Lors de la 26? session des Conférences qui pensent, Olivier Chavaren a reçu Olivier Lendrevie, fondateur de MoneySmart et professeur à HEC. Expert du crédit immobilier, il a partagé son analyse sur l’évolution des taux d’intérêt et leurs conséquences sur le marché immobilier. Après une hausse spectaculaire entre 2022 et 2024, de nombreux emprunteurs et investisseurs se demandent comment les taux de crédit immobilier vont évoluer en 2025. Quels sont les facteurs qui influencent ces taux ? Comment anticiper les décisions des banques et adapter sa stratégie d’achat ? Cet article décrypte les mécanismes des taux d’intérêt et leurs perspectives pour l’année à venir.
Sommaire :
- L’explosion des taux de crédit immobilier : un choc inédit depuis 20 ans
- Les facteurs clés qui influencent les taux de crédit immobilier en 2025
- Les prévisions pour 2025 : quel scénario pour les emprunteurs ?
- Stratégies pour bien emprunter en 2025
- Faut-il reporter son achat immobilier ou investir dès maintenant ?
L’explosion des taux de crédit immobilier : un choc inédit depuis 20 ans
Depuis 2022, la France connaît une hausse historique des taux de crédit immobilier. En l’espace de deux ans, les taux sont passés d’une moyenne de 1 % début 2022 à plus de 4 % en 2024, marquant un tournant majeur pour les emprunteurs et le marché immobilier dans son ensemble.
Une augmentation brutale aux conséquences majeures
Olivier Lendrevie, expert du crédit immobilier et fondateur de MoneySmart, rappelle que cette hausse soudaine des taux n’a “jamais été observée dans l’histoire moderne du marché immobilier français”. Or, cette remontée, d’une ampleur inédite, a eu des effets immédiats sur le marché :
- Une baisse de la capacité d’emprunt des ménages. Par exemple, un ménage qui pouvait emprunter 300 000 € à 1 % en 2021 ne peut plus obtenir que 230 000 € à 4 % en 2024.
- Une chute des volumes de crédit, passant de 20 milliards d’euros par mois en 2021 à seulement 7-8 milliards en 2024, selon les données de la Banque de France.
- Un ralentissement des transactions immobilières, avec une baisse moyenne de 20 % du nombre de ventes en un an, notamment dans les grandes villes comme Paris, Lyon et Bordeaux.
“Le marché immobilier français fonctionne en grande partie grâce au crédit. Quand les taux explosent, les acheteurs disparaissent et le marché se fige”, analyse Olivier Lendrevie.
Pourquoi les taux ont-ils autant augmenté ?
Deux causes principales expliquent cette hausse spectaculaire :
Lutte contre l’inflation et politique monétaire de la BCE
Face à une inflation galopante dépassant les 6 % en 2022, la Banque centrale européenne (BCE) a relevé ses taux directeurs de manière agressive. Ainsi, ils sont passés de 0 % en janvier 2022 à 4,5 % en septembre 2023. L’objectif était alors de ralentir la consommation et de stabiliser les prix.
Méfiance des investisseurs face à la dette française
Avec une dette publique dépassant 110 % du PIB, les investisseurs internationaux exigent des taux plus élevés pour prêter à la France. Or, cette situation a un impact direct sur le refinancement des banques, qui répercutent ces coûts sur les crédits immobiliers. Puisque cela oblige les banques françaises à proposer des taux de crédit plus élevés pour maintenir leurs marges et attirer des investisseurs.
“Quand l’État français paie cher pour emprunter, les banques doivent aussi offrir des rendements plus élevés. C’est mécanique”, explique Olivier Lendrevie.
Les facteurs clés qui influencent les taux de crédit en 2025
L’évolution des taux en 2025 dépendra de plusieurs éléments économiques et financiers majeurs.
La politique de la Banque centrale européenne (BCE)
Depuis juin 2024, la BCE a amorcé une baisse prudente de ses taux directeurs. Si cette tendance se poursuit, les taux de crédit pourraient légèrement baisser. Cependant, Olivier Lendrevie avertit : “Si l’inflation repart à la hausse, la BCE n’hésitera pas à stopper ou ralentir la baisse de ses taux”.
Contrairement à une idée reçue, les banques ne financent pas directement leurs crédits auprès de la BCE à ses taux directeurs. En réalité, elles se refinancent sur les marchés financiers, où les taux sont déterminés par l’offre et la demande d’investisseurs institutionnels.
Le rôle des obligations d’État
En effet, les banques empruntent elles-mêmes sur les marchés pour financer les crédits qu’elles accordent. Elles doivent donc proposer des taux compétitifs par rapport aux obligations d’État. À titre d’exemple, le groupe BPCE a récemment émis des obligations à 7 ans avec un coupon de 3 %. Ce qui montre que les banques doivent payer un coût élevé pour obtenir des fonds.
“Les banques ne peuvent pas prêter à 2,5 % si elles empruntent elles-mêmes à 3 %. Cela n’aurait aucun sens économiquement”, rappelle Olivier Lendrevie.
La situation économique et la dette publique française
Le poids de la dette publique française continue d’inquiéter les marchés. La France emprunte aujourd’hui sur les marchés financiers à un taux de 3,27 % pour une obligation à 10 ans, contre seulement 0,5 % en 2021. Tant que cette situation perdurera, les banques resteront prudentes et les taux de crédit auront du mal à baisser fortement.
