En mars 2025, l’Agence Nationale pour l’Information sur le Logement (ANIL) publie une étude alarmante sur l’accession à la propriété. Alors que 57 % des ménages sont propriétaires de leur résidence principale, la stabilité du chiffre masque une réalité plus sombre. Entre flambée des taux d’intérêt, chute de la production de crédits et baisse de la construction neuve, les primo-accédants peinent à franchir le cap de l’achat. Dans ce contexte, l’étude s’appuie sur les données des ADIL, des outils financiers comme ImmOpera, ainsi que sur des entretiens bancaires pour éclairer les leviers encore mobilisables. L’enjeu ? Comprendre comment les dispositifs comme le Prêt à Taux Zéro (PTZ), les aides locales et les innovations bancaires peuvent encore jouer un rôle face à une crise structurelle de l’accession à la propriété. Les réponses existent, mais sont-elles à la hauteur ?
Sommaire :
- Une chute historique de l’accession à la propriété
- Primo-accédants : profil, freins et leviers
- Le rôle central, mais affaibli du Prêt à Taux Zéro
- Dispositifs publics et privés : quelles solutions pour demain ?
- Conclusion : repenser en profondeur l’accession à la propriété
Une chute historique de l’accession à la propriété
La crise des taux et du crédit immobilier
Depuis 2022, le marché du crédit immobilier connaît une contraction brutale. Le volume de prêts accordés a chuté à son plus bas niveau depuis 15 ans. Selon l’étude publiée par l’ANIL en mars 2025, la production de crédits a été divisée par deux entre 2021 et 2024.
En 2024, 67 % des prêts accordés pour l’accession à la propriété ont des durées de 20 à 25 ans, contre 53 % en 2019. Or, cette situation traduit un effort croissant des ménages pour étaler leur dette face à la hausse des taux.
« Le marché est grippé. L’inflation, l’incertitude politique et économique, et la disparition de certains dispositifs publics ont asséché l’offre de crédit », analyse Erwan Lefay, co-auteur de l’étude.
Le marché immobilier sous tension
Le ralentissement touche aussi le volume des transactions. En Île-de-France, les prix des logements anciens ont baissé de 7,4 % en cinq ans. Mais, cela ne suffit pas à compenser la hausse des taux. Ainsi, un couple qui pouvait acheter un bien à 250 000 € en 2022 avec 2 700 € de revenus a besoin de 3 500 € aujourd’hui pour le même projet, selon les simulations AdilPrimo.
Primo-accédants : profil, freins et leviers
Un public jeune, salarié, mais financièrement fragilisé
Par ailleurs, l’étude révèle que 98 % des projets accompagnés par les ADIL en 2024 concernent des primo-accédants. Ils sont jeunes (52 % ont moins de 35 ans), majoritairement locataires (79 %) et souvent sans apport significatif (17 % n’ont aucun apport).
« Le public des ADIL est un miroir de la France des classes moyennes : des salariés précaires ou modestes qui ne peuvent plus concrétiser leur projet d’achat sans soutien », souligne Odile Dubois-Joye, co-autrice de l’étude.

L’ancien privilégié face à la crise du neuf
En 2024, 65 % des projets portent sur un logement ancien, contre 25 % dans le neuf. Ce choix s’explique par l’inflation dans la construction, la pénurie d’offres et le recentrage du PTZ. En effet, le prix moyen dans l’ancien (142 358 €) reste plus abordable que dans le neuf (194 104 €), bien que 37 % de ces logements nécessitent des travaux.
Le rôle central, mais affaibli du Prêt à Taux Zéro
Le PTZ est intégré à 43 % des plans de financement étudiés en ADIL. Mais, il était encore mobilisé à 49 % en 2022. La baisse est due aux restrictions du dispositif. Pour autant, son effet sur la solvabilité demeure crucial.
Une réforme pour mieux répondre aux besoins
À partir du 1er avril 2024, le nouveau PTZ permet aux ménages des classes moyennes d’augmenter leur budget de 20 à 25 % selon les zones. En zone A, un couple avec enfant gagnant 3 500 € peut désormais accéder à un bien de 300 000 € avec PTZ, contre 245 000 € sans.
« Le PTZ retrouve son effet solvabilisateur grâce à la remontée des taux, mais sa portée reste limitée géographiquement. »
Dispositifs publics et privés : quelles solutions pour demain ?
Un désengagement progressif de l’État
L’étude rappelle la suppression de l’APL accession en 2020, qui a privé de nombreux ménages modestes d’un complément décisif. Le taux d’usure, mal ajusté à la hausse des taux, a bloqué temporairement l’accès au crédit en 2022-2023. De plus, les critères du Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) – taux d’endettement maximal de 35 % et durée de prêt limitée – ont réduit les marges de manœuvre des banques.
Des solutions innovantes, mais peu répandues
Face à la contraction du crédit et à l’érosion des aides classiques, plusieurs dispositifs d’accession à la propriété dits « alternatifs » ont émergé ou se sont renforcés. Leur point commun : offrir une réponse à des ménages exclus des circuits bancaires traditionnels, via des mécanismes plus souples, progressifs ou solidaires. Pourtant, malgré leur potentiel, ces solutions restent marginales, en raison d’un manque de visibilité, de complexité juridique ou d’une mise en œuvre limitée à certains territoires.
