La conférence annuelle de la Chaire Immobilier et Développement durable de l’ESSEC Business School sur le thème « L’immobilier partagé : nouveaux usages, nouvelles opportunités » a été l’occasion pour les acteurs de l’immobilier réunis de réfléchir aux formes d’implication possibles d’usages partagés de l’immeuble et de la ville, réponse d’avenir aux enjeux de durabilité.
Le concept d’« immeuble partagé » intervient lorsque les surfaces sont partagées entre différents utilisateurs dans l’espace. C’est l’enjeu de la mixité des immeubles et de la cohabitation des différentes fonctions en son sein ou également dans le temps, permettant une rotation des activités sur une même surface. La mutualisation des espaces est au cœur du débat.
« Ces problématiques se posent à plusieurs échelles territoriales : celle de l’immeuble, mais aussi du quartier et de la ville elle-même. Les avantages de tels processus semblent nombreux : pour rejoindre les impératifs de la ville durable, il s’agit aujourd’hui de mutualiser les ressources, qui sont rares, d’optimiser les surfaces existantes et de construire la ville sur la ville en prenant en compte la contrainte foncière. Il s’agit également de tenir compte de l’arrivée de la génération Y, hyper connectée et hyper flexible, qui travaille autrement. Le boom des nouvelles technologies ainsi que les nouveaux modes de management dans l’entreprise impliquent des réflexions sur les nouveaux espaces de travail, sans oublier les thèmes d’actualité du gouvernement tels que la transformation de bureaux en logements », introduit Ingrid NAPPI-CHOULET, Professeur Titulaire de la Chaire Immobilier et Développement Durable à l’ESSEC Business School.
Selon Olivier ESTEVE, Directeur Général Délégué de Foncière des Régions : « L’enjeu, tel qu’il se présente aujourd’hui à l’ensemble des acteurs de l’immobilier, c’est la reconstruction de la ville sur la ville, en privilégiant la restructuration, et en ayant deux idées corollaires en tête : d’une part, celle de densité, de l’autre, celle de convergence des usages. »
Les nouvelles opérations immobilières comme celle d’ « Euroméditerranée » à Marseille est un exemple parlant : « Nous y développons un nouveau quartier, Euromed Center, qui comprend des commerces de proximité, un multiplexe, un hôtel, 50.000 m² de bureaux, au sein d’une opération plus vaste qui fait la part belle à la mixité puisqu’on y retrouve absolument tous les usages, y compris des grands équipements comme un centre commercial, un hôpital, le FRAC, les archives départementales. Dans le zonage de l’opération, il y a cependant des fonctions dominantes par quartier : une partie tertiaire, une partie logements… Ce qui n’interdit pas l’interpénétration et la mixité des flux », explique Olivier ESTEVE.
La mixité fait partie des clés du succès d’une opération. Elle permet par exemple de loger les salariés à proximité de leurs bureaux. En revanche, l’enjeu de la mixité dans l’immeuble pose la question de la rentabilité.
« Superposer des fonctions, nous savons le faire et certains exemples fonctionnent ; ceci étant, superposer commerces, bureaux et logements, c’est associer trois produits différents qui obéissent à des cycles de vie et des cycles économiques distincts. Notre patrimoine comprend un immeuble de bureaux et de logements qui partagent une entrée commune, ce qui est très complexe à gérer, ni les entreprises ni les résidents n’en étant satisfaits. La prouesse un peu gratuite qui consiste à faire cohabiter dans le même immeuble un certain nombre de fonctions ne doit pas être une fin en soi. Superposer ou juxtaposer : cela ne présente pas une grande différence en termes de vie de quartier et de mixité. Une opération qui me semble assez réussie en termes de mixité a été réalisée dans le centre-ville de Boulogne : on y trouve le centre commercial des Passages, des bureaux, des logements, une densité assez importante avec une verticalité qui permet de dégager des espaces publics généreux. L’ensemble fonctionne bien du point de vue des utilisateurs, sans avoir recherché la prouesse technique de la mixité verticale à tout prix », indique Olivier ESTEVE.
