La domotique, ou maison connectée, connaît actuellement un véritable boom en France. Malgré un léger recul des ventes en 2024 dû aux tensions sur le pouvoir d’achat des ménages, les perspectives du marché restent très prometteuses. En effet, la hausse des prix de l’énergie et l’obligation d’équiper tous les logements en thermostats connectés d’ici 2027 devraient doper la demande. Et, ainsi permettre au secteur de renouer avec une forte croissance dans les années à venir. La domotique apparaît comme une réponse clé aux enjeux de gestion énergétique des bâtiments. Décryptage d’un marché d’avenir, qui fait face à de profondes mutations technologiques avec l’essor du protocole Matter et de l’intelligence artificielle.
Sommaire :
- Un marché résilient malgré le contexte économique
- L’obligation des thermostats connectés, une aubaine pour les acteurs
- Vers plus d’interopérabilité et de sécurité grâce au protocole Matter
- L’intelligence artificielle, un levier pour enrichir l’expérience client
Un marché résilient malgré le contexte économique
Un léger recul des ventes en 2024
Le marché français de la domotique devrait atteindre 2,3 milliards d’euros en 2024, en léger recul par rapport aux années précédentes. Les ménages sont confrontés à une situation économique difficile, marquée par une inflation record et une baisse du pouvoir d’achat. À cela s’ajoute la crise qui touche le secteur de la construction neuve. Ensemble, ces facteurs exercent une pression importante sur les ventes d’équipements.
“Les tensions sur le budget des foyers sont défavorables aux investissements dans la maison connectée, considérés comme non prioritaires” souligne Flavien Vottero, directeur d’études chez Xerfi.
Des perspectives de rebond portées par les économies d’énergie
Malgré ce contexte compliqué, les perspectives du marché restent favorables à moyen terme. Selon les prévisions de Xerfi, il devrait rebondir de 9% par an en moyenne en 2025 et 2026 pour atteindre 2,6 milliards d’euros. En effet, la gestion énergétique des logements, rendue indispensable par la flambée des prix, constituera un puissant moteur.
“L’envolée des tarifs du gaz et de l’électricité pousse les particuliers à s’équiper en dispositifs permettant de mieux piloter et réduire leurs consommations, comme les thermostats connectés”, indique Flavien Vottero.
L’amélioration de l’interopérabilité des produits grâce à la norme Matter devrait aussi stimuler les ventes de renouvellement.
Le dynamisme du marché professionnel
Si les ventes aux particuliers ont marqué le pas, le marché a mieux résisté grâce au dynamisme des ventes aux professionnels (promoteurs, bailleurs sociaux…). En effet, Ils sont de plus en plus nombreux à intégrer des solutions domotiques dans les logements neufs ou rénovés, poussés par les réglementations environnementales. En 2022, près d’un logement neuf sur deux était ainsi équipé d’un système domotique selon une étude de Promotelec.
L’obligation des thermostats connectés, une aubaine pour les acteurs
30 millions de logements à équiper d’ici 2027
D’ici 2027, tous les logements, dans le neuf comme dans l’ancien, devront être équipés de thermostats connectés selon la réglementation environnementale RE2020. C’est une petite révolution quand on sait que seulement 12% des foyers en sont équipés aujourd’hui d’après l’Ademe.
C’est donc un immense marché de près de 30 millions de logements qui s’ouvre pour les professionnels de la domotique. D’autant que le gouvernement a mis en place des aides pour financer ces installations et ainsi atténuer la facture pour les ménages. Le “coup de pouce thermostat”, lancé fin 2023, permet ainsi de bénéficier d’une prime allant jusqu’à 100€.
15 à 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires en jeu
Les spécialistes estiment que l’équipement d’un foyer revient entre 500€ et 1000€ en moyenne, pose comprise. De quoi générer un chiffre d’affaires potentiel de 15 à 30 milliards d’euros pour la filière.
“C’est une véritable aubaine pour les acteurs de la domotique” se réjouit Flavien Vottero. Rien que sur la période 2025-2027, le marché devrait croître de 9% par an selon les projections de Xerfi, porté par le boom des thermostats connectés.
Une reconfiguration du paysage concurrentiel
Mais, l’émergence de ce marché de masse va aussi attiser les convoitises et faire émerger de nouveaux concurrents. Les géants du numérique, les énergéticiens et les fabricants d’électroménager lorgnent ainsi sur ce relai de croissance majeur.
“La cartographie des acteurs va être profondément remaniée avec l’irruption de nouveaux profils au côté des spécialistes historiques de la domotique”, prévient l’expert.
La bataille s’annonce féroce et les positions ne sont pas encore figées. L’enjeu pour les acteurs en place sera de transformer l’essai en fidélisant les clients sur la durée grâce à des offres de services à valeur ajoutée.
Vers plus d’interopérabilité et de sécurité grâce au protocole Matter
Lever les freins à l’adoption de la domotique
Le lancement fin 2022 du protocole Matter, à l’initiative notamment de Google, Apple et Amazon, a marqué un tournant pour le marché de la maison connectée. Notons que cette norme, ouverte et universelle, est couplée au protocole de communication radio Thread. Ce qui permet à tous les appareils compatibles de communiquer entre eux de façon transparente et sécurisée, quel que soit leur fabricant.
“Avec Matter, les deux principaux freins à l’adoption de la domotique par le grand public, à savoir la crainte sur l’interopérabilité et la sécurité des données, devraient enfin être levés” se félicite Flavien Vottero.
