Un projet de loi déposé à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 novembre 2010 par M. François Asensi, député de Seine-Saint-Denis et Maire de Tremblay-en-France, vise à lutter contre les discriminations territoriales pénalisant les habitants des villes populaires.
Au cours de ces dernières années, des travaux de recherche se sont penchés sur les discriminations dont pâtissent les habitants des quartiers populaires en renouvelant leur angle d’approche. Les auteurs se sont intéressés à l’existence de « discriminations par l’adresse ».
Les conclusions de ces études (1) démontrent invariablement que les citoyens résidant dans les villes populaires encourent des discriminations à raison de leur seul lieu de résidence, notamment dans le domaine de l’emploi. Selon la DARES*, un jeune qualifié résidant dans une commune réputée défavorisée a une chance de décrocher un emploi de 6 points inférieure aux autres diplômés (2).
La dénomination improprement utilisée de « quartiers sensibles » ou « quartiers difficiles » stigmatise les habitants qui en retour ne bénéficient pas des mêmes droits et des mêmes chances que l’ensemble des citoyens. Le mouvement social et les associations de quartiers se mobilisent. Plus récemment les villes populaires se sont rassemblées pour refuser la stigmatisation dont elles sont parfois victimes et pour dénoncer leur manque de ressources. Dans une démarche inédite, de nombreuses municipalités ont ainsi crée l’Académie des banlieues, association dont le but est de valoriser la richesse des quartiers populaires, de dénoncer les idées reçues et le mépris visant parfois certains d’entre eux.
Une fiscalité locale inégalitaire
Les collectivités territoriales accueillant les populations les plus paupérisées sont celles qui disposent des ressources les plus faibles, en raison de l’organisation fiscale inégalitaire promue par l’État. Les habitants de Sevran ou de Clichy-sous-Bois continueront à payer plus d’impôts locaux que les riches habitants de Neuilly ou de Puteaux.
Des crédits inférieurs consacrés aux services de l’État et aux services publics situés dans les quartiers populaires
Les caisses d’allocations familiales n’ont plus les moyens humains et matériels d’absorber les demandes, les agences postales se déshumanisent ou voient leurs files d’attente s’allonger, les agences Pôle emploi sont saturées. Des services publics aussi fondamentaux que l’état civil n’assurent plus leurs missions régaliennes de manière satisfaisante. En Seine-Saint-Denis, le délai de délivrance de la carte d’identité est six fois supérieur au délai dans la capitale. Ces discriminations territoriales s’immiscent dans la plupart des politiques publiques, tout particulièrement l’aménagement du territoire et les transports.
Dans sa délibération du 22 février 2010, la Halde a reconnu l’existence de discriminations territoriales, en réponse à la saisine de la ville de La Courneuve. Plusieurs départements se sont engagés dans ce même mouvement, en réclamant à l’État les crédits dus à des transferts de charges non compensés. L’organisme en charge de la lutte contre les discriminations s’est dit favorable à la reconnaissance de la notion de « discrimination territoriale » dans la loi et dans l’évaluation des politiques publiques.
La présente proposition de loi vise à traduire ces recommandations dans le domaine législatif, en inscrivant la répression de la discrimination territoriale dans le domaine pénal et en prohibant toute discrimination tenant au lieu d’habitation ou de résidence dans le code du travail.
L’article 1er reconnaît dans le code pénal un nouveau motif de discrimination, lié au lieu d’habitation ou de résidence. La discrimination concerne les actes commis par des personnes physiques ou morales.
Selon l’article 2, les discriminations liées au lieu d’habitation ou de résidence ne tombent pas sous le coup de la présente loi lorsqu’elles répondent à un motif conforme à l’intérêt général.
L’article 3 intègre cette discrimination dans la loi de transposition de la directive communautaire relative à la lutte contre les discriminations.
L’article 4 autorise les associations luttant contre les discriminations liées au lieu d’habitation ou de résidence à se porter parties civiles devant les juridictions pénales.
L’article 5 vise à prohiber les discriminations liées au lieu d’habitation ou de résidence sur le marché de l’emploi.
L’article 6 permet d’apprécier « l’offre économiquement la plus avantageuse » au regard du respect des dispositions pénales prohibant les discriminations territoriales, en l’intégrant parmi les critères d’attribution des marchés publics.
(1) Les effets du lieu de résidence sur l’accès à l’emploi : une expérience contrôlée sur des jeunes qualifiés en Île-de-France, Centre d’études de l’emploi, juillet 2010 ; L’Emploi des jeunes des quartiers populaires, Conseil économique et social, 2008 ; Discriminations à l’embauche. Un testing sur les jeunes des banlieues d’Île-de-France, Centre d’analyse stratégique, 2007.
(2) Les facteurs de discrimination à l’embauche pour les serveurs en Île-de-France, DARES, Premières synthèses n°40.1, septembre 2009.
* La Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES)
Source : www.assemblee-nationale.fr