La question du partage dans le temps se pose également s’agissant de la rotation de l’usage des espaces dans des immeubles dont certaines parties peuvent être vides. La flexibilité dans le temps, et donc de la mutation doit répondre parfaitement aux attentes du moment en préservant le futur. « Cette mutation doit se faire dans le cadre du cycle de vie économique normal de l’immeuble, c’est-à-dire peut-être tous les 15 ou 20 ans. Avoir un bâti flexible passe avant tout par un travail sur le squelette de l’immeuble : si en effet il est possible d’avoir des hauteurs d’étages un peu supérieures à la norme qui autoriseront plusieurs usages, une structure poteau-poutre qui sera par nature plus flexible que des voiles béton, ou encore des rez-de-chaussée et des premiers étages un peu plus hauts qui permettront une utilisation par des commerces ou des espaces d’expositions, nous essayons de le prévoir et de l’intégrer. Mais cela ne doit pas se faire au détriment de la fonction et de l’usage immédiats », souligne Olivier ESTEVE.
Du point de vue de la puissance publique, les collectivités territoriales se réfèrent souvent à cette notion de mixité fonctionnelle, car celle-ci présente beaucoup d’avantages mais dans la pratique cela s’avère un peu plus compliqué. « Je pense qu’il faut commencer par distinguer mixité verticale et mixité horizontale. Faire un immeuble dans lequel vous trouvez un équipement public, du commerce, du logement en accession, du logement social et du bureau est extrêmement complexe et générateur de surcoûts. La mixité horizontale organisée dans un périmètre qui reste celui d’un quartier, en revanche, c’est-à-dire la juxtaposition de plots monofonctionnels, est beaucoup plus facile à mener », explique Jean-Pierre CAFFET, Sénateur et conseiller de Paris.
En effet, la mise en œuvre de la mixité verticale rencontre un certain nombre d’obstacles d’ordre réglementaire : questions de résistance au feu, de sécurité incendie, sans compter la question des hauteurs. La réglementation est différente selon la destination et l’occupation de l’immeuble. « Pour un immeuble de bureaux, vous tombez sous le coup de la réglementation IGH (Immeuble de Grande Hauteur) si le dernier plafond est à 28 mètres. Pour un immeuble de logements, ce plafond est à 50 mètres. Si vous voulez mêler les deux dans un même immeuble, c’est évidemment la réglementation la plus contraignante qui s’applique. Je pense qu’il y aurait, du côté des pouvoirs publics, un besoin d’assouplissement de la réglementation – je pense notamment à ces questions de hauteur. Je pense qu’il faudrait toiletter cette réglementation pour, sans aller vers une unification totale, permettre un peu plus de mixité », commente Jean-Pierre CAFFET.
Et il ajoute : « Si l’on veut favoriser la mixité et la reconstruction de la ville sur elle-même, la responsabilité des bâtiments dépend également de leur capacité à évoluer dans le temps et à offrir des usages variés dans leur vie, puisque personne ne peut dire aujourd’hui quel sera l’usage d’un bâtiment dans trente ans. Il est impératif que les collectivités publiques en aient bien conscience, car faire en sorte que les logiques de marché favorisent ces réalisations n’a rien de simple. »
Pour Françoise-Hélène JOURDA, Architecte, Il faut réduire la fonctionnalité du bâtiment à simplement un espace de vie : « Quelle est fondamentalement la différence entre un logement, un bureau et un atelier ? Elle est pratiquement inexistante ! Les câblages sont les mêmes, le niveau d’éclairement aussi. Il faut absolument raisonner ces espaces à vivre et plus ces espaces à travailler, à loger ou à accueillir une activité d’atelier ou commerciale. Je pense qu’il faut vraiment élargir le débat. Si l’on continue à construire des espaces de bureaux tramés sur 1,35m, on va vers la catastrophe pour dans quinze ou vingt ans. Si l’on considère par exemple l’immeuble haussmannien, celui-ci s’est ouvert à des activités diverses : les écuries du rez-de-chaussée sont devenues des commerces, les premiers étages des bureaux, les étages supérieurs sont toujours des logements, les chambres de bonnes peuvent devenir des lofts avec terrasse. Ceci grâce à la qualité de l’espace au départ, qui était un espace de vie : suffisamment éclairé, avec des trames assez resserrées, des fenêtres ouvrantes dans chaque pièce… C’est cela, notre futur : abandonner l’immobilier de bureaux tel qu’il est conçu aujourd’hui pour fournir des espaces à vivre et qui pourront se transformer facilement. »
Source : www.essec-immobilier.com