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Diagnostics

DPE de complaisance : la start-up Krno soulève des questions, la CDI nuance

DPE de complaisance : la start-up Krno soulève des questions, la CDI nuance

Une récente étude publiée par la start-up Krno met en lumière un phénomène inquiétant. En effet, des Diagnostics de Performance Énergétique (DPE) seraient régulièrement surévalués, classant des logements de manière plus favorable qu’ils ne devraient l’être. Face à ces accusations de DPE de complaisance, la Chambre des Diagnosqueurs Immobiliers (CDI) appelle cependant à la prudence dans l’interprétation des résultats. Entre révélations troublantes et nécessaire prise de recul, retour sur la polémique des DPE de complaisance qui ébranle le secteur de l’immobilier.

Sommaire :

L’étude de Krno révèle des anomalies dans les DPE

Une méthodologie d’analyse de données inédite

Pour mener son enquête sur la fiabilité des Diagnostics de Performance Énergétique (DPE), la start-up Krno a mis en place une méthodologie innovante, reposant sur l’analyse de données massives.

“Nous avons collecté et traité les données de plusieurs millions de DPE réalisés ces dernières années, en nous appuyant sur des algorithmes de machine learning spécifiquement développés pour cette étude”, explique Ruben ARNOLD, fondateur de Krno.

Cette approche, basée sur le “big data”, a apporté une avancée majeure. En effet, elle a permis à Krno de détecter des anomalies statistiques. Autrement dit, ces anomalies, souvent subtiles, seraient restées invisibles avec des méthodes d’analyse plus traditionnelles. Ainsi, cette technologie ouvre de nouvelles perspectives pour des analyses plus précises et fiables.

“Notre objectif était de faire émerger des tendances et des corrélations invisibles à l’œil nu, pour questionner la validité des diagnostics énergétiques”, précise Ruben ARNOLD.

Des “pics de surreprésentation” inexpliqués autour des seuils de performance

Premier constat troublant de l’étude Krno : l’existence de “pics de surreprésentation” de certaines notations DPE. Notamment, celles autour des seuils de performance énergétique.

“Notre analyse met en évidence une concentration anormale de diagnostics dans les classes “D” et “E”, juste au-dessus des seuils réglementaires fixés pour les passoires thermiques”, détaille Ruben ARNOLD.

Concrètement, Krno a mené une observation précise. Il s’avère que de nombreux logements obtiennent un classement “D” ou “E”. Or, leur consommation énergétique se situe souvent très près des limites inférieures de ces classes. Ce constat soulève des interrogations sur la pertinence et la précision des critères d’évaluation actuels. Soit 331 kWh/m2/an pour la classe “E” et 231 kWh/m2/an pour la classe “D”. Statistiquement, on s’attendrait à une répartition plus homogène des notations au sein de chaque classe énergétique. Or, on constate une surreprésentation systématique dans la zone la plus favorable de chaque classe. Comme si les logements bénéficiaient d’un “coup de pouce” pour éviter de basculer dans la catégorie inférieure.

DPE de complaisance
Ces “effets de seuils” interrogent quant à l’objectivité des diagnostics réalisés. Ainsi, pour Krno, ces pratiques pourraient révéler un problème sous-jacent. En effet, elles seraient le signe possible de “DPE de complaisance”. Ce type d’évaluation chercherait à attribuer au bien le meilleur classement énergétique possible. Par ailleurs, il éviterait de déclasser le bien en “passoire thermique”.

Des notes surévaluées par rapport aux caractéristiques techniques des logements

Au-delà de cette répartition statistique jugée douteuse, l’étude menée par Krno met en lumière d’autres problèmes. Notamment, elle souligne des incohérences flagrantes entre la notation DPE attribuée et les caractéristiques techniques réelles des logements. Par conséquent, ces résultats interrogent la fiabilité du système d’évaluation actuel.

« En croisant les données des diagnostics avec celles des bases notariales, des permis de construire et des audits énergétiques, nous avons identifié de nombreux cas de surévaluation manifeste de la performance énergétique », affirme Ruben ARNOLD.

Parmi les exemples les plus marquants, Krno a relevé plusieurs incohérences. Par exemple, certaines passoires thermiques des années 1970, équipées de simples vitrages et d’une isolation dégradée, parviennent tout de même à obtenir un classement en “D”. Cela s’explique par la présence d’un mode de chauffage considéré comme “économe”, tel qu’une chaudière récente.

« Dans ces cas, la notation DPE semble se focaliser sur un point favorable, au détriment d’une évaluation globale de la performance réelle du bâti », estime Ruben ARNOLD.

