Les copropriétaires ont-ils réellement les moyens de contrôler ce qu’ils signent ? C’est la question soulevée par la dernière enquête de la CLCV, publiée en novembre 2025. Cette étude révèle un chiffre alarmant : 35% des contrats de syndic examinés présentent de graves irrégularités. Suppressions de clauses, vacations horaires illégales, honoraires ambigus… Derrière l’apparente standardisation du contrat de syndic imposée par le décret de 2015, se cachent des pratiques non conformes. Parfois même trompeuses. Ce constat soulève un enjeu majeur : la transparence, la conformité contractuelle et la protection juridique dans la gestion des copropriétés. Cette analyse fouillée repose sur l’examen de 195 contrats. Elle met en lumière les failles récurrentes, les dérives à surveiller et les mesures à envisager pour restaurer la confiance entre syndics professionnels et copropriétaires.
Sommaire :
- Quelles sont les irrégularités les plus fréquentes dans le contrat de syndic de copropriété ?
- Grands groupes ou indépendants : qui respecte le mieux la réglementation ?
- Prestations facturées ou incluses : comment les syndics contournent le contrat ?
- Régulation insuffisante : pourquoi les sanctions ne fonctionnent pas ?
À retenir – Les irrégularités dans le contrat de syndic de copropriété
- 35 % des contrats de syndic présentent des violations importantes du modèle imposé par la loi.
- Les cabinets indépendants sont bien plus souvent en infraction que les grands groupes.
- Des clauses sont illégalement supprimées ou modifiées, notamment celles sur les pénalités obligatoires.
- La facturation multiple ou floue est courante, malgré l’interdiction d’utiliser plusieurs vacations horaires.
- Les sanctions prévues existent mais sont très peu appliquées, rendant le dispositif largement inefficace.
Quelles sont les irrégularités les plus fréquentes dans le contrat de syndic de copropriété ?
Des irrégularités majeures dans plus d’un tiers des contrats
Selon l’enquête 2023-2024 de la CLCV, 35% des contrats de syndic présentent des violations graves du contrat type de syndic défini par le décret n°2015-342 du 26 mars 2015, modifié par le décret du 2 juillet 2020. Cette norme vise pourtant à uniformiser les conditions contractuelles pour mieux protéger les copropriétaires.
Les principales irrégularités constatées sont :
- Suppressions ou réécritures de clauses obligatoires.
- Facturation interdite du pré-état daté.
- Honoraires affichés uniquement en TTC, sans HT.
- Ajout d’annexes non prévues (ex : Annexes 3) servant à intégrer des frais additionnels.
Seulement 29% des contrats sont strictement conformes, ce qui laisse 71% en infraction — un chiffre révélateur de la faiblesse de l’application réglementaire dans le secteur.
Réécritures et suppressions de clauses : une pratique répandue
De nombreux syndics suppriment la clause imposant des pénalités de 15 € par jour en cas de non-remise des documents au conseil syndical. Elle est pourtant rendue obligatoire par le décret du 7 octobre 2020. Cette clause vise à sanctionner les retards de transmission d’informations essentielles — comme les relevés de dépenses, les devis de travaux ou les appels de fonds — qui permettent au conseil syndical d’exercer son rôle de contrôle. En la retirant, le syndic se soustrait à toute responsabilité financière en cas de manquement, ce qui prive les copropriétaires d’un levier de pression pourtant prévu par la loi.
Parallèlement, certains professionnels insèrent des annexes supplémentaires, non prévues dans le contrat type, pour justifier des frais additionnels. Ces annexes couvrent par exemple la gestion des comptes débiteurs, la mise à jour de l’état daté ou encore la facturation de courriers recommandés. Ces pratiques contournent les règles posées par la loi ALUR, qui plafonne strictement le coût de l’état daté à 380 € TTC. En ajoutant des « frais d’actualisation » ou de « traitement complémentaire », certains syndics multiplient artificiellement les lignes tarifaires.
Ces manipulations contractuelles ont des conséquences concrètes. En effet, elles brouillent la lecture du contrat, rendent les comparaisons entre syndics impossibles et créent un déséquilibre d’information au détriment des copropriétaires. Cette opacité structurelle contrevient directement à l’esprit du cadre réglementaire, dont la finalité est de garantir une gestion équitable, transparente et standardisée pour toutes les copropriétés.
