Denain dans le Nord : 60% de taux de pauvreté, 36% de chômage. Fos-sur-Mer dans les Bouches-du-Rhône : excès de pathologies respiratoires liées à la pollution industrielle. Saint-Denis en Seine-Saint-Denis : services publics en tension malgré la proximité immédiate de Paris. Ces chiffres révèlent une France fracturée où les inégalités se superposent et s’aggravent. Pourtant, une révolution silencieuse est en marche. L’intelligence artificielle transforme radicalement notre capacité à comprendre et combattre ces fractures territoriales. Dans sa tribune publiée lors du Salon des Maires, Martin Noël, co-fondateur et CEO de Lokimo, dévoile comment l’intelligence artificielle devient l’arme décisive pour construire des territoires plus justes. Fini les diagnostics périmés tous les cinq ans. Place aux tableaux de bord vivants qui détectent les vulnérabilités avant qu’elles ne deviennent des crises.
Sommaire :
- Comment la data révèle-t-elle les fractures territoriales invisibles ?
- Comment l’intelligence artificielle oriente-t-elle les politiques territoriales ?
- Quelles sont les dimensions multiples des inégalités territoriales ?
- Comment l’accès aux services publics révèle-t-il les inégalités ?
- Comment passer du diagnostic à l’action concrète ?
À retenir – L’intelligence artificielle et les inégalités territoriales
- L’analyse géospatiale révèle des inégalités invisibles.
- Des tableaux de bord vivants remplacent les diagnostics statiques.
- Les inégalités sont multidimensionnelles et systémiques.
- L’IA devient une boussole pour les politiques publiques.
- L’innovation technologique doit s’allier à l’ambition sociale.
Comment la data révèle-t-elle les fractures territoriales invisibles ?
Des inégalités systémiques au-delà des moyennes
Les territoires fragiles concentrent bien souvent plusieurs difficultés à la fois. Revenus modestes, logements dégradés, nuisances environnementales ou encore accès limité au numérique : ces facteurs se superposent fréquemment dans les mêmes secteurs. Comme le souligne Martin Noël, co-fondateur et CEO de Lokimo, l’analyse géospatiale révèle ces corrélations invisibles que les statistiques classiques peinent à montrer.
Grâce à l’intelligence artificielle (IA), il devient possible d’examiner ces données à une échelle très fine, parfois au niveau du quartier ou même de la rue. Cette précision apporte un éclairage nouveau sur la réalité du terrain. Elle dévoile, par exemple, des îlots de pauvreté au sein de communes pourtant considérées comme attractives, ou encore des quartiers où se cumulent nuisances et fragilités sociales. Elle met aussi en évidence l’isolement persistant de certains territoires ruraux malgré des indicateurs départementaux satisfaisants. Enfin, elle montre que l’accès au numérique peut varier fortement d’une commune à l’autre, même lorsqu’elles sont voisines.
Comme le souligne Martin Noël, “les inégalités ne suivent pas les limites administratives : elles répondent à des logiques fonctionnelles liées au logement, à l’emploi, à la mobilité ou à l’héritage industriel.”
Du diagnostic statique au tableau de bord vivant
L’intelligence artificielle bouleverse en profondeur la manière d’établir les diagnostics territoriaux. Les rapports figés, publiés tous les cinq ou six ans, ne suffisent plus. À leur place émergent des tableaux de bord dynamiques, qui offrent aux élus une vision en temps réel de l’évolution d’un quartier. Ces outils détectent aussi les signaux faibles, bien avant qu’ils ne se transforment en difficultés majeures. Ils permettent ainsi d’ajuster les politiques publiques sans attendre un nouveau cycle d’analyse.
Cette capacité de réaction continue change la gestion locale. Elle favorise une gouvernance plus souple, capable de s’adapter rapidement aux besoins des habitants et de répondre aux enjeux du territoire au quotidien.
Comment l’intelligence artificielle oriente-t-elle les politiques territoriales ?
Une boussole pour les décideurs locaux
L’IA apporte une dimension stratégique à la lecture territoriale. En effet, elle croise des milliers de données socio-économiques, environnementales et démographiques. Elle suggère ainsi des zones prioritaires d’action. Elle identifie également les leviers les plus pertinents.
Martin Noël explique que “utilisée de manière responsable, l’IA devient une boussole territoriale : un outil d’aide à la décision pour orienter les investissements, prioriser les infrastructures, ou même proposer des scénarios d’aménagement.”
Par ailleurs, l’intelligence artificielle permet d’anticiper l’impact de futures politiques publiques avant leur mise en œuvre. Dès lors, elle offre alors aux décideurs une capacité prédictive jusqu’ici inaccessible.
Des outils d’analyse géospatiale en action
Certains outils, comme ceux développés par Lokimo, démontrent déjà cette capacité. Ils évaluent les inégalités à l’échelle communale, et demain, à celle du quartier ou de la rue. Cependant, l’intelligence artificielle ne se contente pas de décrire les situations. Elle aide à comprendre que l’exclusion est systémique. Elle propose également des pistes d’intervention ciblées. Ainsi, cette approche prédictive constitue un changement majeur dans la gouvernance territoriale. Elle permet de passer d’une logique réactive à une logique anticipative.

Quelles sont les dimensions multiples des inégalités territoriales ?
Les fractures économiques et d’attractivité
Les écarts économiques se creusent entre les grandes métropoles et les territoires ruraux ou périurbains. Les premières concentrent les emplois qualifiés, les revenus les plus élevés et la majorité des investissements. À l’inverse, les seconds font face à un chômage durable et à des niveaux de vie nettement plus faibles. À ces différences s’ajoute un déficit d’attractivité. Les entreprises, les infrastructures et les projets innovants continuent de se regrouper dans les mêmes pôles, laissant d’autres zones s’enliser dans un cycle de désinvestissement.
