Malgré la loi « Alur » de 2014 et le dispositif d’encadrement des loyers instauré par la loi ELAN en 2018, les abus persistent. Dans une question écrite au ministère du Logement, le député, Gérard Leseul, met en lumière un problème préoccupant. En effet, des propriétaires contournent la réglementation grâce à des baux de résidence secondaire ou d’autres stratagèmes, gonflant ainsi les loyers au-delà des plafonds. À Paris, près de 28% des annonces immobilières dépassent les montants autorisés. Cette situation interroge sur l’efficacité des contrôles, les moyens de signalement et les sanctions réellement appliquées pour protéger les locataires.
Sommaire :
- Encadrement des loyers : pourquoi le dispositif reste fragile ?
- Quels moyens pour faire respecter l’encadrement des loyers ?
- Vers une application plus stricte en 2025 ?
Encadrement des loyers : pourquoi le dispositif reste fragile ?
Les objectifs initiaux de la loi Alur et de la loi ELAN
L’encadrement des loyers a été instauré afin de protéger les locataires dans les zones où la tension immobilière est forte. Ainsi les logements concernés se situent dans des zones tendues définies par décret, comme Paris et certaines villes de la petite couronne.
La loi Alur (n° 2014-366 du 24 mars 2014) visait à limiter les hausses abusives et à rendre les loyers plus transparents. Quant à la loi ELAN (n° 2018-1021 du 23 novembre 2018), elle a relancé le dispositif en tant qu’expérimentation, notamment à Paris, avec des loyers de référence calculés selon la localisation, le type de logement et l’époque de construction.
Le député Gérard Leseul résume ainsi la problématique : « L’application de l’encadrement est largement contournée, grâce à des combines facilement accessibles au grand public ».
Des chiffres qui montrent un contournement persistant
En 2022, 28% des nouveaux baux à Paris dépassaient le plafond légal, contre 30% en 2020 et environ 21 à 26% entre 2015 et 2017. Les associations comme la CLCV dénoncent un manque de moyens de contrôle.
Le député ajoute : « Rien qu’à Paris, ce sont 42% des annonces de logement qui dépassent les plafonds fixés ».

Les pratiques frauduleuses les plus répandues
Malgré la clarté des plafonds fixés par l’encadrement des loyers, certains bailleurs déploient des stratégies pour en contourner l’application. Parmi les plus observées, quatre techniques se distinguent.
Le bail de résidence secondaire
C’est la faille la plus exploitée. Un bail de résidence secondaire n’est pas soumis aux plafonds réglementaires. Parce que la loi considère que le locataire occupe déjà un autre logement principal. Certains propriétaires imposent donc ce type de contrat, même si le locataire vit dans le logement à l’année. Dès lors, cette manœuvre permet de fixer librement le loyer. Et, parfois 20 à 40% au-dessus du plafond légal. Or, cette pratique peut être contestée si le locataire prouve qu’il occupe le bien comme sa résidence principale (article 2 de la loi du 6 juillet 1989).
Les compléments de loyer abusifs
La loi autorise un complément uniquement si le logement présente des caractéristiques de localisation ou de confort réellement exceptionnelles, qui ne sont pas prises en compte dans le loyer de référence. En pratique, certains bailleurs ajoutent des suppléments pour des équipements courants comme un balcon, un lave-vaisselle ou une salle de bain rénovée, ce qui est illégal. La CLCV a d’ailleurs relevé que dans plus de la moitié des cas étudiés, ces compléments ne reposaient sur aucun critère objectif.
La division artificielle des biens
Cette méthode consiste à fractionner un logement en plusieurs petites unités afin de contourner la grille des loyers de référence applicable aux surfaces plus grandes. Par exemple, un appartement de 50 m² est divisé en deux studios de 25 m², chacun étant loué à un prix au mètre carré bien supérieur au plafond. Cette technique peut aussi avoir des conséquences sur la sécurité et la salubrité des logements. Elle tombe alors sous le coup du Code de la construction et de l’habitation.
Les annonces incomplètes ou mensongères
La réglementation impose que chaque annonce mentionne la zone soumise à encadrement, le loyer de référence, le loyer majoré et le montant du complément éventuel (article L. 113-3 du Code de la consommation). Or, la DGCCRF constate chaque année que de nombreuses annonces omettent ces informations. L’absence de données empêche le locataire potentiel de vérifier la conformité du loyer avant de visiter. Dans certains cas, les annonces publiées en ligne affichent un loyer « charges comprises » sans préciser la ventilation, ce qui complique encore le contrôle.
Ces pratiques, souvent tolérées par manque de contrôle systématique, participent à la fragilisation du dispositif. Ce qui explique en grande partie pourquoi le taux de dépassement reste élevé, même plusieurs années après la mise en place de l’encadrement des loyers.
Quels moyens pour faire respecter l’encadrement des loyers ?
