La vente d’un lot de copropriété soulève une problématique clé. À quel moment le nouvel acquéreur devient-il officiellement copropriétaire, avec tous les droits et obligations associés ? Malgré un accord entre les parties sur le règlement des charges de copropriété, une simple mention dans l’acte notarié ne suffit pas. C’est la notification du transfert au syndic, prévue par le décret de 1967, qui joue un rôle déterminant. Sans cette formalité, le précédent propriétaire reste considéré comme le copropriétaire et doit continuer à s’acquitter des charges. Ainsi, un récent arrêt de la Cour de cassation souligne l’impact significatif de ces décisions. En effet, les répercussions s’étendent non seulement aux finances, mais également au fonctionnement global de la copropriété. Analyse de Benoit FLEURY, Avocat.
Sommaire :
- Charges de copropriété : la notification du transfert, une obligation légale méconnue
- L’affaire en question
- Notification et transfert de propriété : précisions de la Cour de cassation
- Notification de mutation et ses répercussions légales sur les charges de copropriété
- Conclusion
Charges de copropriété : la notification du transfert, une obligation légale méconnue
Lors de la vente d’un lot de copropriété, les parties conviennent d’un règlement des charges en cours. Pourtant, ces accords ne sont pas opposables au syndicat des copropriétaires. En effet, comme le souligne l’arrêt n° 22-24.829 de la Cour de cassation, daté du 8 février 2024, seule la notification formelle du transfert de propriété est déterminante.
Selon l’article 6 du décret du 17 mars 1967, “tout transfert de propriété d’un lot doit être notifié sans délai au syndic”. Ainsi, cette notification officialise le changement de propriétaire auprès du syndicat. Elle constitue une obligation légale distincte de l’avis de mutation prévu à l’article 20 de la loi du 10 juillet 1965 modifiée.
Une formalité essentielle
C’est seulement après cette notification que le nouvel acquéreur acquiert véritablement sa qualité de copropriétaire, avec les droits et obligations associés. Ainsi, jusqu’à ce que cette notification soit effectuée, le précédent propriétaire est toujours considéré comme le copropriétaire responsable. Par conséquent, il doit continuer à s’acquitter des charges de copropriété. Il s’agit là incontestablement d’une spécificité du droit de la copropriété dont les conséquences sont importantes en pratique.
L’affaire en question
Dans cette affaire spécifique, le litige naît à la suite du transfert de propriété d’un lot entre deux parties. Le propriétaire original du lot se retrouve, en effet, en désaccord avec le syndicat des copropriétaires. Le litige porte spécifiquement sur le paiement des arriérés de charges de copropriété. En effet, la source de la discorde réside dans un engagement pris par le nouveau propriétaire, lors de l’acte de transfert. Celui de prendre en charge rétroactivement les charges dues depuis le 1er janvier 2008.
Ainsi, la cour d’appel de Versailles a jugé en faveur du propriétaire initial. À cet effet, elle déclare irrecevable l’action du syndicat des copropriétaires. Certes, le raisonnement de la cour repose sur l’application de conventions antérieures entre les parties. Ces dernières stipulent que le transfert de propriété et les responsabilités y afférentes étaient rétroactifs au 1er janvier 2008. Ce jugement souligne l’importance de l’exactitude et de la clarté des engagements pris lors des transactions immobilières.
Notification et transfert de propriété : précisions de la Cour de cassation
Dans le cadre de la gestion des charges de copropriété, deux textes législatifs sont fréquemment invoqués :
- l’article 10 de la loi du 10 juillet 1965,
- et l’article 6 du décret du 17 mars 1967.
En effet, ces articles régissent les responsabilités liées aux changements de propriété dans une copropriété. Or, ce sont des aspects essentiels à la compréhension des obligations des nouveaux propriétaires.