Ces surévaluations, qualifiées de “DPE de complaisance”, semblent particulièrement fréquentes dans certains cas spécifiques. En effet, elles concernent surtout les maisons individuelles et les biens en monopropriété. Ces catégories représentent 70 % des DPE identifiés comme “douteux” par l’étude.

En effet, pour les petites copropriétés et les maisons, il est plus facile “d’optimiser” le résultat final en “jouant” sur certains paramètres. Ce phénomène illustre les failles potentielles du système actuel, où certains acteurs peuvent exploiter les marges d’interprétation pour améliorer artificiellement le classement énergétique.

Une focalisation excessive sur la consommation énergétique ?

Autre biais méthodologique soulevé par Krno : la prévalence excessive de la consommation énergétique (exprimée en kWh/m2/an) dans la notation finale des DPE.

“Notre étude montre que ce critère quantitatif prend souvent le pas sur des éléments plus qualitatifs comme l’état du bâti, l’isolation ou la ventilation, pourtant essentiels pour évaluer la performance réelle d’un logement”, soulève Ruben ARNOLD.

Ainsi, le choix d’un mode de chauffage performant ou d’un équipement économe (chaudière à condensation, pompe à chaleur…) permettrait “d’upgrader” artificiellement des logements énergivores.

“C’est comme mettre un moteur électrique dans une vieille voiture qui tombe en ruine, et prétendre qu’elle est écologique. Au final, un logement mal isolé mais doté d’équipements performants peut obtenir un meilleur classement qu’un bien intégralement rénové d’un point de vue thermique, c’est un vrai problème !”, ironise Ruben ARNOLD.

Cet angle d’attaque du DPE tendrait alors à minimiser l’importance de la rénovation globale au profit de changements d’équipements plus rapides et moins coûteux. Un biais dommageable selon Krno, qui plaide pour une refonte des critères d’évaluation afin de donner plus de poids aux caractéristiques intrinsèques du bâtiment.

Ces pratiques, bien qu’elles restent minoritaires, sont suffisamment répandues pour avoir un impact notable. D’une part, elles faussent localement le marché immobilier. D’autre part, elles retardent les rénovations globales indispensables pour les passoires thermiques. Ce constat met en évidence la nécessité d’agir. Il appelle à une réforme en profondeur des méthodes de calcul du DPE. Par ailleurs, un renforcement des contrôles s’impose pour fiabiliser ce dispositif, qui devient plus crucial que jamais face à l’urgence climatique.

La réponse mesurée de la CDI : “Une analyse simpliste”

Un manque de rigueur méthodologique patent

Mais pour Thierry Marchand, ancien président de la Chambre des diagnotiqueurs immobiliers, ces conclusions hâtives sont à prendre avec des pincettes. Il pointe notamment du doigt la légende de l’histogramme de Krno, qui mentionne une échelle de performance basée uniquement sur la consommation énergétique des logements (en kWh/m2/an).

“Cet histogramme omet un critère essentiel : les émissions de gaz à effet de serre, qui rentrent en compte dans le calcul du DPE depuis le 1er juillet 2024”, souligne-t-il. “Vouloir rendre un DPE plus précis tout en négligeant cette donnée, cela montre un manque de rigueur méthodologique qui jette le doute sur la pertinence de l’étude.”

Pas de “DPE de complaisance” mais un mode de calcul en deux temps

Pour la CDI, les “pics” constatés reflètent surtout la réalité d’un mode de calcul DPE en deux temps. En effet, la CDI tient également à rappeler une subtilité méconnue du grand public. Le DPE peut être réalisé selon deux modes, en fonction des données d’entrée fournies par le propriétaire :

  • Un “mode complet” avec des données exhaustives
  • Un “mode dégradé” en cas d’informations manquantes, aboutissant à des estimations moins précises

« En mode “dégradé”, lorsqu’il manque certaines informations, les estimations peuvent en effet être moins précises. Mais ce n’est pas pour autant le signe d’une complaisance ! », insiste Thierry Marchand.

Un bien initialement classé “F” pourrait ainsi gagner quelques précieux kWh/m2/an une fois les données manquantes récupérées, sans que cela ne relève d’une manipulation.

Des DPE cruciaux écartés de l’analyse

Autre grief de la CDI envers la méthodologie de Krno : l’exclusion d’un grand nombre de DPE récents, réédités pour se conformer aux dernières exigences réglementaires.