Les recours à disposition des locataires
Lorsqu’un loyer dépasse le plafond fixé par l’encadrement des loyers, le locataire dispose de plusieurs outils juridiques pour faire valoir ses droits. Ces recours sont prévus par l’article 140 de la loi ELAN et s’appliquent dès la signature du bail ou lors de son renouvellement.
La Commission départementale de conciliation (CDC)
La première étape, souvent recommandée, est la saisine de la CDC. Cette instance gratuite et accessible à tous réunit, en nombre égal, des représentants de propriétaires et de locataires. Son rôle est d’examiner le dossier, d’entendre les arguments de chaque partie et de proposer une solution amiable. Le locataire doit alors saisir la CDC dans les trois mois suivant la signature du bail ou sa reconduction.
Le tribunal judiciaire
En cas d’échec devant la CDC ou si le locataire préfère saisir directement la justice, le tribunal judiciaire est compétent. Cette procédure peut être engagée :
- pour obtenir la réduction du loyer au montant légal,
- pour exiger le remboursement du trop-perçu sur les loyers passés,
- et, le cas échéant, pour faire annuler un complément de loyer abusif.
La décision du juge s’impose au propriétaire et peut être assortie de pénalités en cas de refus d’exécution. Dans certains cas, le juge peut également ordonner la modification du bail.
Le rôle des dispositifs en ligne
De nombreuses collectivités, comme la Ville de Paris, proposent des simulateurs permettant de vérifier en quelques clics si un loyer respecte l’encadrement. Certaines vont plus loin en intégrant un formulaire de signalement en ligne pour dénoncer les dépassements. Dès lors, ces signalements peuvent déclencher un contrôle par les services préfectoraux ou municipaux, sans que le locataire ait besoin d’engager une action en justice.
Toutefois, ces recours, bien que prévus par la loi, restent encore trop peu utilisés. Le plus souvent par méconnaissance des droits ou par crainte d’un conflit avec le bailleur. C’est pourquoi le ministère du Logement insiste sur la nécessité de mieux informer les locataires pour qu’ils deviennent des acteurs de la régulation du marché.
Les sanctions administratives et financières prévues
Lorsque l’encadrement des loyers n’est pas respecté, la loi ELAN a prévu un arsenal répressif destiné à contraindre les bailleurs à se conformer à la réglementation. Ces sanctions sont inscrites à l’article VII de l’article 140 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018. Elles peuvent s’appliquer sans qu’il soit nécessaire de passer par la Commission départementale de conciliation.
Les amendes maximales prévues par la loi
- Jusqu’à 5 000 € pour une personne physique (propriétaire particulier).
- Jusqu’à 15 000 € pour une personne morale (agence immobilière, société civile immobilière, organisme de gestion).
À ces montants s’ajoutent l’obligation de rembourser les sommes indûment perçues depuis le début du bail. Concrètement, un propriétaire ayant perçu 200 € par mois en trop pendant 12 mois devra restituer 2 400 € au locataire, en plus de l’amende administrative.
La mise en demeure préalable
Avant de sanctionner, le préfet ou la collectivité compétente adresse une mise en demeure au bailleur. Cette lettre précise : le montant du loyer constaté, le montant du loyer maximal légal ainsi que l’obligation de régulariser le contrat et de restituer le trop-perçu dans un délai fixé (généralement 1 à 2 mois). Si le bailleur ne se conforme pas à cette demande dans les délais, l’amende est prononcée.
Les actions de contrôle de la DGCCRF
Les agents vérifient l’affichage :
- Zone soumise à encadrement.
- Loyer de référence et loyer majoré.
- Compléments éventuels.
À cet effet, l’article L.131-1 du Code de la consommation prévoit aussi des amendes pour les annonces immobilières non conformes (3 000 € pour une personne physique, 15 000 € pour une personne morale). Cela sanctionne le loyer pratiqué, mais aussi les informations trompeuses ou incomplètes diffusées au public. Les locataires peuvent également signaler une annonce non conforme ou un abus via la plateforme officielle signal.conso.gouv.fr.
Vers une application plus stricte en 2025 ?
En février 2025, deux économistes et des inspections générales ont été mandatés pour évaluer l’encadrement des loyers. Le rapport attendu fin 2025 analysera l’effet sur les loyers, l’offre et les contournements.
Les pistes d’amélioration envisagées :
- Automatiser les contrôles sur les plateformes d’annonces.
- Rendre les sanctions plus rapides et plus dissuasives.
- Simplifier la contestation pour les locataires.
- Étendre l’encadrement à d’autres villes en tension.
- Obliger les agences à valider la conformité du loyer avant mise en location.
?Ces mesures, si elles sont mises en œuvre efficacement, pourraient marquer un tournant décisif dans la lutte contre les abus et redonner à l’encadrement des loyers toute sa portée initiale.