L’arrêt récent de la Cour de cassation
Pour rappel, la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 mai 1990 (n° 88-16.191) et du 6 novembre 1991 (n° 90-11.602), a clarifié ces obligations. Ainsi, elle a statué en précisant que la connaissance par le syndic d’un changement de propriétaire ne suffit pas pour exiger du nouveau propriétaire le paiement des charges de copropriété.
Selon la haute juridiction, seule la notification formelle de l’article 6 du décret permet d’actualiser la liste des copropriétaires. Et, par la même d’appeler officiellement le nouveau propriétaire à contribuer aux charges de copropriété.
Cette décision distingue explicitement entre la contribution aux dettes de la copropriété et l’obligation de payer ces dettes. Les arrangements entre le vendeur et l’acheteur concernant la répartition des dettes ne sont pas opposables au syndicat des copropriétaires. Dès lors, le syndicat ne peut réclamer le paiement des charges qu’à la personne ayant officiellement la qualité de copropriétaire. Ce qui n’est établi que par la notification conforme aux prescriptions du décret.
La date d’opposabilité de la qualité de copropriétaire emporte des conséquences pratiques importantes. Et, cela, tant sur le plan du recouvrement des charges, que pour le fonctionnement de la copropriété.
Notification de mutation et ses répercussions légales sur les charges de copropriété
Par ailleurs, la Cour de cassation, dans un arrêt daté du 24 septembre 2008 (n° 07-17.360), rappelle un principe fondamental en matière de copropriété. Tant que la notification de mutation prévue par l’article 6 n’est pas réalisée, le copropriétaire vendeur reste redevable des charges de copropriété. Cette disposition assure ainsi que les obligations financières liées à la copropriété sont attribuées au bon propriétaire au bon moment.
Clarification des comptes entre vendeur et acquéreur
Le décret de 1967, notamment son article 5-1, précise que seules les créances “effectivement liquides et exigibles” à la date de la mutation sont prises en compte pour régler les comptes entre le vendeur et l’acquéreur. Or, cela pourrait laisser penser que la responsabilité des charges pourrait rétroactivement être transférée à l’acquéreur dès la date réelle de vente.
Toutefois, la Cour de cassation a infirmé cette interprétation dans un arrêt du 7 février 2019 (n° 17-31.101). Ainsi, elle souligne que les charges demeurent à la charge du vendeur jusqu’à la notification effective du transfert de propriété, et ce, malgré la date de la transaction.
Implications pratiques de la notification
Au-delà des charges, la qualité de copropriétaire conditionne de nombreux autres aspects du fonctionnement de la copropriété :
- Convocation à l’assemblée générale. Les acquéreurs ne sont convoqués qu’une fois leur statut de copropriétaire officiellement reconnu par la notification (Cass. 3e civ., 26 septembre 2007, n° 06-16.360).
- Qualité pour agir en justice. La capacité à contester les décisions de l’assemblée générale ou à participer à sa gouvernance dépend aussi de cette notification.
On comprend dès lors l’importance de procéder à cette notification “sans délai” pour reprendre les termes de l’article 6 du décret du 17 mars 1967. En effet, cela permet de minimiser les risques de confusion ou de litige concernant le paiement des charges et la participation aux décisions de la copropriété. En retardant cette formalité, les vendeurs restent exposés au recouvrement des charges. De plus, ils perdent le contrôle sur les décisions affectant directement leur ancien bien.
Conclusion
Malgré son importance cruciale, la notification du transfert de propriété reste trop souvent négligée ou mal comprise par les parties à un acte de vente. Pour autant, les professionnels de l’immobilier (notaires, avocats, syndics) ont un rôle clé à jouer pour sensibiliser vendeurs et acquéreurs à cette obligation.
Une simple mention dans l’acte ou la connaissance informelle du syndic ne suffisent pas. Seule la notification de la mutation formelle au syndic, selon les règles précises de l’article 6 du décret de 1967, fait véritablement entrer le nouvel acquéreur dans ses prérogatives de copropriétaire. Une précaution d’usage qui peut avoir de lourdes conséquences financières et juridiques en cas d’omission.
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