Grands groupes ou indépendants : qui respecte le mieux la réglementation ?
Les grands groupes plus respectueux de la réglementation
L’enquête met en lumière une différence structurelle nette entre les syndics appartenant à de grands réseaux nationaux et les structures indépendantes. Les premiers affichent un taux de conformité nettement supérieur. En effet, 57% de leurs contrats respectent les obligations légales sans faute majeure. En moyenne, on y recense moins d’une irrégularité par contrat (0,81), preuve d’une meilleure maîtrise des exigences réglementaires.
Cette performance s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, la professionnalisation accrue de leurs services. Notons que les grands groupes disposent de services juridiques internes spécialisés dans le droit immobilier, capables d’interpréter rapidement les mises à jour législatives et d’ajuster les contrats en conséquence. Ensuite, ils appliquent des procédures internes standardisées, élaborées à partir de modèles validés par leurs sièges nationaux ou par des cabinets d’avocats partenaires. Ces modèles réduisent les marges d’erreur et garantissent une homogénéité des pratiques à l’échelle du réseau.
Par ailleurs, ces structures s’appuient sur des outils numériques performants pour la rédaction, le suivi et l’archivage des contrats. Ces logiciels détectent les anomalies de forme, automatisent la mise à jour des clauses et assurent une meilleure traçabilité documentaire. Ce degré d’organisation permet aux grands groupes d’appliquer plus strictement les textes légaux tout en réduisant les risques d’omission ou d’interprétation abusive.
Cabinets indépendants : des irrégularités plus fréquentes et plus variées
À l’inverse, les cabinets indépendants présentent une situation plus préoccupante. Avec un taux de non-conformité de 46% et une moyenne de 2,41 irrégularités distinctes par contrat, ces structures affichent une plus grande vulnérabilité face à la complexité du cadre réglementaire.
Les types d’infractions constatées sont variés :
- 41% de ces cabinets présentent des contrats avec honoraires indiqués uniquement en TTC, sans HT.
- 33% modifient des clauses types imposées par décret.
- 29% omettent de mentionner les éléments à rayer, comme les prestations optionnelles, pourtant obligatoires.
Dans certains cas, les cabinets cumulent jusqu’à 7 irrégularités dans un seul contrat. Ces écarts peuvent résulter d’un manque de formation, d’un défaut de veille juridique, ou d’une volonté de contourner certaines règles pour maximiser les revenus. Le faible encadrement dont ils font l’objet facilite ces dérives.
Ces chiffres rappellent la nécessité d’une régulation renforcée et d’un accompagnement adapté pour les petits professionnels. Sans cela, les copropriétaires restent exposés à des pratiques peu transparentes et à des risques juridiques accrus.

Prestations facturées ou incluses : comment les syndics contournent le contrat ?
Détournement des prestations de gestion courante
Le contrat type de syndic distingue clairement les prestations de gestion courante, incluses dans le forfait annuel, et les prestations exceptionnelles, pouvant être facturées en supplément. Cette distinction vise à garantir une lisibilité des coûts pour les copropriétaires. Pourtant, de nombreux syndics tentent de transférer des actes normalement inclus vers des prestations exceptionnelles, donc payantes.
Parmi les abus relevés, on trouve :
- Les réunions avec le conseil syndical, qui devraient faire partie intégrante du suivi normal.
- La mise en demeure d’un copropriétaire débiteur, pourtant liée à la gestion courante des impayés.
- Les déplacements pour constats sur sinistre, qui sont souvent facturés à l’heure, bien qu’indispensables à la bonne gestion de la copropriété.
Ce basculement induit une surfacturation. En outre, il contribue à alourdir artificiellement la facture globale du syndic, tout en rendant plus difficile la comparaison des offres. Cela va à l’encontre des objectifs de la loi ALUR, qui visait à normaliser les pratiques.
Des honoraires qui échappent à tout contrôle
Le coût moyen du contrat de syndic est de 193 € par lot. Toutefois, cette moyenne cache des écarts notables. Les grands groupes facturent en moyenne 200 € par lot, tandis que les cabinets indépendants se situent à 188 €.
