Le développement des locations de courte durée a atteint un tel niveau, qu’elles sont devenues un sujet d’inquiétude pour les pouvoirs publics en France. Les hôteliers, victimes de cette concurrence et les riverains, supportant de nombreuses nuisances font aussi de la résistance. L’ADIL dresse un tour d’horizon du phénomène.
Locations touristiques : Des logements qui n’en sont plus
Le parc de logements parisiens s’appauvrit au fur et à mesure que les propriétaires se tournent vers la location touristique. Rien que pour Paris, plus de 86.000 offres seraient actuellement disponibles sur le site Airbnb (Observatoire Airbnb) alors qu’au cours de ces dernières années, près de 20.000 logements ont été retirés du parc locatif (résidences principales).
Par comparaison à la location d’une résidence principale, la location touristique très peu réglementée permet de s’exonérer de toutes les obligations pesant sur le bailleur (fixation du loyer, durée du bail, clauses interdites, congés limités…). Cet avantage se trouve conforté par la forte rentabilité des locations touristiques.
« Adapter le décret « décence » aux locations de courte durée et le diagnostic technique permettrait d’alerter loueurs et touristes sur les normes requises, de faciliter l’enregistrement de plaintes et de contrôler les conditions de location de ces logements. Dans la même logique, il pourrait être rendu obligatoire un diagnostic technique allégé sur l’état des installations de gaz et d’électricité alors que pour le moment le loueur peut faire l’impasse sur ces diagnostics indispensables à la location longue durée », indique Dominique GADEIX, Directeur adjoint de l’ADIL de Paris.
Locations touristiques : Des loueurs sous surveillance
Pour les meublés qui ne constituent pas la résidence principale d’un locataire, plusieurs formalités et démarches auprès de l’administration sont nécessaires : le changement d’usage et le changement de destination. À Paris, le changement d’usage nécessite une autorisation préalable et un enregistrement de la mise en location qui doit à présent être mentionné sur les annonces des plateformes.
Ceux qui veulent compléter leurs revenus en louant temporairement leur propre logement pour des week-ends ou pour quelques semaines sont donc libres de le faire, sans pouvoir dépasser un total de 120 jours par an (soit 4 mois). Au-delà, il faudra procéder à un changement d’usage, cette démarche auprès de la Mairie de Paris passe par un mécanisme de compensations lourdes et onéreuses.
En effet, toute personne qui enfreint les dispositions d’autorisation du changement d’usage ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations édictées est passible d’une amende civile. Son montant maximum prévu à l’article L 651-2 du Code de la construction et de l’habitation, est passé de 25.000 € à 50.000 € en application de la loi du 18 décembre 2016 (Loi de Modernisation de la Justice du XXI ème siècle du 7 octobre 2016). Une astreinte peut aussi être fixée, jusqu’à 1.000 € par jour et par m² jusqu’à régularisation. Les poursuites sont engagées auprès du Tribunal de Grande Instance.
En 2017, le montant des amendes perçues par la Ville de Paris pourrait être de l’ordre de 900.000 €, chiffre largement supérieur aux années précédentes (2016 : 200.000 € correspondant à 19 condamnations).
A Paris, 25 agents municipaux sont assermentés pour visiter les locaux à usage d’habitation. Très fréquemment ce sont les occupants des logements voisins qui, excédés par les nuisances subies, signalent des conditions de location qui leur semblent abusives. Au cours des dernières années, plus de 8.000 logements ont ainsi été contrôlés. Sur les 600 dossiers examinés par les services de la Ville, prés de 130 ont été l’objet de poursuites judicaires. Du fait d’un renforcement du contrôle administratif, depuis le début de l’année, plus de 30 propriétaires ont été assignés en justice.
« Beaucoup de loueurs ont su jusqu’ici passer au travers, les moyens mis en œuvre par la Mairie de Paris devraient décourager les investisseurs, parfois multipropriétaires, à la recherche de la plus forte rentabilité possible », indique Dominique GADEIX.
Des copropriétaires sous tension
Beaucoup de copropriétaires se plaignent de voir leur immeuble transformé en hôtel mais sans disposer de réels moyens pour s’y opposer. Les allées et venues à toute heure du jour et de la nuit sont tout particulièrement source de gêne et, dans les parties communes, trop de touristes ne se plient pas aux règles essentielles de bonne conduite.
Certains règlements de copropriété interdisent la location meublée ou la location saisonnière mais la plupart laissent l’entière liberté quant à ce type de location. Les copropriétaires sont alors libres de disposer comme ils l’entendent de leur bien (article 9 de la loi 10 juillet 1965).
