le prix au mètre carré est élevé, qu’à Montpellier, où il est plus bas. Concernant le financement des rénovations, Cécile Roquelaure, porte-parole d’Empruntis, conseille de prévoir les travaux. Il est essentiel d’anticiper, soit en empruntant en même temps que l’achat, soit en disposant de l’épargne nécessaire.
> Consulter notre article sur : “Etude Foncia : quelle évolution du marché immobilier ancien en 2023 ?”
Les Français acceptent de perdre jusqu’à 5 m² en 2023 !
En 2023, confrontés à la hausse des taux et à la baisse de leur pouvoir d’achat, les Français se montrent prêts à réduire la superficie de leur logement. Cette tendance du marché immobilier n’implique pas toujours une baisse du prix d’achat. Selon l’étude de Lycaon Immo, le bien-type a perdu entre 1 et 5 m² dans la plupart des villes analysées, comparé à 2022. Seule exception : Toulon, où la superficie moyenne reste stable à 68 m².
Curieusement, cette réduction de la surface habitable ne se traduit pas systématiquement par un prix d’achat plus bas. Dans six des villes étudiées, le prix du bien-type a effectivement diminué, permettant des économies allant de 2 000 € à Strasbourg à 50 000€ à Lyon par rapport à 2022. Cependant, dans quatre autres villes de l’étude, la réduction de la surface n’a pas mené à une baisse de prix. Au contraire, le coût d’acquisition a augmenté en 2023. À Marseille, par exemple, les acheteurs paient jusqu’à 13 000€ de plus pour un bien offrant 2 mètres carrés de moins.
À quoi pourrait ressembler le marché immobilier en 2024 ?
En 2024, le marché immobilier pourrait connaître un renouveau. La baisse attendue des taux d’intérêt devrait, en effet, redonner de l’oxygène au marché. Cette évolution est particulièrement attendue par les ménages ayant subi une perte de pouvoir d’achat immobilier.
Bernard Cadeau analyse la situation : contrairement aux crises immobilières habituelles, souvent causées par un seul facteur et revenant tous les dix ans, celle-ci est complexe. Elle combine plusieurs éléments :
- hausse des prix des matériaux de construction,
- augmentation des taux,
- difficulté d’accès au crédit,
- prix élevés,
- problèmes de construction,
- déficit structurel et objectifs de rénovation énergétique.
Pour espérer une reprise en fin d’année, il sera nécessaire d’agir sur l’ensemble de ces facteurs.
Une réajustation des prix semble donc inévitable. Néanmoins, on peut espérer le retour d’une partie des acheteurs sur le marché immobilier. Ce retour serait favorable à un rééquilibrage de l’offre et de la demande et pourrait limiter la baisse des prix dans certaines villes. À Lyon, Marseille, et Strasbourg, Lycaon Immo note déjà une stabilisation des prix dans certains secteurs.
Il est aussi important de considérer l’impact de l’arrêt des constructions sur les prévisions de prix. Stéphane Daumillare explique : dans les zones tendues, si la demande augmente alors que l’offre diminue, cela influencera forcément les prix. Ils pourraient alors retrouver un chemin vers la stabilisation, voire la croissance.
Perspectives de financement immobilier pour 2024 : un retour à la normale ?
L’année 2024 s’annonce comme un tournant pour le financement immobilier. Après une chute de 40 % dans l’octroi des crédits immobiliers en 2023, due à la hausse des taux, 2024 marque le retour en force de cette solution de financement.
Empruntis rapporte que les taux de crédit ont déjà amorcé une baisse dès janvier, s’établissant à 4,2 % pour les prêts sur 20 ans, soit une diminution de 0,15 point par rapport à décembre 2023. Ainsi, Cécile Roquelaure analyse la situation de 2023 et ses implications pour 2024. Selon elle, l’année passée a été marquée par un lent retour à la normale en matière de financement. Les contraintes liées aux coûts de refinancement pour les banques et au taux d’usure ont pesé sur les premiers mois de l’année. Il a fallu attendre septembre pour voir une offre de crédit presque complète et une volonté généralisée de prêter.
Pour 2024, on peut donc s’attendre à un retour à la normale en matière de crédit immobilier. Toutefois, le principal défi reste les exigences du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF). Un autre point d’attention concerne le “rallumage” du Prêt à Taux Zéro (PTZ), qui n’est pas prévu avant février, voire avril. Ce délai pourrait représenter un obstacle significatif pour les promoteurs immobiliers.
Réajustement des prix immobiliers en 2024 : une stratégie inefficace ?
Dans le secteur immobilier, les acteurs cherchent des solutions pour soutenir la construction, faciliter l’accession à la propriété et apporter de la visibilité aux investisseurs locatifs. Néanmoins, l’idée d’une baisse significative des prix comme solution miracle ne convainc pas certains économistes, dont Stéphane Daumillare.
En effet, ce dernier souligne que l’économie repose sur le principe d’inflation et que l’achat immobilier est un investissement. Selon lui, la plupart des vendeurs, à part une minorité en situation d’urgence, ne seront pas enclins à vendre à perte.
Le redynamisme du marché immobilier en 2024 dépendra de plusieurs facteurs clés. Tout d’abord, la “mémoire des taux” joue un rôle. Puisque les Français s’habituent à des taux d’intérêt autour de 4 %, loin des taux de 1 % désormais perçus comme une utopie. Ensuite, le retour des investisseurs est crucial, ceux-ci ayant besoin de visibilité sur le marché. Enfin, une baisse des taux d’intérêt prévue pourrait relancer l’octroi de crédits à un plus grand nombre de ménages, contribuant ainsi au déblocage du marché.
Stratégies pour la relance du marché immobilier en 2024 : Au-delà de la baisse des prix
Le rétablissement du marché immobilier ne dépend pas seulement d’une baisse des prix. Il nécessite une approche multi-facettes, en mettant l’accent sur la stabilité et la vision à long terme. C’est pourquoi, Bernard Cadeau insiste sur l’importance de mettre fin à la rotation rapide des Ministres du logement. En cela, il préconise une loi de programmation sur dix ans pour une approche plus stable et moins influencée par les intérêts politiques. Selon lui, cette démarche permettrait de mener un combat efficace avec Bercy pour des politiques cohérentes et durables.
Bernard Cadeau souligne également la nécessité d’agir sur les conditions d’accès au crédit et de prévenir la pénurie de logements en reconstituant le stock. Cela implique une politique d’aménagement du territoire réfléchie, une composante fondamentale souvent sous-estimée.
Pour Stéphane Daumillare, en plus de ne pas compter sur une baisse drastique des prix, il faut encourager le désengorgement des grandes villes. Il évoque l’élargissement potentiel du PTZ (Prêt à Taux Zéro) comme un signe positif, mais appelle à des politiques publiques plus ambitieuses, notamment en matière de transport. De plus, il suggère que l’accès à la propriété soit toujours possible, même avec les taux actuels et des revenus modestes, en se tournant vers des zones un peu plus éloignées des centres-villes. Soutenir cet exode urbain pourrait aider à décongestionner le marché national, réduire les polarisations marquées et alléger la pression sur le parc locatif.