Nul n’est censé comprendre la loi ! C’est le nouvel adage illustrant le rapport du citoyen avec la loi, face à un millefeuille législatif et réglementaire devenu obèse, incompréhensible et dont la croissance semble irrésistible. Où se place réellement l’accès au droit pour tous les citoyens ?
Cet état de fait ne date pas d’hier. Dès 1991, dans son Rapport public, le Conseil d’État dénonçait cette dérive en utilisant des formules percutantes et savoureuses : « logorrhée législative et réglementaire », « raffinements byzantins », « droit flou», « droit à l’état gazeux »…
Depuis, le mal s’est aggravé. La loi ALUR, dite « loi Duflot », en date du 24 mars 2014, compte 169 pages au Journal officiel et comprend 177 articles. La « loi Macron » du 6 août 2015, « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », comporte 308 articles et 116 pages. Bien entendu, il faudrait ajouter à tous ces textes une flopée de décrets d’application.
Cette obésité législative prêterait à rire si elle n’avait pas des conséquences fâcheuses sur le fonctionnement de notre société. Des pans entiers de l’économie sont fragilisés faute de compréhension.
Mais les plus pénalisés sont d’abord les citoyens, de plus en plus démunis pour faire valoir leurs droits. Dans son rapport de 1991, le Conseil d’État dénonçait ce risque d’un accès au droit à deux vitesses : « Si l’on n’y prend pas garde, il y aura demain deux catégories de citoyens : ceux qui auront les moyens de s’offrir les services des experts, et les autres, éternels égarés du labyrinthe juridique, laissés-pour-compte de l’État de droit ».
Il semble que nous soyons aujourd’hui entrés dans cette configuration. Une part grandissante de la société française ne fait pas valoir ses droits par méconnaissance ou par manque d’information accessible. Ainsi, comme l’a évalué l’Inspection générale des Finances dans son rapport de juillet 2014, près de 60% des Français ne vont jamais voir un avocat. Situation paradoxale alors que nous connaissons une judiciarisation croissante de la société.
L’accès au droit pour tous les citoyens ?
Comment sortir de cette spirale infernale ? Au niveau législatif, tout d’abord. Il faudrait simplifier l’ensemble de notre arsenal législatif et réglementaire. Attention, simplifier ne veut pas dire déréglementer, mais rendre plus accessible et moins complexe. Cela prendra du temps. En attendant, il est possible d’améliorer la qualité du travail législatif en instaurant un socle de bonnes pratiques : suppression des lois obsolètes, interdiction des lois « fourre-tout », limitation de la longueur des lois, fin de la pratique des lois « publicitaires » associées au nom de tel ou tel ministre ou parlementaire : « loi Macron », « loi Borloo ».
Pour que les justiciables s’approprient les nouvelles réglementations, pour qu’ils en mesurent pleinement les opportunités et les risques associés, il est nécessaire d’être pédagogue à tous les niveaux – administrations, professionnels du droit, services d’information – et d’expliquer les droits et obligations de façon très concrète et illustrée. Le recours à des campagnes de communication sur des supports de natures variées (presse-magazine, affichage public…) permet ainsi d’encourager ou de dissuader de façon pédagogique certaines attitudes en atteignant une audience plus large.
Enfin, l’introduction des nouvelles technologies dans la sphère du droit est une évolution à encourager pour le plus grand bénéfice de tous. Aujourd’hui, des « legal start-up » développent plateformes et algorithmes permettant de simplifier l’accès à l’information, l’élaboration de documents juridiques ou encore le lancement de certaines procédures.
Certes, leurs bénéfices sont encore parfois perçus comme incertains, tant par les professionnels du droit qui y voient une menace pour leur business, que par les justiciables souvent méfiants et impuissants pour juger de la qualité de ce qui leur est proposé. Pourtant, ces innovations permettent très concrètement à chacun de mieux s’informer, d’agir en meilleure connaissance de cause et d’apporter davantage de transparence dans les pratiques professionnelles.