Deux remparts néanmoins peuvent freiner les projets de locations « touristiques » :
– Les clauses d’habitation bourgeoise : le règlement de copropriété peut stipuler que l’immeuble est destiné à l’habitation bourgeoise, voire à l’habitation bourgeoise exclusive. Lorsqu’il s’agit d’une clause d’habitation bourgeoise à titre exclusif, aucune activité n’est possible. En revanche, la clause d’habitation bourgeoise simple autorise les activités libérales tout en prohibant les activités à caractère commercial ou artisanal.
Ainsi, la Cour d‘appel de Paris (Pôle 4, chambre 2, 15 juin 2016 – n° 15/1891) a pris en compte une clause d’habitation bourgeoise dans une affaire où le logeur possédait plusieurs logements mis en locations touristiques : «…si l’activité de loueur en meublé est juridiquement de nature civile, elle est fiscalement de nature commerciale, étant imposée au titre des bénéfices industriels et commerciaux, en sorte que c’est sans abus ni dénaturation que le syndicat fait valoir que l’activité exercée par la SCI XXX est contraire, dans l’esprit et dans les faits, aux prohibitions du règlement de copropriété…».
– Les clauses restrictives : elles interdisent certaines activités en raison des gênes occasionnées (bruit, odeur, atteintes aux bonnes mœurs…). Elles précisent parfois quelles activités sont acceptées ou au contraire proscrites dans tout ou partie de l’immeuble. La location de courte durée pourrait être l’objet de telles clauses. Lorsqu’elles ne figurent pas dans le règlement de copropriété, ces clauses peuvent être ajoutées mais, constituant une atteinte aux conditions de jouissance des parties privatives, l’unanimité de tous les copropriétaires est requise (article 26 loi du 10 juillet 1965). Les projets de modification ont donc peu de chance d’aboutir.
« Dans les immeubles où il serait constaté que la fréquence des locations de courte durée porte atteinte aux conditions de jouissance des autres résidants, l’insertion d’une clause interdisant la location touristique (ou la limitant à une durée maximum) devrait être votée, non à l’unanimité mais à la majorité absolue. Une modification de la loi du 10 juillet 1965 serait alors nécessaire », souligne Dominique GADEIX.
Une taxe de séjour trop favorable
Sans contrôle du taux de location et de la fréquentation réelle des logements et avec un montant de 0,83 € seulement (par personne et par nuitée), cette taxation est un autre facteur de concurrence pour l’hôtellerie.
Cette taxe doit représenter une juste contribution des touristes aux infrastructures locales dont ils profitent au cours de leur séjour. Pour ce qui est des locations de courte durée non classées, elle se révèle ridiculement faible par rapport à la taxe acquittée par les clients d’hôtels (Tourisme 5 étoiles : 3,30 € – 4 étoiles : 2,48 € – 3 étoiles : 1,65 € – 2 étoiles : 0,99 €).
Peu de loueurs acceptant la règle du jeu et déclarant le nombre exact d’occupants, une imposition sur la base d’un forfait devrait être préconisée. C’est aussi l’une des propositions de l’UMIH. Cette taxe serait ainsi fonction de la capacité d’accueil du logement, quel que soit le nombre d’occupants (le nombre de lits doit figurer dans la télé-déclaration).
Locations touristiques : Trouver le bon équilibre entre tous les besoins
Toutes les locations de courte durée ne sont pas en concurrence directe avec l’hôtellerie. On ne peut en effet ignorer que de tels logements constituent un réel service et répondent à de vrais besoins Dans les grandes agglomérations, certaines offres pourraient même être privilégiées et encouragées dans le cadre d’un statut particulier.
Pourquoi, ne pas créer un statut particulier du loueur ? À Paris, ce statut pourrait intervenir au moment de la déclaration d’enregistrement et être encadrée par une charte du logeur rappelant à celui-ci ses engagements de location. Ce statut pourrait être réservé à des personnes s’installant pour de brefs séjours pour des raisons professionnelles ou médicales mais en excluant toute location touristique. Les plateformes de location seraient tenues de faire mention de l’affectation spéciale de ces offres. De telles locations pourraient être l’objet d’une exonération (totale ou partielle) de compensation. Enfin ce parc de logements de courte durée, clairement identifié serait d’un nombre limité et peut-être circoncis à certains quartiers.
« Il serait regrettable si les dispositifs actuels ne marquaient pas l’arrêt des abus, d’en arriver à des mesures plus radicales comme fixer par arrêté municipal un quota annuel de logements touristiques loués plus de 120 jours par an ou encore interdire la location touristique plus de 120 jours par an. Pour éviter de telles extrémités, la résistance à ce type de location, quand elle devient trop lucrative, nécessite que tous les acteurs concernés œuvrent ensemble dans l’objectif de préserver à la fois le parc de logements et l’accueil des visiteurs », conclut Dominique GADEIX.