Un effondrement du crédit et des transactions
Le lien entre l’augmentation des taux et la chute de la production de crédit immobilier est direct. En 2021, les banques octroyaient environ 20 milliards d’euros de crédits immobiliers par mois. Aujourd’hui, ce chiffre est tombé à 7-8 milliards d’euros par mois, soit une division par trois.
Cette chute des crédits a entraîné un blocage du marché immobilier :
- Baisse du volume des transactions (-20 % en un an)
- Retrait des primo-accédants
- Stagnation des prix de l’immobilier, voire baisse dans certaines grandes villes (-13 % à Paris, -10 % à Lyon)
“Le vrai prix d’un bien immobilier n’est pas seulement son prix d’achat, mais ce que l’acheteur doit payer chaque mois à la banque. Avec des taux élevés, les mensualités deviennent trop lourdes pour de nombreux ménages.”, souligne Olivier Lendrevie.
Depuis le pic de 2022, les prix immobiliers ont chuté de 13 % à Paris et 10 % à Lyon. Cette baisse, combinée à une remontée des salaires de 11 % en trois ans, permet une légère amélioration du pouvoir d’achat immobilier malgré des taux élevés.
Les prévisions pour 2025 : quel scénario pour les emprunteurs ?
Selon Olivier Lendrevie, deux scénarios sont envisageables pour l’année 2025.
Le facteur décisif sera la gestion de la dette publique française. “Si la confiance des investisseurs se dégrade, les taux ne baisseront pas, voire remonteront”, alerte l’expert. Ainsi, un retour rapide à des taux à 2 % est très peu probable. Les emprunteurs doivent donc s’adapter à une nouvelle normalité autour de 3,5 %.
“Le scénario d’une forte baisse des taux est aujourd’hui peu probable. Les incertitudes économiques et politiques freinent une détente rapide des taux, et la France reste sous surveillance des investisseurs.”, estime Olivier Lendrevie.
Stratégies pour bien emprunter en 2025
Dans un contexte de taux élevés, emprunter intelligemment devient crucial.
Optimiser son apport personnel
Les banques privilégient désormais les dossiers avec au moins 20 % d’apport personnel. Un apport plus élevé permet de réduire le coût total du crédit et d’obtenir un meilleur taux.
Négocier avec plusieurs banques et courtiers
Avec des taux en fluctuation, comparer les offres bancaires est essentiel. Un courtier peut négocier une réduction de 0,2 % à 0,5 %. Ce qui représente plusieurs milliers d’euros d’économies sur la durée du prêt.
Adapter la durée du prêt
Un prêt sur 15 ans offre un taux plus bas, mais des mensualités plus élevées. À l’inverse, un prêt sur 25 ans permet d’alléger les mensualités, mais augmente le coût total du crédit.
Faut-il reporter son achat immobilier ou investir dès maintenant ?
La décision de reporter un projet d’achat immobilier dépend avant tout du profil et des objectifs de chaque acquéreur. Certains pourraient être tentés d’attendre une éventuelle baisse des taux, espérant ainsi bénéficier de conditions plus favorables.
Cependant, Olivier Lendrevie met en garde contre cette stratégie, soulignant que patienter pourrait s’avérer être un pari risqué. En effet, les prix de l’immobilier ont déjà reculé dans plusieurs grandes villes, créant des opportunités intéressantes pour ceux qui souhaitent investir dès maintenant. De plus, la baisse des taux, si elle se produit, risque d’être progressive et bien plus lente que prévu, ce qui pourrait rendre l’attente inutile. Par ailleurs, un retour progressif des acheteurs sur le marché pourrait entraîner une remontée des prix, réduisant ainsi l’impact d’une éventuelle diminution des taux d’intérêt.
Le choix d’acheter ou d’attendre varie également en fonction du type d’acquéreur. Pour les primo-accédants, l’élargissement du prêt à taux zéro (PTZ) en 2025 constitue une occasion à saisir, facilitant l’accession à la propriété. De leur côté, les investisseurs locatifs profitent déjà de la baisse des prix pour identifier des biens à fort potentiel, notamment dans des secteurs où les rendements restent attractifs. En revanche, ceux qui repoussent leur projet en misant sur une forte baisse des taux doivent garder à l’esprit que cette hypothèse reste très incertaine. Il vaut mieux considérer l’ensemble des paramètres actuels du marché plutôt que de baser sa décision uniquement sur une anticipation des taux.
“Mieux vaut acheter avec une bonne négociation du prix, plutôt que d’attendre un taux hypothétique qui ne viendra peut-être jamais”, conclut Olivier Lendrevie.
Conclusion
Les taux de crédit immobilier restent un enjeu central en 2025. Une baisse modérée est possible, mais plusieurs incertitudes économiques pourraient freiner cette tendance. L’année 2025 ne marquera sans doute pas un retour aux taux bas de 2021, mais une stabilisation autour de 3,2 % – 3,7 % semble envisageable. Dans ce contexte, les acheteurs doivent adapter leur stratégie en misant sur l’apport personnel, la négociation et le choix du bon financement.