“Ces DPE mis à jour sont les plus représentatifs du parc immobilier actuel, les écarter fausse les conclusions”, affirme Thierry Marchand. Un tri drastique qui interroge sur la validité de l’échantillon retenu par Krno.

Les biens situés en début de segment “F”, autour des zones d’effet de seuils, sont d’ailleurs souvent les mieux notés selon la CDI.

“Ce ne sont en aucun cas des DPE de complaisance, bien au contraire. Ils reflètent la réalité d’un système d’évaluation standardisé, qui reste une estimation et non une science exacte”, rappelle Yannick Ainouche.

Le DPE, un outil d’évaluation complexe à perfectionner

Soyons critiques, mais rigoureux et constructifs

Loin de nier les imperfections du DPE, la CDI plaide pour un regard critique plus nuancé et rigoureux.

“Nous sommes ouverts à toute analyse argumentée permettant d’améliorer le dispositif. Mais cela doit se faire de manière constructive et méthodique, sans raccourcis ni généralisations abusives. Le DPE est un outil complexe qui ne peut se résumer à un simple histogramme”, assure Yannick Ainouche.

Une complexité illustrée par une récente étude du CSTB qui conclut à une marge d’erreur moyenne de 10% dans les estimations DPE, liée notamment aux différences d’appréciation entre diagnostiqueurs. Un chiffre à mettre en perspective avec les 20% d’écart moyen constaté pour les diagnostics réalisés avant la réforme de 2024.

Propriétaires et diagnostiqueurs, mobilisés pour un DPE plus fiable

Si le DPE doit encore progresser, la CDI insiste sur le rôle clé des propriétaires dans la démarche.

“Un DPE fiable nécessite des informations exhaustives et précises, c’est un effort conjoint”, rappelle Yannick Ainouche.

En effet, le diagnostiqueur s’appuie sur les éléments fournis pour établir son évaluation énergétique. Plus les données seront complètes et justes, plus le DPE gagnera en précision. À ce titre, la CDI invite les propriétaires, notamment ceux dont le bien se situe en début de segment “F”, à la plus grande vigilance.

“Il est crucial de fournir l’ensemble des justificatifs permettant d’établir le DPE le plus représentatif. Un DPE plus fiable, c’est aussi la garantie d’un juste classement pour les propriétaires, et d’une information transparente pour les acquéreurs et locataires”, insiste Thierry Marchand.

Malgré ses défauts, le DPE est un outil précieux de transition énergétique

Au-delà de la polémique, la CDI tient à rappeler le rôle essentiel du DPE comme outil d’orientation et d’accompagnement.

“Le but n’est pas de sanctionner, mais d’encourager une démarche vertueuse d’amélioration de l’habitat. Le DPE permet aux propriétaires de situer la performance de leur bien et d’identifier les axes de progrès prioritaires. C’est une aide à la décision précieuse pour établir un plan de rénovation énergétique cohérent et efficace”, souligne Yannick Ainouche.

Un constat partagé par l’ADEME qui voit dans le DPE “un levier incitatif fort” pour massifier la rénovation énergétique du parc immobilier français. Avec un objectif affiché de 500 000 logements rénovés par an, le DPE apparaît plus que jamais comme un outil clé de la transition écologique.

“Le vrai sujet, c’est d’utiliser le DPE pour ce qu’il est : un guide, un point de départ vers une meilleure performance énergétique. Plutôt que de pointer des défauts inhérents à tout système d’évaluation, concentrons-nous sur cet objectif commun qu’est la massification de la rénovation énergétique, en commençant par les passoires thermiques. Le DPE est un allié de poids dans ce combat, à condition de l’aborder avec le recul et la rigueur nécessaires”, conclut Yannick Ainouche.

Alors que le débat fait rage sur la fiabilité du DPE et les soupçons de DPE de complaisance, une certitude demeure. Celle de l’urgence d’une mobilisation collective pour relever le défi de la rénovation énergétique des logements. Un enjeu colossal, dans lequel le DPE a un rôle central à jouer, pour peu qu’il soit compris et utilisé à bon escient. La balle est désormais dans le camp des pouvoirs publics, des professionnels et des propriétaires pour faire de cet outil un levier efficace de progrès énergétique, loin des polémiques et des procès d’intention.

Isabelle DAHAN

Isabelle DAHAN

Rédactrice en chef de Monimmeuble.com. Isabelle DAHAN est consultante dans les domaines de l'Internet et du Marketing immobilier depuis 10 ans. Elle est membre de l’AJIBAT www.ajibat.com, l’association des journalistes de l'habitat et de la ville. Elle a créé le site www.monimmeuble.com en avril 2000.

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