Véritable baromètre de l’économie française, le secteur du bâtiment traverse actuellement une période de turbulences. Confrontés à une crise historique de la construction neuve, à l’évolution des aides financières et aux défis de la transition écologique, les acteurs de la filière doivent s’adapter pour trouver de nouveaux relais de croissance. Dans ce contexte difficile, la rénovation énergétique et la décarbonation apparaissent comme des opportunités à saisir. Cependant, ces marchés porteurs nécessitent une réelle transformation des pratiques et des stratégies au sein du secteur. Décryptage des enjeux et des pistes de solutions pour permettre à la filière du bâtiment de rebondir face à la crise.
Sommaire :
- Le poids économique de la filière du bâtiment
- Une crise historique de la construction neuve
- Un cadre réglementaire et financier en mutation dans la filière du bâtiment
- Rénovation et décarbonation : des marchés porteurs à saisir
- La filière du bâtiment dominée par trois géants du BTP
Le poids économique de la filière du bâtiment
La filière du bâtiment compte 427 000 entreprises, soit près de 1,8 million d’actifs (salariés, intérimaires et artisans). Avec un chiffre d’affaires de 166 milliards d’euros, la filière du bâtiment joue un rôle crucial dans l’économie française.
Son impact sur l’emploi et l’activité économique en fait un véritable indicateur avancé de la conjoncture. Comme le souligne l’adage bien connu “Quand le bâtiment va, tout va”. En effet, ce secteur a un effet d’entraînement sur plusieurs autres domaines comme :
- la fabrication et le négoce de matériaux,
- la distribution et la location d’équipements,
- ou encore les services d’ingénierie.
De plus, la plupart des emplois de la filière sont non délocalisables. Ce qui renforce son importance stratégique pour l’économie nationale.
Une crise historique de la construction neuve
Malgré son poids économique, la filière du bâtiment est confrontée à une crise majeure de la construction neuve. Selon les prévisions du cabinet d’études Xerfi, les mises en chantier devraient chuter de 17% en 2024 pour atteindre seulement 245 000 unités.
Les promoteurs et constructeurs de logements peinent aussi à boucler leurs opérations face aux difficultés accrues pour obtenir des permis de construire dans un contexte de Zéro artificialisation nette (ZAN). La loi Climat et Résilience d’août 2021 a, en effet, fixé un objectif ambitieux de réduction de 50% du rythme d’artificialisation et de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030.
Enfin, la construction de bureaux et locaux commerciaux est, elle aussi, orientée à la baisse. Même si un léger rebond est attendu en 2025. D’ailleurs, les experts de Xerfi prévoient que “ le rebond des mises en chantier de logements et des surfaces commencées de locaux non résidentiels restera encore très modeste”.
Un cadre réglementaire et financier en mutation dans la filière du bâtiment
Autre défi pour le secteur : l’évolution des aides financières et du cadre réglementaire. En effet, l’État a revu à la baisse plusieurs dispositifs de soutien à la construction neuve. C’est le cas, par exemple, pour le prêt à taux zéro (PTZ+) désormais recentré sur les zones tendues (A et B1) pour les seuls appartements.
Or, c’est une rupture importante avec les pratiques auxquelles les professionnels étaient habitués. Parallèlement, la transition écologique est en marche. Notons, l’entrée en vigueur au 1er janvier 2022 de la norme environnementale RE2020. Cette dernière renforce les exigences en matière de performance énergétique, d’empreinte carbone et de confort d’été pour les constructions neuves.
Cette nouvelle règlementation “ambitionne de renforcer l’engagement environnemental des maîtres d’ouvrage et oblige les professionnels du bâtiment à utiliser des matériaux durables et des équipements d’énergie renouvelables, souvent plus coûteux”, analyse Lauric Berthier, auteur de l’étude chez Xerfi.