La location-accession (PSLA) : acheter en deux temps
Le Prêt Social Location-Accession (PSLA) est l’un des outils les plus structurants de l’accession progressive. Créé en 2004, il permet à un ménage de devenir propriétaire en deux étapes. C’est-à-dire une première phase locative avec épargne intégrée, suivie d’un transfert de propriété. Toutefois, ce dispositif est accessible sous conditions de ressources. Notons qu’il ouvre droit à la TVA à 5,5 %, ainsi qu’à l’exonération de taxe foncière pendant 15 ans.
« Le PSLA répond parfaitement aux besoins de sécurisation des primo-accédants modestes, mais reste sous-utilisé en raison du faible nombre d’opérateurs proposant ce modèle », indique l’ANIL.
En effet, en 2023, moins de 5 % des logements neufs aidés ont été commercialisés en PSLA. L’offre est concentrée dans les grandes agglomérations, en particulier dans le Nord, la Gironde ou l’Île-de-France.
Le Bail Réel Solidaire (BRS) : dissocier le foncier du bâti
Introduit par la loi ALUR et généralisé en 2017, le Bail Réel Solidaire repose sur un principe simple. L’accédant achète uniquement le bâti, tandis que le foncier reste la propriété d’un Organisme de Foncier Solidaire (OFS). Le ménage paie alors une redevance foncière mensuelle, mais bénéficie d’un prix d’achat réduit de 15 à 30 %.
En 2023, 1 450 PTZ ont été associés à un BRS, soit une progression de +200 % en un an. Le BRS est donc en pleine expansion, bien que son développement reste inégal selon les régions. Il séduit les zones tendues, où le foncier représente une part disproportionnée du coût total d’un logement. En cela, le BRS constitue aussi un rempart contre la spéculation. Puisque la revente est encadrée et la plus-value plafonnée.
La SCI d’Accession Progressive (SCI APP) : l’achat par étapes
Peu connue, la Société Civile Immobilière d’Accession Progressive (SCI APP), encadrée depuis 2014, permet à plusieurs ménages d’acquérir progressivement les parts sociales d’un logement qu’ils occupent. Ce dispositif est particulièrement adapté aux personnes exclues du crédit bancaire, comme les travailleurs précaires ou les bénéficiaires du RSA.
Ce modèle favorise la mutualisation des risques et l’épargne progressive. Il reste cependant marginal en France. Puisque seuls quelques projets pilotes ont vu le jour, notamment à Marseille, Lille ou en Ardèche. Le cadre juridique complexe et l’implication nécessaire de structures associatives ou coopératives freinent son développement.
Habitat participatif : un modèle encore en gestation
L’habitat participatif, encadré par la loi ALUR, repose sur une gouvernance collective. Les habitants conçoivent, financent et gèrent ensemble leur lieu de vie, souvent via des coopératives. Le modèle promeut l’usage plutôt que la propriété spéculative. Il permet de réduire les coûts par la mutualisation, et favorise la mixité sociale.
Mais, ce modèle peine à s’imposer. Le montage juridique (coopérative, SAS, SCI) reste complexe. La plupart des projets sont soutenus par des collectivités (notamment à Strasbourg, Grenoble, Montpellier), mais leur nombre reste limité. Ainsi, on compte moins d’une centaine de réalisations concrètes à ce jour.
Des aides locales encore trop hétérogènes
Les collectivités territoriales tentent aussi d’innover. Certaines proposent des subventions directes à l’accession à la propriété, des bonifications de taux ou des aides pour l’achat dans le parc HLM. Par exemple, la ville de Toulouse propose une prime de 6 000 € pour les jeunes ménages achetant dans le neuf. D’autres, comme la métropole de Lyon, soutiennent des programmes en BRS ou en PSLA.
Toutefois, l’étude de l’ANIL montre une grande hétérogénéité des dispositifs : « La lisibilité des aides locales est trop faible, et leur articulation avec les dispositifs nationaux reste insuffisante. »
Conclusion : repenser en profondeur l’accession à la propriété
L’annonce d’une extension du Prêt à Taux Zéro à tout le territoire entre 2025 et 2027, saluée comme un signal positif, ne peut à elle seule enrayer la spirale de l’exclusion de l’accession à la propriété. Comme le souligne l’ANIL, cette mesure devra s’accompagner d’une refonte globale du système d’aides. Aujourd’hui, les dispositifs publics sont trop fragmentés, souvent trop techniques, et inégalement répartis selon les territoires. Or, cette complexité administrative freine les ménages modestes, qui peinent à naviguer entre le PTZ, le PSLA, le BRS, ou encore les aides locales.
Dans le même temps, l’implication des banques reste déterminante. Elles sont trop souvent frileuses face à des profils pourtant solvables, mais atypiques (CDD, indépendants, familles monoparentales). En outre, elles doivent adapter leur approche à une société en mutation. Ainsi, un recentrage sur les besoins concrets des accédants est nécessaire, avec des critères plus souples, des accompagnements renforcés, et des produits innovants.
Enfin, la coordination entre les collectivités locales et l’État devra être renforcée pour garantir une politique cohérente. Harmoniser les aides, simplifier les démarches et massifier les projets d’accession sociale sont autant de leviers à activer. Parce que derrière les indicateurs économiques se cachent des réalités humaines : jeunes ménages repoussant leur premier achat, classes moyennes reléguées dans le parc locatif, familles contraintes de renoncer à un projet de vie.
Redonner un souffle à l’accession à la propriété, c’est garantir à chacun une place durable dans le parcours résidentiel. L’enjeu est autant économique que social. Et, il nécessite une mobilisation collective, publique et privée, pour relever le défi de la décennie.