Ainsi, les consommateurs n’auront plus à choisir leur équipement en fonction de leur compatibilité avec telle ou telle plateforme. En cela, ils pourront librement interconnecter des produits de différentes marques. Fini aussi les réticences liées aux risques de piratage des appareils connectés. Des procédures de certification strictes sont prévues pour protéger la vie privée des utilisateurs et empêcher le vol de données personnelles.
Un déploiement progressif du standard
Malgré ces progrès indéniables, il faudra encore plusieurs années pour que Matter s’impose comme un standard universel et fasse l’unanimité. Certes, le coût de développement de produits compatibles va ériger des barrières à l’entrée et favoriser la concentration du marché.
“Les petits acteurs auront du mal à suivre la cadence d’innovation technologique imposée par les géants. La contre-partie est que la norme va aussi banaliser les appareils et favoriser leur substituabilité, les acheteurs n’étant plus prisonniers d’un écosystème propriétaire. Le risque est de voir la compétition se focaliser sur les prix au détriment des marges.”
La cohabitation des protocoles de communication
En attendant la démocratisation de Matter, différents protocoles de communication continuent de cohabiter, même si certains s’imposent plus que d’autres. En 2024, près de 60% des appareils vendus sont ainsi compatibles Zigbee selon une étude du cabinet IDC, devant Bluetooth (30%), Z-Wave (20%) et Wi-Fi (15%).
Des alliances se sont constituées autour de ces principaux standards. Parmi elles, la Zigbee Alliance, renommée Connectivity Standards Alliance en 2021, regroupe plus de 500 entreprises. De son côté, la Z-Wave Alliance fédère plus de 700 entreprises.
L’intelligence artificielle, un levier pour enrichir l’expérience client
Des équipements plus intelligents et personnalisés
L’intégration de technologies d’intelligence artificielle dans les systèmes domotiques permet aux fabricants de proposer des solutions toujours plus performantes et personnalisées. Désormais, les algorithmes de machine learning rendent les équipements capables “d’apprendre” des comportements des utilisateurs pour s’adapter à leurs habitudes et préférences.
L’IA représente un puissant levier pour enrichir l’expérience client et offrir davantage de valeur. En effet, elle facilite les interactions grâce à des assistants vocaux de plus en plus performants, améliorant ainsi le confort d’utilisation. En outre, elle permet des économies d’énergie importantes en optimisant le fonctionnement du chauffage, de l’éclairage ou des appareils électriques selon les besoins.
Les montants en jeu sont colossaux : selon une étude de Capgemini, la domotique pourrait permettre de réduire la consommation énergétique des bâtiments de 20% à 50%. Soit des dizaines de milliards d’euros d’économies par an !
La maison IA, un concept prometteur mais coûteux
Le coréen LG mise notamment sur l’IA pour se différencier et entend bien monétiser ses avancées technologiques. Il ambitionne de créer des “maisons IA” totalement personnalisées et adaptées aux profils de chaque habitant.
Les géants du numérique misent sur la démocratisation de la maison intelligente en s’appuyant sur leurs assistants vocaux : Alexa d’Amazon, Google Home et Siri d’Apple. Ces enceintes constituent un puissant moyen de recueillir des données sur les utilisateurs. Mais, c’est aussi un levier pour attirer de nouveaux clients. Elles incitent, en effet, les consommateurs à acquérir d’autres appareils de la même marque, renforçant ainsi l’écosystème de chaque entreprise.
Toutefois, cette course à l’innovation comporte aussi des risques, au premier rang desquels le coût et la complexité technologique croissante.
“Intégrer des algorithmes d’IA nécessite des investissements considérables en R&D et en recrutement de compétences pointues, comme les data scientists, très recherchés et disputés”, pointe Flavien Vottero.
Seuls les acteurs disposant d’une taille critique et de moyens importants pourront tenir la distance. D’ailleurs, le directeur d’études anticipe une accélération de la concentration du marché, marquée par des opérations de fusions-acquisitions. Celles-ci permettent aux entreprises d’acquérir à la fois des technologies et des talents. Les récents rapprochements entre Google et Fitbit, ainsi qu’entre Amazon et iRobot, en sont les premiers signes.
Le défi de la protection des données personnelles
Les acteurs de la domotique doivent aussi rassurer les utilisateurs sur l’usage qui est fait de leurs données personnelles. En outre, la multiplication des objets connectés dans la sphère intime du domicile soulève des questions éthiques sur le respect de la vie privée.
“La question de la propriété et de la protection des données est cruciale pour les consommateurs. Ils doivent garder la maîtrise de leurs informations, pouvoir choisir celles qu’ils souhaitent partager et savoir comment elles sont exploitées”, insiste Flavien Vottero.
Un défi majeur à l’heure où les géants du numérique sont régulièrement épinglés pour leur utilisation abusive et opaque des données. Notons que l’entrée en vigueur du règlement européen sur l’intelligence artificielle (AI Act) est attendue en 2025. Cela devrait fixer un cadre plus clair et protecteur pour l’utilisation de ces technologies.
Dans un marché en pleine reconfiguration, la bataille pour le leadership ne fait que commencer. Les plus agiles et innovants en sortiront gagnants. Aux spécialistes de faire la différence grâce à leur maîtrise technologique et la profondeur de leur offre. Aux généralistes de capitaliser sur leur écosystème et leur base clients. Tous devront se montrer à la hauteur des exigences croissantes des consommateurs en matière de protection des données et de souveraineté numérique.