Rénovation et décarbonation : des marchés porteurs à saisir
Miser sur le dynamisme de la rénovation énergétique
Pour traverser la crise du neuf, les acteurs de la filière du bâtiment doivent identifier de nouveaux relais de croissance. La rénovation énergétique apparaît comme une piste prometteuse. Portée par des travaux d’amélioration de la performance énergétique des bâtiments. En effet, la croissance de ce segment devrait résister en 2024 et 2025.
Pour se positionner sur ce marché, les professionnels peuvent notamment se faire référencer par des intermédiaires spécialisés comme les sociétés de tiers-financement qui proposent une offre intégrée de rénovation énergétique. Autre piste évoquée par Xerfi : “miser sur le recyclage urbain (réhabilitation d’actifs obsolètes)”. La Fédération des Promoteurs Immobiliers (FPI) estime ce marché entre 1 et 1,2 milliard d’euros par an.
Relever le défi de la décarbonation
Autre axe de développement incontournable pour la filière du bâtiment : la décarbonation de la construction et de la rénovation. Si cette transition écologique représente un coût important, elle est aussi une nécessité pour le secteur. En effet, il doit faire évoluer ses approvisionnements en matériaux et ses méthodes de travail. Pour sécuriser un accès à des matériaux durables et décarbonés, conclure des contrats à long terme avec des industriels, qui incluent des engagements de volumes, constitue une solution.
“ De quoi faciliter les investissements dans de nouveaux moyens de production mais aussi apporter de la visibilité aux fabricants”, souligne Xerfi.
Le groupe Spie Batignolles a par exemple signé en 2023 un contrat de fourniture de ciment décarboné avec Hoffman Green Cement. L’engagement de volume se prolonge jusqu’en 2027. Certains acteurs vont même jusqu’à internaliser la fabrication. C’est le cas de Vinci Construction qui exploite sa propre marque de béton bas-carbone Exegy.
La filière du bâtiment dominée par trois géants du BTP
Vinci, Bouygues et Eiffage : le trio de tête
La filière du bâtiment est dominée par trois mastodontes : Vinci, Bouygues et Eiffage. En effet, ils sont reconnus pour leur expertise globale sur l’ensemble de la chaîne de valeur, en particulier dans la promotion immobilière. Mais, grâce à leurs synergies entre les différents métiers, ils peuvent prendre en charge tous types de projets, notamment les opérations de grande ampleur.
D’ailleurs, leurs moyens conséquents leur permettent également de se positionner sur les marchés porteurs de la rénovation et de la décarbonation. De plus, ce trio de tête écrase non seulement le marché français, mais aussi européen. Ils occupent, en effet, les trois premières places du classement des plus grands groupes de BTP en Europe.
Une concurrence multiforme
Si Vinci, Bouygues et Eiffage dominent le secteur, ils doivent néanmoins composer avec plusieurs types de concurrents. D’abord, des acteurs indépendants présents sur la plupart des segments d’activité comme Fayat, Spie Batignolles, Groupe GCC, Demathieu Bard ou Léon Grosse. Ces entreprises de taille intermédiaire réalisent entre 1 et 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Ensuite, on retrouve de grands noms des services énergétiques à l’image de SPIE, Engie, SNEF et Groupe Hervé. L’expertise de ces derniers dans les domaines liés à l’énergie leur confère une légitimité pour s’occuper des grands contrats multi-techniques. Ainsi, ils interviennent dans des opérations complexes de génie électrique et climatique. Autant de concurrents qui poussent le trio de tête à accélérer sa diversification dans les services et les énergies renouvelables.
Conclusion
Face à la crise historique qui secoue la filière du bâtiment, les acteurs du secteur doivent faire preuve d’agilité et de résilience pour rebondir. Si la construction neuve reste en souffrance, la rénovation énergétique et la décarbonation offrent de nouvelles perspectives de croissance. Mais, pour transformer l’essai, les professionnels doivent revoir leurs pratiques, nouer de nouveaux partenariats et investir dans des solutions durables. Un défi de taille qui devrait rebattre les cartes du secteur et faire émerger de nouveaux leaders.