Denain, dans le Nord, illustre de manière frappante cette fracture économique. Ancienne ville industrielle, elle accueille une population très jeune — près de 47% des habitants ont moins de 30 ans — mais vit dans un parc de logements largement vétustes, dont 85% datent d’avant 1970. Le revenu médian y tombe sous les 10 000 euros annuels, soit moins de la moitié de la moyenne nationale. Le taux de pauvreté approche les 60%, et le chômage dépasse 36%, trois fois plus que dans le reste du pays.
Dans ce paysage fragilisé, l’intelligence artificielle apporte un éclairage précieux. Elle permet de décrypter les mécanismes qui mènent au désinvestissement et de repérer les leviers d’action les plus efficaces pour orienter les politiques publiques.
Les injustices résidentielles et environnementales
Les fractures résidentielles et environnementales dessinent une géographie sociale particulièrement complexe. Dans de nombreuses villes, les ménages modestes se retrouvent relégués vers des périphéries peu desservies et davantage exposées aux nuisances. Ces territoires concentrent souvent les infrastructures les plus polluantes — usines, axes routiers ou entrepôts — renforçant ainsi un profond sentiment d’injustice environnementale.
Auchel, dans le Pas-de-Calais, incarne bien cette réalité. Ancienne cité minière, la ville a perdu près d’un tiers de sa population depuis les années 1970. Les logements anciens, parfois vacants, et les cités ouvrières dégradées composent un paysage résidentiel morcelé, marqué par un déclin urbain insuffisamment accompagné.
Fos-sur-Mer, dans les Bouches-du-Rhône, offre un autre exemple éclairant. Située au cœur d’une vaste zone industrialo-portuaire, la commune regroupe raffineries, aciéries et installations logistiques. Les études sanitaires y font état d’un excès de pathologies respiratoires et cancéreuses, liées à une exposition constante à la pollution industrielle. Ici, vulnérabilité sociale et pression environnementale se cumulent.
Dans ce contexte, l’intelligence artificielle joue un rôle déterminant. Elle permet de visualiser précisément ces superpositions de risques et d’évaluer l’impact cumulatif de ces fragilités sur les populations.

La fracture numérique, nouvelle frontière
À ces inégalités s’ajoute la fracture numérique. Elle représente une nouvelle frontière des inégalités. L’accès au très haut débit, à la fibre et aux compétences numériques devient essentiel. Ces éléments constituent désormais des conditions indispensables pour l’inclusion économique et sociale. Dans ce domaine, l’intelligence artificielle aide à identifier les zones blanches numériques. Elle permet également de prioriser les investissements dans les infrastructures digitales. Ces investissements représentent une condition préalable à toute politique de développement territorial moderne.
Comment l’accès aux services publics révèle-t-il les inégalités ?
Le recul de la présence publique
Les inégalités d’accès aux services représentent une autre facette fondamentale de la fracture territoriale. Dans de nombreuses zones, les fermetures de bureaux de poste, de gares ou de maternités se multiplient, signes d’un retrait progressif de la présence publique.
Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, illustre bien cette tension. Dans ce département où le taux de pauvreté dépasse 28%, les services essentiels — école, santé, sécurité — fonctionnent en permanence sous pression. Le manque d’enseignants, les classes surchargées et les hôpitaux en sous-effectif témoignent de ces difficultés. Cette situation contraste fortement avec la richesse et la densité d’infrastructures de la métropole parisienne toute proche, pourtant à seulement quelques kilomètres.
Souleuvre-en-Bocage, dans le Calvados, reflète quant à elle une ruralité en retrait. La disparition progressive des services — poste, gendarmerie, guichet fiscal — complique le quotidien des habitants, contraints de parcourir de longues distances pour des démarches simples. Ce recul nourrit un sentiment d’abandon durable.
Dans ce contexte, l’intelligence artificielle ouvre de nouvelles perspectives pour renforcer la présence publique. Outils prédictifs, services mobiles, plateformes intelligentes ou guichets numériques accompagnés, etc. Autant de solutions qui permettent de réinventer l’accès aux services et de mieux répondre aux besoins des populations.
Comment passer du diagnostic à l’action concrète ?
L’intelligence artificielle comme levier de transformation
Comme le précise Martin Noël, “l’IA ne créera pas à elle seule un territoire plus juste. Mais en offrant un diagnostic objectif et localisé, elle permet d’agir de façon plus ciblée et plus équitable.”
Là où les politiques publiques manquaient souvent de finesse, la donnée apporte désormais une précision indispensable. Et, là où les diagnostics prenaient trop de temps, l’intelligence artificielle introduit une réactivité nouvelle. Ensemble, ces deux avancées — précision et rapidité d’analyse — transforment en profondeur la manière d’intervenir sur les territoires.
De la compensation à la transformation
Réduire les inégalités territoriales implique de reconnaître leur complexité. Il faut aussi accepter leur interdépendance. L’intelligence artificielle offre l’opportunité de saisir la technologie différemment. Elle permet de passer d’une logique de compensation à une logique de transformation. Cette transformation se fonde sur une connaissance fine des territoires. Elle s’appuie également sur le potentiel de leurs habitants.
Martin Noël conclut par cette interrogation : “La question n’est plus de savoir si l’IA peut aider, mais comment l’intégrer de manière responsable et équitable dans les stratégies d’aménagement. Et si la clé d’un territoire plus juste résidait dans notre capacité à allier innovation technologique et ambition sociale ?”
Ainsi, cette question invite les décideurs locaux, réunis lors du Salon des Maires, à s’approprier ces nouveaux outils. L’objectif est clair : construire des politiques territoriales plus justes et plus efficaces.