Mais, l’écart le plus problématique concerne les vacations horaires. En théorie, le contrat de syndic type impose un seul coût horaire uniforme. En pratique, 39% des contrats étudiés appliquent plusieurs tarifs selon la nature de la tâche, l’heure ou l’intervenant. Or, l’article 7.2.1 du contrat type de syndic, défini par le décret n°2015-342 du 26 mars 2015, interdit explicitement cette différenciation. En effet, ce texte réglementaire, intégré en annexe 1 de l’arrêté ministériel du 2 juillet 2015, impose un tarif unique et connu à l’avance pour toute vacation horaire, quel que soit l’intervenant ou la nature de la tâche.
Ce non-respect engendre une grande confusion pour les copropriétaires. Difficile pour eux d’anticiper le coût réel des prestations exceptionnelles. En outre, certaines vacations atteignent 150 € de l’heure, bien au-delà de la moyenne sectorielle. Ces abus grèvent les budgets des copropriétés et affaiblissent la transparence. Face à ce constat, les associations de consommateurs réclament une redéfinition plus stricte des prestations exceptionnelles, accompagnée de contrôles accrus sur les pratiques tarifaires.
Régulation insuffisante : pourquoi les sanctions ne fonctionnent pas ?
Des sanctions peu dissuasives
Depuis l’ordonnance n°2019-1101 du 30 octobre 2019, les manquements au contrat de syndic type sont théoriquement passibles de sanctions. La DGCCRF est chargée d’en assurer le respect. Pourtant, les chiffres de contrôle révèlent un décalage frappant entre l’ampleur des infractions et les suites données.
Sur 457 syndics contrôlés entre 2021 et 2022, 313 étaient en situation d’irrégularité. Malgré cela, seulement :
- 2 amendes ont été effectivement prononcées.
- 150 injonctions ont été émises, sans sanction pécuniaire immédiate.
- 9 procès-verbaux pénaux ont été établis.
Ce faible niveau de sanction alimente un sentiment d’impunité. Il décourage les copropriétaires de signaler les abus, faute de perspectives de régulation réelle. Il encourage, par ailleurs, certains professionnels à continuer leurs pratiques déviantes.
L’appel à une régulation plus ferme du contrat de syndic
Face à ce constat, la CLCV propose une série de mesures concrètes pour renforcer l’efficacité du cadre réglementaire et rétablir un fonctionnement plus équilibré du marché de la gestion immobilière :
La création d’une Commission de contrôle indépendante des professionnels de l’immobilier
Cette instance, réclamée depuis plus de dix ans, aurait pour mission de superviser les pratiques des syndics, d’enquêter sur les irrégularités contractuelles et de prononcer des sanctions administratives. Elle agirait sur le modèle de l’Autorité de la concurrence ou de la CNIL, avec un pouvoir de contrôle, d’audit et de publication de rapports annuels. Une telle structure permettrait d’assurer un suivi régulier et impartial des comportements professionnels.
Le rétablissement du plafonnement des frais de recouvrement, supprimé en 2019
Ce plafonnement limitait les montants facturés aux copropriétaires en cas d’impayés. Depuis sa suppression, certains syndics appliquent des honoraires disproportionnés pour le traitement des dettes, pouvant atteindre plusieurs centaines d’euros. Le retour d’un plafond légal rétablirait alors l’équité et éviterait des charges supplémentaires injustifiées pour les copropriétés.
L’obligation d’inclure une réunion annuelle du conseil syndical dans le forfait de base
Actuellement, certaines réunions sont facturées comme prestations exceptionnelles, alors qu’elles constituent un moment essentiel de la gouvernance d’immeuble. En rendant cette rencontre obligatoire et incluse dans les honoraires de base, la CLCV souhaite renforcer la collaboration et la transparence entre syndic et conseil syndical. Cette mesure favoriserait une meilleure circulation de l’information et une gestion plus participative.
Ces propositions visent à rétablir un équilibre contractuel entre les copropriétaires et les professionnels. Elles renforceraient la transparence tarifaire, la confiance dans les contrats signés et la conformité aux exigences légales. Une mise en œuvre rapide de ces dispositifs constituerait un signal fort de modernisation et de protection pour les 10 millions de logements en copropriété en France.

